L’interdiction des essais nucléaires, la théorie et la pratique
Lassina Zerbo, le secrétaire exécutif du Traité d’interdiction complète des essais nucléaires (TICE), a plaidé pour la ratification par Israël du traité d’interdiction complète des essais nucléaires lors de son voyage à Jérusalem
Mitch Ginsburg est le correspondant des questions militaires du Times of Israel
En théorie, le Traité d’interdiction complète des essais nucléaires (TICE) est perçu favorablement en Israël. Après tout, Israël n’a plus de raisons de procéder lui-même à ces tests – il l’aurait fait dans l’Atlantique Sud en 1979 – et il a toutes les raisons de vouloir connaître, rapidement et précisément, qui, dans la région, aurait pu effectuer ces tests.
Mais dans une région avec une histoire riche de programmes clandestins d’armes nucléaires, où la marée en surface semble toujours pencher pour la non-prolifération alors que les courants sous-marin tendent vers la sécurité de l’arme ultime, le TICE apparaît un peu comme une proposition à double tranchant.
Premièrement, la bonne raison. Le traité, qui a été signé par 183 pays et qui vise à détecter et interdire tous les essais nucléaires, a été largement couronné de succès. Le régime de vérification se compose d’environ 300 installations dans le monde entier. Il surveille l’activité sismique au sein de la terre, les ondes sonores dans les océans, les infrasons sur la surface, et les particules de radionucléides dans l’air.
En 2006, les stations de surveillance ont réussi à capter un test d’armes nucléaires en Corée du Nord en temps réel, en excluant un tremblement de terre, et ont « ont senti » de l’isotype xénon, qu’ils ont été en mesure d’isoler avant de remonter jusqu’à la Corée du Nord. Ils ont ainsi pu proposer un « pistolet encore fumant » à la communauté internationale, rappelle le docteur Lassina Zerbo, le directeur exécutif du traité d’interdiction complète des essais nucléaires au Times of Israel.
En 2013, cependant, il a fallu 55 jours pour détecter le gaz rare radioactif du test nucléaire de la Corée du Nord : elle a été menée dans une chambre étanche et le gaz piégé n’a pas fui immédiatement à travers les fissures de la terre.
Et pourtant, Zerbo, qui était en Israël pour discuter d’un récent exercice sur le terrain du TICE organisé en Jordanie – et il a insisté pour que la conférence pour le suivi de ces tests soit tenue en Israël, malgré les réticences régionales – a présenté à juste titre le traité comme « une porte verticale et horizontale » empêchant la prolifération.
Le côté vertical, explique-t-il, empêche ceux qui possèdent les armes nucléaires de les améliorer, et le côté horizontal arrête les personnes en quête de leur première bombe de prendre le chemin nécessaire pour franchir le seuil.
Même le ministre des Renseignements, Yuval Steinitz, lors d’une réunion avec Zerbo qui s’est tenue la semaine dernière, a déclaré que la ratification par Israël du TICE « relevait du quand » et non du si.
Pour que le traité entre en vigueur, il doit être signé et ratifié par 44 pays titulaires d’une technologie nucléaire spécifique. Huit pays manquent toujours à l’appel : la Chine, la Corée du Nord, les États-Unis, l’Inde, le Pakistan, l’Egypte, Israël et l’Iran.
« Je crois qu’Israël sera le premier à ratifier [le TICE] parmi les huit Etats restants », a déclaré la semaine dernière Zerbo.
Et il pourrait bien avoir raison – partiellement en raison du fait que les négociateurs des P5 + 1 n’ont pas exigé que l’Iran ratifie le traité comme préalable aux négociations. Mais Israël a plusieurs raisons d’être inquiet.
L’ambassadrice d’Israël à l’Agence internationale de l’énergie atomique, Merav Zafary-Odiz, et représentante permanente auprès de l’Organisation du Traité d’interdiction complète des essais nucléaires, a énuméré trois réserves centrales lors d’un panel au Carnegie Endowment le 23 mars.
« Tout d’abord, Israël aborde la ratification, comme toutes les autres questions liées à la sécurité, notamment dans le contexte régional », a-t-elle expliqué, assise aux côtés Zerbo.
La non-prolifération et le contrôle des armes peuvent sembler prometteurs en théorie, mais dans une région où plusieurs Etats ont développé clandestinement des projets nucléaires, « les calculs plus larges d’Israël sont directement liés aux réalités politiques régionales ».
Deuxièmement, a-t-elle soutenu, il y a le caractère incomplet du régime de vérification. Il existe actuellement deux stations de surveillance sismique qui ne se sont pas encore été établies dans la région, et l’Iran, qui a construit une station, l’a fermée à double tour et refuse désormais de transférer les données à Vienne.
C’est important, non seulement pour détecter les essais d’armes, mais aussi afin de se prémunir contre de fausses accusations. « Je ne sais pas combien d’entre vous le savent, mais souvent quand il y a des tremblements de terre majeurs au Moyen-Orient, Israël est accusé à tort d’avoir procédé à un essai nucléaire », souligne-t-elle.
Troisièmement, elle a affirmé qu’Israël, en vertu du traité, est membre d’un groupe régional appelé MESA – Moyen-Orient et Asie du Sud.
« Cependant, le groupe est paralysé depuis près de 19 ans parce que certains membres de ce groupe ne reconnaissent pas l’existence de l’Etat d’Israël et bloquent son fonctionnement. »
Ceci est un point crucial, insiste-t-elle, parce que « nous voulons faire en sorte que nous puissions être représentés dans le futur conseil exécutif » – l’organisme qui sera chargé de faire respecter le traité une fois qu’il aura été ratifié par les huit Etats manquants.
Enfin, il y a l’épine dans le pied : le Traité de non-prolifération (TNP) dont Israël n’est pas signataire. Zerbo, parlant de l’objectif d’un avenir sans armes de destructions massives (ADM) au Moyen-Orient, fait référence au TICE comme étant « le fruit à portée de main » et au TNP comme un objectif plus éloigné.
« De nombreux Etats de la région lient leur ratification du TICE au fait qu’Israël devienne un Etat-membre du TNP », a déclaré Zafary-Odiz.
« Et je pense que l’abandon de cette position démontrera certainement une approche plus pragmatique et pratique pour les entreprises sécuritaires au Moyen-Orient et contribuera ainsi au renforcement de la confiance qui fait tant défaut dans la région. »
Ce qui signifie, lorsqu’on traduit ces propos de la langue diplomatique en français : « ça n’arrivera pas ».