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“Les Suppliques”, un documentaire sur les lettres des Juifs de France à Vichy

Pendant la Shoah, des milliers de Juifs ont écrit à l'administration, ou directement au maréchal Pétain, qui leur semblait être l'ultime recours

Suite à la débâcle française de 1940, les nazis contrôlent la zone occupée – tout le nord du pays –, et l’État français règne depuis Vichy sur la zone dite « libre ». Tous ordonnent aux Juifs d’aller se faire recenser.

À partir du printemps 1941, qu’ils soient Français depuis plusieurs générations ou naturalisés depuis quelques années, étrangers réfugiés en France ou apatrides chassés de leur pays, ils sont fichés, arrêtés, ou menacés à tout moment.

Des milliers d’entre eux ont alors écrit à l’administration, ou directement au maréchal Pétain, qui leur semble être l’ultime recours. Ces requêtes s’appellent des « Suppliques ». Des hommes, des femmes, parfois des enfants, cherchent donc, comme ils peuvent, par tous les moyens, à desserrer le piège. Ils s’adressent à leurs bourreaux, mais ils ne le savent pas.

Certaines demandaient des nouvelles de proches arrêtés, s’exprimaient contre les lois antisémites, s’interrogeaient sur leur application, affirmaient leur fidélité à Pétain, leur assimilation et leur loyauté à la France, tandis que d’autres se désolidarisaient des Juifs étrangers ou rejetaient ouvertement le régime de Vichy.

« On m’a enlevé ma mère, je suis seul sans ressources, n’ayant pas encore 11 ans… Je demande à votre Majesté le maréchal Pétain… », écrit l’un. « C’est dans un élan de confiance, de prière, que je vous envoie cette lettre », écrit un autre.

Dans une autre missive, un ingénieur SNCF ancien combattant tente d’expliquer que, parmi les Juifs, il y a de véritables Français. Ou encore un patron d’une pharmacie, qui s’interroge, avec le souci de ne pas « contrecarrer l’œuvre de redressement du maréchal », sur ce qu’il doit faire avec sa préparatrice en pharmacie suite aux législations contre les Juifs.

On y trouve encore une lettre d’employés du Jersey de Paris qui signent une pétition pour obtenir la libération de leur patron, sans qui la société est menacée de faillite ; ou une autre, d’un village tout entier, qui réclame la libération de la « plus honnête famille qui soit ».

Dans un texte, un jeune de 20 ans explique avoir « commis l’horrible crime d’être né Polonais », affirmant n’être « qu’un vulgaire Juif, un sale youpin ». Il ajoute par la même occasion qu’il a néanmoins très envie de vivre : « Mais j’ai 20 ans et je veux vivre. Si tout ceci est impossible, fusillez-moi. Je n’ai pas peur de mourir, mais que je meure en homme et pas en chien. »

Ces lettres sont dévoilées dans un documentaire poignant, « Les Suppliques », réalisé par Jérôme Prieur et co-écrit avec l’historien Laurent Joly. Diffusé récemment sur France 3 à l’occasion du 80ᵉ anniversaire de la rafle du Vél’d’Hiv’, il est disponible en streaming sur le site France.TV jusqu’au 8 novembre prochain.

Si plusieurs milliers de lettres ont été retrouvées dans les archives du Commissariat général aux questions juives par Laurent Joly, lors de sa thèse sur cette institution en 2004, seule une trentaine sont présentées dans ce film.

Les envois comme les réponses des administrations destinataires ont ainsi été conservées dans les archives. « Faire la réponse habituelle », peut-on lire sur une enveloppe. Cette « réponse habituelle », qui tenait sur quelques lignes, venait rappeler les nouvelles lois antijuives de Vichy, et l’impossibilité d’y déroger ou de tolérer la moindre exception, illustrant l’impitoyable inhumanité de l’administration.

Lues par des comédiens, les « suppliques » retracent par une approche inédite la persécution des Juifs en France pendant la Shoah, et témoignent de la sidération face à ces évènements. Elles sont présentées sobrement, avec un très bref portrait de leurs auteurs.

Certaines sont parfois les derniers témoignages de ces Juifs qui, après avoir écrit en vain en précisant leur adresse, ont été déportés et assassinés.

Le montage du documentaire est entrecoupé sans commentaire de petits films de propagande vichyste, qui assuraient qu’au même moment le maréchal Pétain protégeait tous les Français.

Le destin de certains auteurs de ces lettres a néanmoins pu être plus heureux : par exemple, Léon Kacenelenbogen, qui, après s’être évadé d’un camp, a eu une existence riche et est mort à 98 ans.

Dans le cadre du documentaire, une application interactive, « Supplique Stories », primée au festival Sunny Side of the Doc, a également été lancée à destination des plus jeunes. Elle imagine des échanges autour d’une douzaine de ces lettres.

Le 11 septembre, France Culture diffusera une version radiophonique des Suppliques, et à l’automne 2023, une création théâtrale de Julie Bertin et Jade Herbulot s’en inspirera.

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