Israël en guerre - Jour 497

Rechercher

Le journal lucide d’un ado juif, abattu par les nazis dans le ghetto de Vilna, accessible en ligne

Pour sa deuxième exposition en ligne, YIVO donne à lire les observations de Yitskhok Rudashevski, jeune homme de 15 ans rendu très sage par une vie d'oppression

Photo de Yitskhok Rudashevski dans les années 1930. (Avec l'aimable autorisation du Musée de la maison des combattants du ghetto, Israël / Archives photographiques et Institut YIVO pour la recherche juive)
Photo de Yitskhok Rudashevski dans les années 1930. (Avec l'aimable autorisation du Musée de la maison des combattants du ghetto, Israël / Archives photographiques et Institut YIVO pour la recherche juive)

NEW YORK – Un an après le début de sa réclusion forcée dans le ghetto de Vilnius, Yitskhok Rudashevski, Juif lituanien âgé de 15 ans, est loin d’abandonner l’espoir.

« Aujourd’hui, nous avons montré que même dans ces trois petites rues, nous avions gardé ce qui fait notre ferveur juvénile. Nous avons montré que ce n’est pas une jeunesse brisée qui sortira du ghetto. Du ghetto émergera une jeunesse forte, endurcie et pleine d’entrain », écrivait Rudashevski dans son journal en décembre 1942.

De ses premiers mots, en juin 1941, à ses tout derniers, en juin 1943, peu de temps avant d’être abattu par les nazis non loin de la gare de Ponary, Rudashevski fait la chronique du désespoir, de la peur et de l’espoir dont des dizaines de milliers de Juifs et lui-même font l’expérience dans le ghetto.

C’est précisément ce journal qui est au coeur de la deuxième exposition en ligne de l’Institut YIVO pour la recherche juive, « Yitskhok Rudashevski : “Yitskhok Rudashevski: A Teenager’s Account of Life and Death in the Vilna Ghetto [NDLT : Le récit d’un adolescent sur la vie et la mort dans le ghetto de Vilnius] », accessible gratuitement depuis le 17 juillet. C’est la première fois que ce journal est exposé seul.

« Le journal d’Yitzhak est magnifiquement écrit : sa subtilité et sa sophistication nous permettent de ressentir les émotions qui ont parcouru le ghetto », explique Alexandra Zapruder, co-commissaire de l’exposition.

Rudashevski est né en décembre 1927 à Vilna, en Pologne – aujourd’hui Vilnius, en Lituanie. Son père était typographe pour le quotidien juif Vilner Tog, et sa mère, couturière. Sans être très religieuse, la famille Rudashevski a un sens aigu de son identité juive. Rudashevski, qui est scolarisé dans une école juive laïque, parle, écrit et lit le yiddish.

Fin août 1941, deux mois après l’invasion allemande, des milliers de Juifs sont contraints de s’installer dans un ghetto situé dans l’ancien quartier juif de Vilna. Rudashevski s’entasse dans une seule pièce avec 10 membres de sa famille, dont ses parents, sa grand-mère et son cousin.

Yitskhok Rudashevski, en bas à gauche, avec sa famille, dont son père, sa mère et sa grand-mère, sur une photo non datée. (Avec l’aimable autorisation du Musée de la maison des combattants du ghetto, Israël / Archives photo)

En septembre, les autorités répartissent les Juifs dans deux ghettos. On estime que 30 000 personnes sont forcées de s’entasser dans le plus grand ghetto, ou « Ghetto I », et 11 000 dans le « Ghetto II ».

Après Yom Kippour, Rudashevski raconte que sa famille a dû laisser la grand-mère dans le petit ghetto : « On nous a dit que les personnes âgées enregistrées comme parents ne sont pas autorisées à franchir la porte. Mamie ne peut pas venir avec nous… Nous disons rapidement au revoir à grand-mère – pour toujours. Nous la laissons debout au milieu de la rue et partons en courant. Je n’oublierai jamais ses deux mains et ses yeux qui imploraient : « Emmenez-moi avec vous ! »

Le 5 avril 1943, il parle de l’horreur que lui évoquent les fosses d’exécution situées près de Ponary, plus connues sous le nom de Ponar, où une centaine de milliers de personnes seront assassinées en l’espace de trois ans.

« Aujourd’hui, on nous a appris la terrible nouvelle : 85 wagons de Juifs, soit près de 5 000 personnes, ne sont pas allés à Kovno comme on le leur avait promis, mais ont été conduits à Ponar, où on les a abattus. 5 000 victimes de plus. Le ghetto est profondément ébranlé, comme frappé par la foudre. Une ambiance de massacre s’est emparée de la population. Cela recommence », écrit-il.

Ponary, en Lituanie : des Juifs creusent une tranchée dans laquelle on les enterrera après les avoir abattus (Yad Vashem)

« Rudashevski comprenait ce qui se passait », explique Jonathan Brent, PDG de YIVO. « Un grand nombre de journaux intimes datant de la guerre nous sont parvenus – ce qui rend celui-ci si spécial, c’est sa conscience aiguë de sa situation. Presque sans jugement, il évoque absolument tout. »

Un portrait intime

Dans l’après-guerre, c’est le cousin de Rudashevski qui retrouve son journal et le remet à son mentor, Abraham Sutzkever, membre de la Paper Brigade, qui a sauvé des milliers de documents dans le ghetto.

Au-delà de ce journal, dont YIVO a récemment commandé une nouvelle traduction en anglais, l’exposition donne à voir des documents que Rudashevski a utilisés pendant son séjour dans le ghetto, ainsi que des photographies et des images de divers artefacts.

Abraham Sutzkever, à droite, avant la Seconde Guerre mondiale à Vilnius, en Lituanie. (Avec l’aimable autorisation/via la JTA)

« Quand on pense à la Shoah, on pense généralement aux camps de concentration. Cette exposition est l’occasion d’en apprendre davantage sur d’autres sujets et sur la manière dont les gens ont résisté », explique la co-commissaire de l’exposition, Karolina Zulkoski.

L’extrême détermination de Rudashevski à vivre et survivre est partout palpable. Il est bien déterminé à ne laisser ni les Lituaniens ni les Allemands lui retirer son humanité, à lui comme aux autres Juifs.

Ainsi, le 8 juillet 1941, il explique avoir été forcé à porter l’étoile
jaune : « L’étoile a beau être sur nos manteaux, elle ne change pas ce que nous sommes… C’est à ceux qui nous en affublent d’avoir honte. Que cette honte brûle à l’intérieur de chaque Allemand conscient désireux de penser à l’avenir de son peuple. »

Page du journal intime de Yitskhok Rudashevski. (Avec l’aimable autorisation de l’Institut YIVO pour la recherche juive)

Mindaugas Kvietkauskas, ex-ministre lituanien de la Culture et professeur de linguistique à l’Université de Vilnius, qui a beaucoup étudié ce journal, a fait en sorte de retracer la vie de Rudashevski avant et pendant la guerre.

« Cela nous rappelle tout ce potentiel que la Shoah a détruit. Il aurait pu être écrivain ou historien : il portait un regard aigu sur les choses. Il était conscient des inégalités sociales, de la hiérarchie sociale. Il critiquait les dirigeants politiques du ghetto », souligne Kvietkauskas.

C’est ce sens du détail qui, selon Kvietkauskas, suscite l’empathie envers les victimes de la Shoah dans un pays où nombreuses sont les voix qui voient dans les fascistes locaux, durant la Seconde Guerre mondiale, des héros de la lutte contre l’occupation communiste. Des dizaines d’écoles lituaniennes ont reçu des exemplaires du journal en 2020 et 2021, dans le cadre d’une initiative du gouvernement destinée à faire amende honorable et reconnaître le rôle de la Lituanie dans la Shoah.

« C’est extrêmement important de raconter ces histoires qui touchent les gens en brisant l’anonymat des victimes », explique Kvietkauskas, qui confie avoir eu des insomnies après avoir traduit le journal de Rudashevski en lituanien.

Le PDG de YIVO, Jonathan Brent, à gauche, montre au président lituanien Gitanas Nausėda un fac-similé de pages du journal intime d’Yitskhok Rudashevski lors de sa visite à New York en 2023. (Avec l’aimable autorisation de YIVO)

Loin de ne parler que de son expérience, Rudashevski parle également de la manière dont les habitants du ghetto résistent.

Il raconte ainsi que les tailleurs et couturières juifs brodaient des malédictions sur les monogrammes cousus sur les chemises et robes des Allemands, avec des lettres hébraïques et des mots bien précis, comme « Giml pour gzeyre [persécution], tsadek pour tsore [affliction], samekh pour sreyfe [conflagration], kof pour kapore [Sacrifice expiatoire]. Tous ces actes sont autant de pieds de nez alors qu’ils vivent dans la peur des Allemands. Cela ne les empêche pas de les maudire, de leur jouer des tours.

Alexandra Zapruder, co-commissaire de l’exposition en ligne « Yitskhok Rudashevski : A Teenager’s Account of Life and Death in the Vilna Ghetto », organisée par l’Institut YIVO pour la recherche juive. (Autorisation)

Les écrits de Rudashevski donnent à voir un adolescent brillant, énergique et perspicace qui aime passer du temps avec ses amis et sa famille, avide de lecture et de laisser une trace dans l’Histoire tout en apportant sa contribution à la société. Ils montrent qu’il était bien conscient de sa propre mortalité.

« Le jour de son 15e anniversaire, il veut ‘demander au temps de ralentir, de ne pas aller aussi vite’ », analyse Zapruder.

« Il a bien compris que le temps est une valeur en soi. Il est bien conscient qu’il ne lui est pas permis d’utiliser le temps comme il le voudrait, et qu’il n’aura peut-être pas tout le temps qu’il voudrait. C’est une forme de sagesse bien étrange. »

En savoir plus sur :
S'inscrire ou se connecter
Veuillez utiliser le format suivant : example@domain.com
Se connecter avec
En vous inscrivant, vous acceptez les conditions d'utilisation
S'inscrire pour continuer
Se connecter avec
Se connecter pour continuer
S'inscrire ou se connecter
Se connecter avec
check your email
Consultez vos mails
Nous vous avons envoyé un email à gal@rgbmedia.org.
Il contient un lien qui vous permettra de vous connecter.
image
Inscrivez-vous gratuitement
et continuez votre lecture
L'inscription vous permet également de commenter les articles et nous aide à améliorer votre expérience. Cela ne prend que quelques secondes.
Déjà inscrit ? Entrez votre email pour vous connecter.
Veuillez utiliser le format suivant : example@domain.com
SE CONNECTER AVEC
En vous inscrivant, vous acceptez les conditions d'utilisation. Une fois inscrit, vous recevrez gratuitement notre Une du Jour.
Register to continue
SE CONNECTER AVEC
Log in to continue
Connectez-vous ou inscrivez-vous
SE CONNECTER AVEC
check your email
Consultez vos mails
Nous vous avons envoyé un e-mail à .
Il contient un lien qui vous permettra de vous connecter.