L’ex-présidente de la Cour Suprême alerte contre la politisation du choix des juges
Pour Dorit Beinisch, Israël devrait se méfier des liens entre juges et députés, invitant à ne pas reproduire le système judiciaire américain « construit sur d’autres équilibres »
L’ex-présidente de la Cour suprême, Dorit Beinisch, a mis en garde jeudi contre la politisation de la nomination des juges en Israël.
Ses propos font suite aux conséquences de la nomination par l’ex-président américain Donald Trump de trois juges conservateurs, soit un tiers de la Cour suprême, qui se sont tous rangés du côté de la majorité en invalidant l’arrêt de 1973 Roe v. Wade sur le droit à l’avortement.
Depuis lors, la cour américaine a également rendu des décisions sur le contrôle des armes à feu et la prière.
« Dans une démocratie, les nominations politiques sont un danger », a déclaré Beinisch, citée par le site d’information Ynet, lors d’une conférence à l’Université Reichman de Herzliya.
« Nous savons que les membres de la Cour seront redevables non seulement aux politiciens qui les ont nommés, mais aussi indirectement à ceux qui soutiennent financièrement ou idéologiquement les députés, ce qui peut nuire au système judiciaire », a-t-elle affirmé.
« C’est une affaire très grave. Le rôle de la Cour… depuis la création de l’État a été des plus importants. Soudain, nous entendons ‘tribunal conservateur ou activiste’. Mais est-ce réellement pertinent, dans notre cas, ou est-ce une problématique empruntée aux États-Unis ? », a-t-elle interrogé.
« C’est un pays différent, avec une très vieille constitution et un engagement envers une constitution. Il y a un Congrès, un Sénat et tout un système de pouvoirs et contre-pouvoirs », a expliqué Beinisch.
« Nous ne devrions pas nous tourner vers d’autres systèmes construits sur des problématiques sociales différentes, avec des pouvoirs et contre-pouvoirs différents », a-t-elle poursuivi. « Nous avons beaucoup de choses à développer au sein de notre propre système, car il y a eu – et il y a encore – des tentatives politiques pour limiter les compétences de la Cour, pour réduire ses pouvoirs. »
« Tout n’est pas parfait. Il est possible de se tromper – c’est humain – mais l’indépendance et le professionnalisme sont les valeurs qui devraient nous guider avant tout », a martelé Beinisch.
Les politiciens de droite critiquent depuis longtemps la composition et les décisions de la Cour suprême israélienne, qu’ils jugent trop libérale, et appellent à limiter drastiquement ses pouvoirs en matière de contrôle judiciaire.
Le chef de l’opposition, Benjamin Netanyahu, n’a d’ailleurs pas épargné ses critiques envers le système judiciaire, au cours de son procès pour corruption.
Le mois dernier, les députés du Likud, Shas, YaHadout HaTorah et du parti Sionisme religieux ont soumis un projet de loi en vertu duquel les juges de la Cour suprême, président et vice-président, seraient nommés par le gouvernement et approuvés par un vote à la Knesset en session plénière.
En vertu du système actuel, les juges sont choisis par la commission de sélection des juges, composée de ministres, de députés et de juges.
Les députés de droite affirment que la Cour Suprême a outrepassé à plusieurs reprises son pouvoir dans des décisions qu’ils jugent « gauchistes » et « antidémocratiques ».
À la suite d’une décision de la Cour Suprême, l’an dernier, qualifiant la loi de la Knesset permettant au Premier ministre de l’époque, Netanyahu, de continuer à financer les agences de l’État sans adopter de budget, « d’abus d’autorité de la Knesset », les députés de droite avaient accusé la Cour de « coup d’État ».
Le ministre de la Justice, Gideon Saar, a plaidé en faveur de réformes au sein du système judiciaire, comme des audiences publiques télévisées pour les candidats à la Cour suprême et la scission du poste du Procureur général en deux postes.
Lorsqu’elle était ministre de la Justice, l’actuelle ministre de l’Intérieur, Ayelet Shaked, a tenté de réformer la Cour Suprême pour en limiter les pouvoirs.
Selon une information publiée vendredi, Shaked pourrait revenir au ministère de la Justice dans le cadre d’un remaniement ministériel de courte durée, préalable aux élections du 1er novembre.