Les Juifs ukrainiens l’affirment : Non, leur pays n’est pas « néonazi »
Prenant les armes aux côtés de leur compatriotes, de nombreux volontaires juifs rejettent l'accusation laissant entendre que l' Ukraine serait un foyer de l'antisémitisme
JTA — Konstantyn Batozsky pense figurer sur une liste de « néo-nazis » à retrouver « dans le pur style de la Gestapo » pour être « exterminés » par les forces russes qui cherchent à entrer dans Kiev.
Batozsky, Juif originaire de l’Est de l’Ukraine, dit avoir appris que « sa tête avait été mise à prix » de la part de sources proches des renseignements ukrainiens. Mais en tant que fervent nationaliste ukrainien de longue date ayant collaboré avec un groupe paramilitaire réputé pour inclure des extrémistes en son sein, il sait très bien que ce sont des gens comme lui que le président Vladimir Poutine a évoqué quand il a fait part de la nécessité de « dénazifier » l’Ukraine – le prétexte avancé par le maître du Kremlin pour justifier son invasion du pays.
« Je reste caché, loin de mon appartement où les Russes vont essayer de me trouver », explique Batozsky qui a trouvé un refuge dans un bunker artisanal en se préparant à ce qui semble être une invasion imminente, alors que les bombes s’abattent sans discontinuer aux abords du centre-ville.
« Je suis heureux d’être en vie », dit-il. « Il me semble dorénavant que chaque journée pourrait être la dernière. »
Il a pris part aux initiatives visant à rassembler les approvisionnements désespérément nécessaires à l’armée ukrainienne.
Initialement content, lors des premiers jours du conflit, de constater la résilience surprenante des Ukrainiens face à l’armée russe beaucoup plus puissante, Batozsky semble dorénavant plus inquiet. Et il est en colère.
« Les Russes avancent et l’Occident ne nous vient pas en aide. Les mots, ça ne suffit pas », déplore-t-il. Batozky supplie les pays occidentaux d’intervenir militairement.
Parmi ceux qui prennent les armes pour la première fois en tant que volontaires pour l’armée civile, des Juifs comme Batozsky – qui s’était passionnément dévoué à la cause nationale ukrainienne à Donestk, sa région d’origine, avant que la Russie ne décide de faire la guerre au pays tout entier. Il avait été, dans le passé, le conseiller du gouverneur de Donetsk, Serhiy Taruta, qui est aujourd’hui membre du parlement ukrainien.
Donetsk est l’une des deux régions orientales où les séparatistes pro-russes, avec le soutien de l’armée russe, s’étaient opposés aux forces ukrainiennes en 2014 et en 2015. Ce conflit latent a été précurseur de l’offensive russe actuelle puisque Donetsk et Luhansk avaient déclaré leur indépendance – une indépendance qui n’est pas reconnue par l’Ukraine.
Certains observateurs aux États-Unis et au-delà peuvent éprouver une certaine perplexité à l’idée de voir des Juifs embrasser le nationalisme ukrainien. Un nationalisme qui, selon ses critiques – et notamment selon Poutine – serait par ailleurs teinté d’antisémitisme.
« Il est clair qu’il y a une mémoire juive des pogroms anti-juifs des Ukrainiens », commente Sergiy Petukhov, ancien vice-ministre de l’Intégration européenne dont la mère et le grand-père vivent en Israël. Né, lui aussi, dans la région de Donetsk, Petukhov se qualifie d’Ukrainien d’origine juive – « comme notre président actuel », explique-t-il en référence à Volodymyr Zelensky.
L’histoire de l’antisémitisme en Ukraine remonte bien plus loin que les pogroms. Dans leurs efforts visant à exterminer les Juifs, les nazis avaient été aidés de manière significative par les Ukrainiens pendant la Seconde guerre mondiale, affirment plusieurs historiens.
Plus récemment, certains des premiers combattants paramilitaires qui s’étaient dressés contre la prise de contrôle de l’Est de l’Ukraine qui avait été soutenue par les Russes, comme les membres du régiment Azov, étaient des extrémistes et des ultra-nationalistes qui n’hésitaient pas à afficher des symboles nazis.
« Je sais que c’est dur pour les Juifs de l’étranger de le comprendre mais leurs actions étaient des actions anti-russes, pas anti-juives », indique Petukov. « Et s’agissant du soutien apporté à la souveraineté et à la culture ukrainiennes, ces éléments sont véritablement minuscules. »
Petukov a intégré aujourd’hui la Garde nationale, un bataillon qui compte entre 900 et 1 500 membres qui rejette ouvertement toute l’idéologie nazie.
Batozsky note avoir travaillé étroitement avec le bataillon Azov pendant le conflit de 2014 en 2015 – un travail réalisé en coulisse, lorsqu’il était consultant politique à Donetsk. C’est ce travail – et sa défense virulente des initiatives prises par les Ukrainiens pour vaincre les séparatistes – qui, selon lui, expliquent que son nom figure dorénavant sur la liste russe des cibles à abattre, et qui lui donne également la conviction de que les accusations russes de « néo-nazisme » en Ukraine sont profondément inexactes.
« C’était des hooligans qu’on retrouvait sur les bancs des stades et qui voulaient attirer l’attention et c’est clair que j’ai eu un choc en voyant des tatouages de croix gammées sur ces types », déclare-t-il en parlant des membres du régiment Azov qu’il a été amené à rencontrer. « Mais j’ai parlé avec eux en permanence du fait que j’étais Juif et des Juifs en général et ils ne m’ont jamais rien dit de négatif. Ils n’avaient aucune idéologie antisémite ».
Et il insiste là-dessus : dépeindre l’Ukraine comme un foyer de haine antijuive est absurde.
« Je ne suis pas pratiquant et pourtant, tout le monde sait que je suis Juif – il faut dire que j’en ai les traits ! Et je n’ai jamais été victime d’antisémitisme de la part des Ukrainiens », martèle-t-il. « Les militaires avec lesquels je travaille maintenant n’ont réellement rien à faire du fait que je sois Juif ».
Ce qui n’est pas le cas, ajoute-t-il, de ses voisins russes. « J’ai eu un professeur russe antisémite au Primaire qui se moquait de moi en appelant mes cheveux longs des payos », se souvient Batozky, utilisant le terme en hébreu désignant les longues boucles que conservent de nombreux hassidiques des deux côtés du visage. Il ajoute que les insultes antijuives étaient nombreuses à l’université d’État de Moscou, qu’il a fréquentée dans les années 1990 – des insultes qu’il n’a plus jamais entendues après être revenu en Ukraine.
Daniel Kovzhun, un résident Juif de Kiev qui était en charge de la logistique pour les unités paramilitaires pendant la guerre dans la région de Donetsk, évoque une expérience similaire.
« Il y avait des Juifs orthodoxes dans le régiment Azov », explique-t-il. « Je le sais parce que j’y étais, sur la ligne de front. Tout le monde se fichait de savoir qui était Juif, tout ce qui nous intéressait était de garder notre pays unifié. »
Comme Batozsky, Kovzhun, qui a vécu et qui a fait des études en Israël avait de retourner à Kiev, a rejoint la toute nouvelle armée civile à Kiev, les forces de défense territoriale – un groupement de volontaires qui s’est formé dans la foulée de l’offensive russe et qui a attiré de nombreux combattants juifs de tout le pays et même de l’étranger.
Professionnel du secteur de la publicité qui dit avoir fait une transition facile vers « la communication de guerre », Kovzhun pense que de nombreux Juifs d’Ukraine soutiennent activement la défense du pays.
« Les Russes commettent des atrocités ici et les Juifs ukrainiens ne garderont pas le silence face à l’injustice. C’est ça, être Juif », déclare-t-il.
La semaine dernière, le gouvernement ukrainien a fourni plus de 20 000 armes de tailles et de formes variées aux civils qui habitent dans la capitale et qui, pour un grand nombre, n’ont jamais ouvert le feu de leur vie.
Parmi eux se trouve Batozsky, qui a dorénavant une Kalashnikov même s’il admet n’avoir « aucune expérience dans le tir, dans l’assemblage ou dans le désassemblage d’une arme ».
Ces derniers jours, alors que Kiev est dorénavant assiégée par les forces russes, Batozsky travaillé 24 heures sur 24, sans relâche ni repos. « Avec des amis, on a créé un dépôt pour les volontaires dans un sous-sol où on collecte et où on distribue tout ce dont les soldats ont besoin », note-t-il.
Comme de nombreux autres Ukrainiens interrogés par JTA dans les villes du pays, Batozsky explique que le moral est bien là.
« En termes de relations humaines, c’est extraordinaire. Les gens font vraiment attention les uns aux autres. Nous partageons tout ce que nous avons entre nous ».
Il ajoute que la situation actuelle, dans les magasins, lui rappelle son enfance soviétique. « Les commerces sont ouverts mais les rayons sont presque vides », dit-il.
Mais comme à l’époque soviétique, c’est l’ingéniosité qui prédomine et qui offre un certain réconfort.
« Les femmes mélangent des cocktails molotov, puis elles font cuire des piroshki – des petits gâteaux qui peuvent durer très longtemps – et elles les amènent aux soldats. Les petits commerces apportent de l’eau potable, les pharmacies nous donnent des médicaments », déclare Batozsky. « Personne ne reste à ne rien faire… L’endroit le plus effrayant où se trouver à Kiev, aujourd’hui, c’est chez soi, devant l’ordinateur. »
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