Les anti-réforme, rassemblés pour la 20e semaine, dénoncent aussi le budget
Environ 150 000 personnes se sont rassemblées ; Lapid, menace de faire échouer les négociations de compromis ; pour l'ex-directeur du budget, le gouvernement "détruit l'économie"
Les manifestations contre la réforme du système judiciaire du gouvernement sont entrées dans leur 20e semaine samedi soir, alors que les négociations de compromis entre la coalition et l’opposition sont dans l’impasse et que les opposants au gouvernement et les manifestants se sont concentrés sur la dénonciation du budget de l’État qui se profile à l’horizon, alléguant qu’il « pille les caisses publiques ».
Des rassemblements ont eu lieu dans environ 150 villes différentes, une semaine après que les manifestations ont été réduites en raison de la menace de tirs de roquettes en provenance de Gaza, alors qu’Israël luttait contre le groupe terroriste du Jihad islamique palestinien.
Les médias israéliens ont estimé qu’entre 90 000 et 100 000 personnes ont participé au principal rassemblement rue Kaplan à Tel Aviv, et que le chiffre total était d’environ 150 000 personnes dans tout le pays, ce qui est nettement inférieur au nombre de participants d’avant l’opération militaire baptisée « Bouclier et Flèche » – qui était d’environ 200 000 à 300 000 personnes. Les organisateurs de la manifestation ont revendiqué des chiffres bien plus importants, affirmant que 135 000 personnes avaient manifesté rien qu’à Tel Aviv et 150 000 autres dans le reste du pays.
De nombreux manifestants ont exhorté le parti Yesh Atid du chef de l’opposition Yaïr Lapid et HaMahane HaMamlahti de Benny Gantz à se retirer des pourparlers de compromis avec la coalition, qui se déroulent depuis le début du mois dernier dans la résidence officielle du président Isaac Herzog à Jérusalem. Les deux partis d’opposition ont insisté cette semaine sur le fait qu’il n’y avait pas eu de percée dans les négociations, contredisant les progrès relayés par plusieurs médias israéliens.
Selon le site d’information Ynet, environ 10 000 personnes se sont rassemblées à Netanya, les manifestations à Herzliya, Kfar Saba et Raanana ont rassemblé environ 8 000 personnes chacune, et quelque 2 000 personnes se sont rendues à Beer Sheva et à Hod HaSharon. Des milliers de personnes ont également manifesté près de la résidence présidentielle à Jérusalem.
Le chef de l’opposition, Yaïr Lapid, a pris la parole lors du rassemblement à Herzliya, lançant apparemment un ultimatum concernant les pourparlers de compromis en cours.
« Le mois prochain, la Knesset doit choisir ses représentants au sein de la commission de sélection des juges – y compris le représentant de l’opposition – convoquer la commission immédiatement et commencer à travailler conformément aux règles qui étaient en place tout au long de l’année. Sans cela, l’ensemble du dialogue est une escroquerie, et nous ne prêterons pas la main à une escroquerie », a-t-il déclaré.
« Le gouvernement doit retirer toutes les lois de la table de la Knesset et il doit comprendre qu’il n’y aura pas de situation dans laquelle la coalition nommera ses propres juges », a-t-il ajouté.
עכשיו בקפלן תל אביב
שבוע 20 למחאה
נלחמים על הדמוקרטיה-
ואנחנו ננצח!קרדיט צילום שב״פ pic.twitter.com/1LkIbqenyg
— הדר סגל Hadar Segal ???????? (@hadarse) May 20, 2023
Le projet de loi visant à modifier la composition de la commission est sans doute celui sur lequel il a été le plus difficile de trouver un compromis. Le gouvernement souhaite placer la sélection de la plupart des juges – y compris ceux de la Cour suprême – sous son contrôle total, tandis que l’opposition rejette cette idée d’emblée et souhaite que le système actuel, qui prévoit un veto mutuel pour la coalition et les représentants du pouvoir judiciaire, reste en place. Le projet de loi est sur le point d’être adopté et peut être soumis au vote final de la plénière de la Knesset à tout moment. Cependant, il est presque certain qu’une telle action entraînera une reprise des intenses troubles publics, tels qu’on les a vus pour la dernière fois avant que le processus législatif de la réforme ne soit suspendu fin mars.
La coalition a récemment fait part de son intention de nommer éventuellement deux députés de la coalition à la commission, alors qu’il est d’usage – mais pas obligatoire – d’en nommer un de la coalition et un de l’opposition.
Si les manifestants se sont jusqu’à présent concentrés sur l’opposition au projet de réforme du gouvernement, ils se sont également intéressés aux énormes sommes allouées aux partis de la coalition dans le cadre du dernier budget de l’État. Les principaux points visés par les critiques du gouvernement sont l’approbation de 13,7 milliards de shekels de fonds discrétionnaires, principalement pour la communauté ultra-orthodoxe, et un projet controversé de fonds d’impôt municipal (« Fonds Arnona« ) qui prélèverait de l’argent dans les villes riches pour le redistribuer aux villes pauvres.
Quelque 15 000 personnes ont manifesté à Haïfa, où l’ancienne ministre du Likud, Limor Livnat, a déclaré que, même si elle reste une partisante de droite, les alliés de Netanyahu la considèrent comme une « gauchiste » et la rejettent « parce qu’ils ont prêté serment d’allégeance à un seul homme ».
« C’est un culte de la personnalité. Je ne cautionne pas cela. Netanyahu, avec qui j’ai travaillé pendant de longues années, n’est plus la même personne », a-t-elle ajouté.
Les manifestations à Tel Aviv et à Haïfa ont été marquées par de grandes banderoles sur lesquelles on pouvait lire : « Le gouvernement qui pille ».
כ- 130 אלף מפגינים רק בקפלן,
אמא שלכם דועכת, לא המחאה. pic.twitter.com/FC892FHEtL— Avi Edelson (@AviEdelson1) May 20, 2023
Les groupes de protestation ont déclaré que cela « fait référence à la tentative du gouvernement de donner 14 milliards de shekels de l’argent des contribuables aux partis haredim et ultra-nationalistes du mouvement pro-implantations ».
Les projets du gouvernement d’allouer des sommes importantes à la communauté ultra-orthodoxe et à d’autres partis de la coalition dans le cadre du budget de l’État 2023-2024, d’un montant de mille milliards de shekels, qui doit être adopté d’ici le 29 mai, ont également suscité des critiques au sein du ministère des Finances, qui les jugeait insoutenables à long-terme.
Shaul Meridor, qui a dirigé le Département des budgets du ministère des Finances de 2017 à 2020, date à laquelle il a démissionné pour protester contre les politiques économiques du gouvernement du Likud, s’en est pris au budget de l’État qui se profile à l’horizon lors du rassemblement de Tel Aviv, accusant le gouvernement de promouvoir un « programme extrémiste » et d’ignorer les opinions et les avertissements des professionnels.
« Le gouvernement adopte un budget qui reflète clairement ses priorités : les yeshivot sont privilégiées par rapport à l’emploi, l’ignorance et les bons alimentaires sont privilégiés par rapport à l’éducation, l’essence est subventionnée au lieu de s’attaquer au coût de la vie », a-t-il déclaré.
Il a ajouté que même si le gouvernement « piétine une autre valeur sacrée ou transfère une plus grande partie de l’argent que nous payons pour détruire l’économie d’Israël », les manifestants « seront là pour réparer ce qu’ils auront détruit ».
Lapid s’est également insurgé contre le budget de l’État lors de son discours à Herzliya, le qualifiant de « vol ».
« Ils volent l’avenir de nos enfants, et ils le font avec notre argent. Ils sont en train de créer une génération entière qui ne sert pas dans l’armée, n’étudie pas de métier, ne travaille pas, ne paie pas d’impôts », a-t-il déclaré en faisant référence à la communauté ultra-orthodoxe.
« Il n’est pas nécessaire qu’il en soit ainsi. Nous sommes ici parce qu’il est possible de faire autrement. Nous voulons un gouvernement qui représente la majorité saine, et non les extrémistes », a ajouté Lapid.
Plus tôt, dans une interview accordée à la Douzième chaîne, Lapid a accusé le gouvernement « d’utiliser notre argent pour détruire l’avenir de nos enfants », ajoutant « qu’à long-terme, notre pays ne pourra pas survivre à cela ». « Ils paieront des milliards et des milliards à une communauté grandissante qui n’étudie pas les mathématiques, l’anglais ou l’informatique et qui ne travaille pas – et nos enfants devront soutenir des enfants qui ne travaillent pas. »
En revanche, les organisateurs de la manifestation de Jérusalem ont souligné qu’elle était dirigée contre les « mesures néfastes » du gouvernement et qu’elle ne mettait en avant « la haine contre aucune communauté de notre foyer israélien – ni les haredim, ni les [communautés] laïques ou arabes ».
Dans son interview télévisée, Lapid a également répondu aux critiques des manifestants concernant sa participation aux pourparlers de compromis sur la réforme.
« Je suis celui qui a refusé à plusieurs reprises d’entrer dans un gouvernement Netanyahu », a-t-il déclaré. « Il est toujours difficile de conclure des accords avec lui, c’est un problème de confiance. »
Lors d’un rassemblement à Petah Tikva, Gantz a fait l’éloge des manifestants qui, depuis 20 semaines, « nous donnent la meilleure leçon d’éducation civique possible ». « Le vote commence dans le bureau de vote, mais ne s’arrête pas là. »
Il a déclaré que Netanyahu « essayait d’effacer les valeurs démocratiques et libérales sur lesquelles l’État d’Israël est fondé », s’engageant à ne pas le permettre. Il a ajouté qu’il ressentait « une grande fierté de voir le public dans les rues ».
Les organisateurs de la manifestation ont déclaré plus tôt dans la journée de samedi que « le plan du gouvernement visant à piller le Trésor public en faveur de la corruption politique, plutôt que d’investir dans le bien-être des citoyens, est une étape décisive vers la transformation d’Israël en un régime dictatorial ».
« Netanyahu continue de gagner du temps par des négociations trompeuses tout en donnant 14 milliards de dollars de l’argent des contribuables à ses alliés politiques. Ces actions corrompues servent à faciliter la mise en œuvre de lois dictatoriales », ont-ils déclaré. « Les négociations permettent à Netanyahu de continuer à affaiblir les fondements de la démocratie. Nous demandons au leader de l’opposition Lapid et au député Gantz de se retirer immédiatement de ces négociations trompeuses. »
Les manifestants anti-gouvernement se sont rassemblés dans tout le pays tous les samedis soirs au cours des 20 dernières semaines, depuis que le gouvernement a annoncé son plan de réforme du système judiciaire.
Bien que ce projet soit désormais suspendu, la coalition et l’opposition menant des négociations en vue d’un éventuel compromis, de nombreux membres de la coalition ont averti qu’ils pourraient poursuivre leurs efforts pour limiter les tribunaux, et les rassemblements hebdomadaires se sont poursuivis.
Jusqu’en mars, la coalition a fait avancer à grande vitesse un projet de loi qui placera la plupart des nominations judiciaires sous le contrôle du gouvernement et limitera les pouvoirs de contrôle de la Haute Cour de justice.
Les opposants à ce projet de loi estiment qu’il privera la Haute Cour de justice de son pouvoir de contrôle et d’équilibre face au Parlement, ce qui érodera dangereusement le caractère démocratique d’Israël. Les partisans de la réforme affirment qu’elle est nécessaire pour contrôler ce qu’ils considèrent comme un système judiciaire trop envahissant.
Depuis que Netanyahu a gelé le processus législatif de la réforme du système judiciaire le 28 mars et que la Knesset est revenue de ses congés de Pessah, le gouvernement a concentré tous ses efforts sur l’adoption du budget de l’État qui, s’il n’est pas adopté dans les huit prochains jours, entraînera automatiquement la dissolution du gouvernement et la tenue d’élections législatives anticipées.
Une fois le budget approuvé, il est probable que la coalition se concentrera à nouveau sur son programme de réforme judiciaire.
La mobilisation de la semaine dernière a été réduite parce que certains organisateurs ont annulé leur soutien en raison de la menace des roquettes tirées depuis Gaza pendant les combats entre Israël et le groupe terroriste du Jihad islamique palestinien. Certains manifestants sont tout de même venus, et plusieurs centaines d’entre eux se sont rassemblés à Tel Aviv. Environ 5 000 personnes ont défilé à Haïfa, une ville du nord plus éloignée de la menace de Gaza.
Depuis l’opération de Gaza, Netanyahu a bénéficié d’un regain de soutien de la part de l’opinion publique, alors que sa cote de popularité s’était effondrée au cours des quatre premiers mois de son mandat, apparemment en raison de l’opposition de l’opinion publique à la réforme du système judiciaire et à d’autres politiques.
L’équipe du Times of Israel a contribué à cet article.