Le ‘Waze’ Santé : les patients du futur soignés par des médecins virtuels
Alors que les technologies de santé personnalisées progressent en Israël, un expert américain souligne la nécessité d'avancer sans peur
Dans un futur pas si lointain, les personnes qui tomberont malade pourront rester chez elles, au chaud, et obtenir une consultation avec un médecin virtuel du type Siri ou Alexa.
Des kits d’examen médical arriveront par drone, transportant des dispositifs permettant de prélever et d’analyser le sang. Des capteurs placés dans les maisons contrôleront la démarche dans son intégralité et transmettront des informations sur l’état de santé du patient. Les smartphones seront en capacité de contrôler la vue, la respiration ou la voix pour tenter de détecter des pathologies spécifiques.
Si quelque élément que ce soit doit l’exigeait, alors le médecin virtuel programmera un rendez-vous avec un professionnel de santé.
Dans les restaurants, les chefs auront accès à toutes les informations nécessaires pour préparer un repas le mieux adapté à chaque client.
Ces différents scénarios ont été présentés la semaine dernière lors d’une réunion d’investisseurs et d’entrepreneurs de start-ups qui s’est tenue aux abords de Jérusalem, organisée par aMoon Partners, un fonds de capital-risque soutenu par le milliardaire israélien Marius Nacht, qui investit dans des entreprises de sciences de la vie dans les secteurs de la santé numérique, des technologies médicales et biopharmaceutiques qui opèrent en Israël ainsi que dans d’autres pôles technologiques relatifs à la santé aux Etats-Unis et en Europe.
L’un des principaux messages de la réunion a été que la santé technologique avançait très vite et qu’il faut amener ces technologies futuristes sur le marché, qu’il faut créer des ponts et des collaborations entre les universités, les start-ups, les fonds de capital-risque, les médecins et les régulateurs. Les éducateurs et les professionnels médicaux doivent également aujourd’hui être formés dans ces nouvelles technologies afin de diminuer les hésitations et la résistance au changement.
Pour que les entreprises de santé israéliennes réussissent, a dit le docteur Yair Schindel, co-fondateur et partenaire de gestion d’aMoon, lors de la rencontre, elles doivent avoir accès à un grand nombre de malades, de fonds et de talents – ce qui n’est possible qu’en visant des collaborations internationales.
Israël accueille 1 600 entreprises de sciences du vivant qui emploient plus de 83 000 personnes et l’industrie a attiré une somme record de 1,5 milliards de dollars d’investissement en 2018, ce qui représente une hausse de 25 pour cent d’une année sur l’autre, selon un rapport diffusé par l’IATI, organisation-cadre de l’industrie high-tech et des sciences de la vie en Israël, la semaine dernière.
« Pour que la santé numérique avance – peut-être que cela a toujours été le cas, mais ça l’est encore davantage maintenant – il faut rassembler les personnes pour qu’elles travaillent ensemble. C’est le message. Le message, c’est de réussir à travailler ensemble en traversant les silos et les différentes spécialités de l’industrie médicale », a déclaré le docteur Daniel Kraft, scientifique et physicien formé à Stanford et à Harvard avec plus de 25 ans d’expérience en pratique clinique, en recherche biomédicale et en innovation au cours d’un entretien accordé au Times of Israel en marge du sommet aMoon.
« Nous avons besoin de trouver de nouveaux moyens de collaborer. Même si nous nous inquiétons des questions relatives à la confidentialité, il y a des manières intelligentes de partager des informations », a-t-il ajouté.
Ce dont les patients ont besoin dans le monde d’aujourd’hui, c’est d’un type de système de navigation communautaire pour les soins de santé – Un Waze en résumé, a-t-il dit. Le logiciel GPS Waze a été développé par des Israéliens et acheté par Google.
Les soins de santé tels qu’ils sont envisagés par Kraft seront sans cesse alimentés par les informations transmises par de nouveaux patients présentant des traits similaires avec les malades, a-t-il dit.
Ce qui signifiera « apprendre des autres – ceux qui présentent des génomes, des maladies semblables – ce qui permettra de créer le potentiel nécessaire pour un essai clinique spécialisé virtuel. C’est là qu’il y a une analogie avec Waze où le partage d’information est encouragé et où, en échange, les conducteurs obtiennent une carte améliorée et personnalisée. Dans ce cas, il s’agira d’optimiser votre ‘destination de santé’ – pour optimiser le bien-être mais également pour gérer ou prévenir une pathologie ».
Les nouvelles méthodes de traitement, a ajouté Kraft, ne partiront pas d’un modèle devant s’appliquer à tous mais elles seront « spécifiques selon là où vous en êtes – sur le chemin de la guérison ou dans la prise en charge de la maladie. Et là, nous serons amenés à externaliser nos informations sur ces données précises et nous élaborerons de meilleures cartes, de meilleures trajectoires pour découvrir et soigner la maladie ».
Il a rejeté l’idée que le trop-plein d’informations sur la santé d’un individu puisse être nécessairement indésirable.
« Je pense que nous devons déterminer clairement quand c’est exploitable », a-t-il expliqué. « Par exemple, si vous savez que si vous changez de régime et que si vous améliorez votre microbiome alors vous avez moins de risque de souffrir d’un cancer du colon, alors vous allez simplement changer votre alimentation sans vous poser de questions ».
Autre exemple, un test génétique pour la prévention d’un cancer du sein peut pousser les femmes à faire des mammographies plus tôt.
« Ainsi, il y a des gens qui veulent savoir », a-t-il dit. « L’information, ça peut être une puissance ».
Kraft, vêtu d’une chemise bleu clair et d’une veste bleu nuit, portait plusieurs dispositifs aux poignets, notamment une montre et un Fitbit. Il arborait également un « underwearable » — une sorte d’appareil accroché à ses sous-vêtements développé par la start-up Spire Inc. en Californie. Ce dispositif contrôle le sommeil, le stress, le pouls et autres indicateurs de santé.
Il est président de la faculté de médecine à la Singularity University, institution de la Silicon Valley, et il est le fondateur et le président d’Exponential Medicine, un programme qui explore les technologies convergentes et en développement rapide et leur potentiel sur l’avenir des secteurs de la santé et de la biomédecine.
Kraft a également récemment fondé IntelliMedicine, une start-up qui s’intéresse à la médecine personnalisée et intégrée à partir de l’étude de données. Il est l’inventeur du MarrowMiner, un dispositif approuvé par la FDA permettant de recueillir de la moelle épinière de la manière la moins invasive possible et il a fondé RegenMed Systems, une entreprise qui développe des technologies pour mettre en place des thérapies régénératives basées sur des cellules-souches adultes. Il a mené des recherches dans la médecins aérospatiale qui ont été publiées avec la NASA. Il avait d’ailleurs, dans le passé, été lui-même finaliste dans le processus de sélection des astronautes.
Israël, a-t-il noté, est un pays qui se démarque par « son énergie d’innovation et sa créativité », avec des anciens soldats quittant les unités technologiques au sein de l’armée israélienne pour se consacrer à la santé.
« Il y a ici ces technologues d’élite qui se tournent vers toutes ces nécessités, tous ces défis qui n’ont jamais été relevés et qui parviennent à les résoudre de manière si créative », a-t-il dit.
Parce que l’Etat juif est un petit marché, il doit s’assurer que le savoir qu’il maîtrise est lié au reste du monde, ce qui est indispensable pour que ses technologies puissent croître.
« Une trajectoire pour ce faire doit être déterminée », a-t-il déclaré, comprenant que « différents marchés nécessitent des solutions différentes. Quelque chose qui peut bien fonctionner à Tel Aviv peut ne pas bien fonctionner à Tokyo ou à San Francisco ».
Comme tous les autres secteurs qui ont été perturbés par le passage à la technologie – par exemple, le monde industriel avec l’imprimerie 3D – c’est le cas également de l’industrie de la santé qui doit développer des politiques de régulation et une éthique qui faciliteront la vigilance sans « se retenir » sur les nouvelles technologies et sur les nouveaux champs d’exploration, a noté Kraft.
Même lorsque la trajectoire en termes de régulation est bien définie, les professionnels de la médecine et les hôpitaux hésitent néanmoins à adopter et à s’adapter aux nouvelles technologies. Ceci en raison d’un mélange d’un manque d’incitation – les médecins, aux Etats-Unis, sont souvent payés à l’acte. Ils sont également inquiets à l’idée de ce que la technologie ne vienne remplacer à terme leurs compétences, a noté Kraft.
Le meilleur moyen pour qu’un produit pénètre le marché est de montrer la valeur du produit, en le conservant aussi simple que possible – sans des données, des faits et des chiffres trop écrasants.
« Personne ne veut les données : on veut seulement les informations exploitables », a continué Kraft. Et c’est vrai également pour les malades, qui doivent pouvoir accéder à des informations les concernant aussi simplement que possible.
« Et ainsi, le résultat, c’est qu’il y a beaucoup de potentiel – il y a beaucoup de technologies étonnantes », a-t-il indiqué. « Mais le vrai pouvoir, c’est quand on parvient à les assembler pour créer des solutions. »
Si les médecins peuvent obtenir rapidement l’ensemble des informations sur leurs patients, depuis leur génétique jusqu’à leurs comportements en passant par l’endroit où ils vivent, alors ils peuvent « prendre de meilleurs initiatives en ce qui concerne la détection et la prévention des maladies » susceptibles de toucher leurs malades.
« L’idée, c’est que la médecine, à l’avenir, sera basée sur vous, construite pour vous, adaptée à vous, sur la base de toutes ces données en temps réel », a-til expliqué. « Nous allons passer du soin des malades intermittent et réactif – quand on n’arrive à obtenir que peu de données à la fois et qu’on attend que la maladie survienne – à des soins de santé proactifs avec des données continues où on n’attendra plus que la pathologie s’impose, où on pourra la détecter en avance puis la prendre en charge de manière plus précise, plus personnalisée, sur la base d’évaluations. »