Mais qui peut bien vendre des masques sur le thème de la Shoah et pourquoi ?
Un homme de 28 ans vend des masques avec des images de chambres à gaz et de rassemblements nazis pour dénoncer un complot qui, selon lui, pourrait entraîner une nouvelle Shoah
JTA — Ces masques faciaux n’ont rien de subtil : Sur l’un d’entre eux, la tristement célèbre photo d’une mère juive et de son enfant, les mains levées, le dos tourné face aux canons des armes nazies. Sur un autre, l’image facilement identifiable d’un crématorium dans un camp de la mort.
La description du produit, sous le masque représentant la mère et son fils, stipule : « Autre image osée qui transmet le message sans être outrageusement offensante ». Le masque est proposé au prix de 12,44 dollars.
Ces masques – et d’autres produits similaires – sont présentés à la vente sur internet sur le site HolocaustFaceMasks.com. On y trouve des photos de rassemblements nazis ou d’un camp d’internement pour les Japonais aux Etats-Unis. Sur un tee-shirt proposé à l’achat, sur le site, trois photos en ordre croissant : La première, un masque facial tout à fait banal, la seconde, une photo de Juifs en rangs, prêts à entrer dans un ghetto et sur la troisième, l’image d’un camp de concentration nazi.
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Vous avez probablement compris le message. Mais si ce n’est pas le cas, le créateur du site internet explique les choses sur la page d’accueil : « Notre objectif ici est de rappeler ce qu’il peut arriver lorsque des millions de personnes suivent ce qui ressemble à des ‘ordres’ et à des ‘règles’ innocentes », est-il écrit.
« Au moment de la Shoah, les populations n’avaient pas d’exemple récent du Mal, ce qui leur aurait permis de rester vigilants et de s’inquiéter des maux qui s’annonçaient. Nous avons pour notre part un tel exemple », continue le créateur du site.
Malgré la description des produits, l’idée de comparer une obligation liée à la santé publique au génocide de six millions de personnes m’a semblé très offensant en ce ce qui me concerne – et cela a été le cas également de nombreuses personnes qui ont pu entendre de telles comparaisons (un responsable Républicain du Minnesota a démissionné, cette semaine, après avoir posté un meme sur cette thématique).
J’ai donc envoyé un courriel à l’adresse du site, en espérant découvrir qui en était à l’origine et si cette personne avait réfléchi au fait que ses produits proposés à la vente pourraient être considérés comme blessants, voire même antisémites.
La réponse a été rapide. Le créateur du site, qui s’est présenté sous le nom de Tyler Kozdron, m’a dit qu’il pensait que l’obligation de porter le masque pourrait entraîner quelque chose qui pourrait ressembler à la Shoah, « peut-être même plus grave ». Et il m’a confié qu’il n’avait aucun problème à l’affirmer.
« J’ai choisi des images de la Shoah parce que je n’aurais jamais pu trouver de meilleures images pour exprimer ce sentiment que tout nous a été dorénavant retiré. Et je suppose que certaines personnes ne comprennent pas cela parce qu’elles n’ont pas encore elles-mêmes ressenti cela dans leur vie », m’a écrit Kozdron. « Ou peut-être que pour elles, porter un masque n’entraîne pas ce sentiment – mais pour moi, c’est le cas ».
Dans l’échange de courriels qui a suivi, Kozdron s’est montré réticent à parler de lui en raison, a-t-il dit, « des innombrables menaces de mort que je reçois ». Il m’a toutefois informé de son âge – 28 ans – et il m’a confié être le descendant d’immigrants polonais venus aux Etats-Unis au moment de la Seconde Guerre mondiale. Ex-employé dans une station-service quelque part aux Etats-Unis, c’est l’expérience de la pandémie sur son lieu de travail, raconte-t-il dans un courriel, qui l’a convaincu que les mesures adoptées aux Etats-Unis manquaient fondamentalement de sérieux, parce qu’un grand nombre des règles à suivre pendant son activité professionnelle lui paraissaient non seulement insensées, mais inefficaces.
Et c’est ainsi, ajoute-t-il dans son courriel, qu’il en est arrivé à « penser que : Et si tout cela faisait partie de quelque chose de bien plus grand ? J’ai beaucoup lu sur la Shoah, je comprends comment les gens peuvent se faire manipuler. Et pour moi, personnellement, il y a quelque chose qui cloche là-dedans ».
Kozdron a précisé qu’en date de mardi soir, il avait seulement vendu moins d’une dizaine de masques. Les responsables de la santé publique, et notamment le CDC, ont vivement recommandé le port du masque pour aider à stopper la propagation de la COVID-19.
Les groupes de veille qui se consacrent à l’antisémitisme le disent d’une même
voix : La comparaison de la Shoah à des événements non-génocidaires sont une banalisation inacceptable de la tragédie – et ils ont eu de multiples opportunités de le rappeler au cours d’une vague de comparaisons qui ont pu associer port du masque facial et fascisme nazi, ces derniers mois.
Le 5 juillet, Jonathan Greenblatt, directeur-général de l’ADL, avait écrit sur Twitter que « comparer les directives résultant de la pandémie de COVID-19 au massacre de six millions de personnes pendant la Shoah est immonde, mensonger et cela n’a pas sa place dans notre société ».
C’est la première fois qu’il entreprend une telle initiative, dit Kozdron dans un courriel. Et au vu de l’expérience qu’il est en train de vivre, il est probable qu’il ne recommencera pas. Mais il ne présente pas d’excuses. Il estime, en fait, qu’il « contribue à sa non-banalisation en rappelant la Shoah aux consciences dans ce contexte spécifique ».
Savez-vous qui, selon lui, banalise la Shoah ? Ce sont les Juifs.
« Il me semble qu’il y a un grand nombre de Juifs, ici, qui veulent conserver la Shoah comme une sorte de piédestal de vertu sur lequel ils peuvent s’appuyer lorsqu’ils ont une opportunité, dans leur vie, de se montrer condescendants envers quelqu’un d’autre sans craindre de représailles ou de retour », écrit-t-il, faisant écho à un trope antisémite laissant entendre que les Juifs utilisent la Shoah comme bouclier face aux critiques.
« Si vous me le demandez, je vous dirais que les Juifs qui utilisent constamment la Shoah pour pouvoir se laisser aller à des paroles désagréables, c’est ça qui ‘banalise la Shoah’, » continue-t-il.
Il ajoute que si un survivant devait lui envoyer un courriel pour lui demander de fermer le site, il le ferait. Mais ce n’est apparemment pas arrivé.
Mais il semble néanmoins très déçu par les Juifs. Ces derniers, a-t-il écrit, « plus que n’importe quelle autre population, peuvent faire preuve d’une telle cécité face à ce qu’est devenu aujourd’hui le monde ».
« Là encore », ajoute-t-il, « les rumeurs stéréotypées pourraient dire que ce sont les Juifs qui dirigent le changement sociétal ».
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