Les juifs londoniens comblent le vide pour les demandeurs d’asile des pays musulmans
Les bénéficiaires ne sont souvent pas au courant de l’identité des bénévoles qui œuvrent en leur faveur, les centres d’accueil dans les synagogues ont été essentiels, ne serait-ce que pour un réfugié, à qui l’on avait appris à diaboliser les juifs

LONDRES- Un dimanche après-midi ensoleillé dans la banlieue nord de Londres, deux groupes affluent dans une petite école primaire. L’un des groupes est composé d’enfants blancs, majoritairement juifs. Le second groupe est plus hétéroclite, un véritable méli-mélo de cultures de tous les endroits difficiles du monde : ce sont des demandeurs d’asile.
Depuis plus de 10 ans, avec des volontaires de tous bords, les juifs londoniens aident, dans l’ombre, les demandeurs d’asile, grâce aux centre d’accueils dirigés par quatre communautés différentes : la Synagogue libérale de Saint John’s Wood, deux synagogues réformées, la North Western London Synagogue à Golders Green et la West London Synagogue of British Jews dans le centre de Londres, et la New North London Synagogue, une communauté Massorti dans le Nord-Ouest de Londres.
Les centres d’accueil aident des milliers de familles piégées dans le pétrin typiquement britannique des demandeurs d’asile. Ils n’ont pas le droit de travailler tant que leur demande de séjour n’a pas été acceptée, et n’ont droit à aucune aide. Pour certains, il y a une allocation gouvernementale, mais elle s’élève à peine à 5 livres sterling par jours, soit 6 euros.
Le rabbin Neil James, chargé de l’action sociale à la West London Synagogue, esquisse un sourire quand il évoque les demandeurs d’asile qui passent chaque mois dans les locaux du XIXe siècle de sa communauté.
« Nos visiteurs ne se rendent pas vraiment compte que ce sont des juifs qui leur viennent en aide », dit-il. « Nous pensons que c’est un bon mécanisme, dans lequel notre communauté porte secours à des membres de la société, qui n’auraient jamais mis les pieds dans une synagogue. »
Ceux qui ont recours aux services de la communauté de West London doivent fournir des preuves stipulant qu’ils font partie du « système », et qu’ils proviennent de pays tels que l’Albanie, l’Algérie, l’Érythrée, l’Éthiopie, Nigeria, Pakistan, le Sri Lanka et la Géorgie. Les plus nombreux proviennent de la République Démocratique du Congo. Chaque mois, entre 100 et 120 familles arrivent, après de longs voyages depuis les banlieues vers le centre de Londres.
Dans l’école primaire de North London, où la New North London Synagogue accueille les demandeurs d’asiles, une véritable armée de bénévoles s’est constituée pour gérer les arrivants. Les personnes arrivent par groupes dans le bâtiment, parce qu’ils sont trop nombreux pour tous entrer en une fois. En août, ils étaient 378, dont 147 nouveaux. Ils se rendent dans un vestiaire, dans lequel sont déposés des vêtements pour hommes, femmes et enfants, ainsi que des couches, des sous-vêtements et des chaussures.
Agrippés à leur butin vestimentaire, les demandeurs d’asiles se déplacent dans le bâtiment. Certains emmènent leurs enfants jouer dans des espaces de jeu surveillés, d’autres se rendent au stand de rafraichissements, où sont proposés des gâteaux, des fruits, souvent offerts par les commerces locaux. Des repas chauds sont également proposés, et chaque client reçoit un bon d’achat pour le supermarché un des titres de transports.
D’autres, fraichement arrivés, vont rencontrer des bénévoles qui proposent une expertise juridique et des conseils sur les procédures administratives. Chaque après-midi demande énormément de préparation de la part des volontaires, qui sont toujours occupés à planifier la prochaine session d’accueil à peine celle-ci terminée.
La NNLS est la première à avoir eu l’initiative de créer ces centres d’accueil en mars 2006. En plus des consultations juridiques, ils peuvent bénéficier de docteurs bénévoles, de thérapeutes, ou d’une aide vitale pour remplir leurs formulaires pour le logement et les examens ophtalmologiques et dentaires.

Les demandeurs d’asiles ont déposé des demandes de résidence permanente au Royaume-Uni, et donc d’être placés dans la catégorie des réfugiés. Étant donné que le processus décisionnel du Home Office est contestable, ils peuvent faire appel, ou refaire une demande. Le processus est souvent long, fastidieux et éprouvant. Le fait de se rendre dans ce type de centre d’accueil est une source de réconfort pour ceux dont l’état d’esprit par défaut est le désespoir.
Une femme a appelé les organisateurs de la NNLS la semaine dernière, désespérée. Elle vit dans un logement – attribué par le Home Office – insalubre dans l’ouest de Londres.
« Nous avons des rats et des cafards, des punaises de lit et des escargots. La cuisine est si sale qu’on ne peut pas l’utiliser, la chasse d’eau des toilettes ne fonctionne pas toujours et nous en sommes réduits à utiliser des bassines. C’est trop sale et poussiéreux. Nous avons appelé le responsable du logement tant de fois, mais il n’a jamais rien réglé. »

« À chaque fois que quelqu’un prend une douche, l’eau coule comme de la pluie à travers le plafond de la chambre de la femme qui vit en dessous de la salle de bains. Nous avons filmé les preuves », ajoute-elle.
L’équipe de la NNLS a déposé des demandes au nom de la femme, et des solutions temporaires ont été mises en place. Des inspecteurs du conseil de la santé et de sécurité se sont rendus sur place à deux reprises, avec un responsable du Home Office, et une armée d’agents d’entretiens et de dératiseurs. Mais tout le monde est conscient que ce sont des solutions provisoires ?
Depuis que la guerre civile a éclaté en Syrie il y a plus de 5 ans, les Syriens sont en cinquième position sur la liste des demandeurs d’asile en Grande-Bretagne.

Après la tragédie d’Aylan Kurdi, le petit Syrien de trois ans retrouvé noyé sur une plage turque, pendant que sa famille fuyait pour leur sécurité, le Britain’s World Jewish Relief à lancé un appel d’urgence en 2015 pour aider l’Europe dans cette crise des réfugiés et ont récolté l’incroyable montant de 944 000 livres sterling (plus d’un million d’euros), sot sa deuxième plus importante levée de fonds.

Richard Verber, du World Jewish Relief a déclaré que cet appel est remarquable “parce que l’argent n’est pas arrivé en grosses coupures de la part de riches donateurs, mais en petites sommes, de la part de milliers de membres de la communauté juive qui voulaient participer. Les gens ont senti que c’est la bonne chose à faire d’un point de vue moral, nous avons ressenti un déversement d’amour et d’empathie de la part des juifs.
Ces fonds ont été dépensés pour aider les réfugiés qui fuyaient les zones de guerre et qui sont arrivés en Grèce ou en Turquie. Le World Jewish Relief ne travaille pas en Grande-Bretagne, mais la question des réfugiés étant devenue une question nationale, l’organisation s’apprête à piloter un projet révolutionnaire à Bradford, dans le nord de l’Angleterre.
« Nous avons appris de notre propre histoire », a raconte Verber. Le World Jewish Relief est le successeur du Central British Fund, l’organisation de charité qui avait aidé les immigrants juifs à entrer dans le Royaume-Uni dans les années 30. « Les réfugiés ont besoin de soutien une fois réinstallés. », dit-il.
« Le gouvernement s’est engagé à accueillir 20 000 personnes les plus vulnérables de Syrie à entrer en Grande-Bretagne d’ici 2020. Le World Jewish Relief va s’engager envers 1 000 personnes de ces 20 000 en offrant un programme pilote dans lequel les immigrants apprendront l’anglais des affaires.
Les 50 premiers intégreront une formation à Bradford, et si l’on voit que ce projet est une réussite, nous l’élargirons au New Yorkshire, dans les West Midlands et en Écosse. Cette formation ne sera pas financée par l’appel d’urgence, mais par des donateurs privés », explique Verber.
Et pour ceux qui réussissent à obtenir le statut de réfugiés, une main tendue est toujours nécessaire.

Pour certains, la réponse se trouve dans la planche de salut proposé par Nina Kaye, et son mari, Timothy Nathan. Avec sa sœur Sara, ils ont ouvert une organisation remarquable, Refugees at Home.
Nina Kaye, une femme d’affaires, grande et imposante a eu le déclic lorsqu’elle a vu les images d’Aylan Kurdi.
Nos deux fils ont grandi et ont quitté la maison. Nous nous sommes dits : Il doit y avoir tant de réfugiés destitués, pourquoi ne pas faire bon usage des pièces vides ? Nous avons cherché un moyen de réaliser cela. Nous avons appelé le Refugee Council, nous avons appelé la Croix-Rouge, mais sans succès », raconte Kaye.
Kaye, dont la mère fait partie des enfants acheminés en Angleterre par le Kindertransporte juste avant la Seconde Guerre mondiale, a perdu patience face à ces organismes existants. Il y a un peu moins d’un an, avec l’aide de son mari et de sa belle sœurs, ils se sont lancés dans l’aventure.
Familiers des réseaux sociaux, ils ont créé un site internet et une page Facebook.
Kaye raconte qu’après avoir ouvert cette page, on les a contactés, pour leur dire : « J’ai rencontré un type fantastique, il est à Middlesbrough, mais il doit aller à Londres. Pouvez-vous lui trouver un endroit ou séjourner ? »

Le trio n’aurait pas pu être plus heureux. Ce premier invité, qui a fini par rester chez eux quatre mois, dans leur maison d’Epsom, 20 kilomètres au sud-ouest de Londres, est devenu la star des réfugiés en Grande-Bretagne.
C’est un jeune Syrien, d’Alep, un jeune homme éloquent qui a étudié la littérature anglaise, et dont la vie a effectivement été sauvée par son amour pour la langue anglaise.
Jwan, comme il a demandé à se faire appeler, pour préserver la sécurité de sa famille restée en Syrie, est kurde.
« Nous n’avons pas le droit de nous exprimer dans notre langue maternelle », raconte-t-il. La politique du gouvernement était de faire des Kurdes un peuple oublié.
C’est fin 2012 que les problèmes ont commencé dans le quartier d’Alep où vivait Jwan.
« L’endroit était encerclé pas des radicaux de l’État islamique. Le gouvernement a accusé les Kurdes d’être « les orphelins des Israéliens », donc les deux groupes nous prenaient pour cible », relate Jwan.
Il était clair pour Jwan qu’il ne pouvait pas rester à Alep. Il serait forcé de combattre ‘un côté de l’autre, pour tuer, ou il serait tué lui-même. Quand les radicaux ont commencé à procéder à des décapitations sur la place publique, le jeune homme de 23 ans a su qu’il était temps de partir.
Il a d’abord rejoint les Nations unies et travaillé avec ses équipes au nord de l’Iraq comme traducteur, utilisant ses compétences linguistiques, aidant et conseillant les réfugiés syriens. Mais en 2014, après avoir assisté au massacre des Yézidis, Jwan a décidé de quitter la région.
Après une séries d’aventures atroces, notamment se trouver à l’article de la mort en suffocant après avoir passé neuf heures dans une remorque de farine, Jwan arriva à Calais, où il a de nouveau mis à profit ses talents de traducteur. Il a finalement réussi à atteindre Hull, dans le nord de l’Angleterre, en y entrant illégalement.
C’est un Jwan très reconnaissant qui a été arrêté puis qui « a été traité gentiment, qui a reçu de la nourriture, un médecin, un avocat… ». Il avait déposé sa demande pour l’obtention du statut de réfugié quant il a rencontré Nina et Timothy.
Quelques semaines après s’être installé chez eux, la famille s’apprêtait à célébrer la fête de Hanoukka. Nina Kaye a demandé à Jwan s’il souhaitait rester, craignant qu’il ne se sente mal à l’aise.
« En Syrie j’ai été élevé dans l’idée de haïr les israéliens et les juifs, qu’ils sont nos ennemis et que nous devons les tuer », leur a dit Jwan. « C’est ce que vous voyez à la télévision, et personne ne remet ça en cause. »
C’était pour lui son premier contact avec les juifs, et ça a été une révélation.

« De nombreux juifs m’ont aidé », dit-il. « Et je vois la façon dont ces gens donnent de la nourriture et de l’argent aux réfugiés syriens, la façon dont ils accueillent les réfugiés à bras ouverts et les aident. Et j’ai réalisé que nous avons beaucoup de choses en commun. »
Il s’est rendu à Exeter, pour chercher une place à l’université, et « a séjourné chez une très gentille famille pendant trois jours, et il s’est avéré qu’il était juifs, eux aussi. »
Nina Kaye a déclaré que Refugees at Home est une organisation volontairement exempte de religion, et dont ni les hôtes ni les invités ne sont jugés sur des critères religieux.
Mais elle reconnaît, « les parallèles avec les juifs dans l’Allemagne nazie sont extraordinaires. Les classes moyennes instruites, cultivées, ce sont elles qui s’en sont sorties, ou tout du mois, qui ont été visionnaires. Ceux qui sont entrés illégalement en Europe, il faut de l’argent pour cela. »

“Ma grand-mère est arrivée ici, elle était cuisinière et plongeuse, parce que c’était le seul emploi qu’elle pouvait obtenir. Elle est arrivée en Grande-Bretagne avec un visa domestique. Elle ne pouvait pas faire venir sa fille, ma mère, avec elle. Ma mère est arrivée via le Kindertransporte en Suède à 13 ans, et n’a pas pu quitter le pays avant ses 17 ans. Donc tout cela suscite beaucoup d’échos chez moi », raconte Kaye.
Jwan a retrouvé sa femme et ses deux filles. Il a reçu un poste à la School of Oriental and African Studies, affiliée à l’université de Londres, pour étudier le développement post-conflit, et pense, un jour retourner au Moyen-Orient.
En attendant, Refugees at Home est devenu un élément vital des infrastructures pour les réfugiés et les demandeurs d’asiles en Grande Bretagne.
« Nous ne pouvons pas tout résoudre », raconte Laye, « mais nous avons 120 hôtes, de l’étudiant fauché qui propose un lit pour quelques nuits aux locataires qui ont une chambre supplémentaire. Nous avons placé les visiteurs pour au mois 3 400 nuitées. Ils viennent de Syrie, d’Afghanistan, du Pakistan, du Congo et République Dominicaine. »
En ce qui concerne Jwan, « il est devenu un ami. Il est d’une grande aide, il rend ce qu’il a reçu. »
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