Mercure: Un chercheur recommande de ne pas manger de poissons de la baie d’Akko
Une ONG dépose plainte pour dénoncer ce qu'elle qualifie d'échec de l'Etat et du secteur privé à nettoyer un site industriel contaminé au mercure qui a empoisonné la vie marine
Sue Surkes est la journaliste spécialisée dans l'environnement du Times of Israel.
Cela fait des années que les autorités de l’Etat ont connaissance des niveaux inquiétants de mercure retrouvés dans la plus grande partie des poissons frais qui attirent les locaux, les visiteurs et les touristes dans les restaurants du bord de mer de l’ancienne vieille ville croisée d’Akko, sur la côte du nord de la méditerranée.
Mais malgré les rapports de contrôle, les publications scientifiques, la couverture des médias et les débats à la Knesset, dans les ministères gouvernementaux et devant les tribunaux, la pêche et la vente de poisson local continuent sans flétrir et ce malgré les avertissements lancés en direction du public – et l’ancien site industriel contaminé situé sur le front de mer, à la source de cette pollution au mercure, reste accessible à tous.
Frustrée face à ce qu’elle considère comme des tentatives ratées d’obliger les pollueurs – ou ceux qui ont hérité du désastre – à payer pour le nettoyage, l’organisation de défense de l’environnement Zalul, ainsi que deux résidents du secteur et l’avocate Jameela Hardal-Wakim du groupe Citoyens pour l’environnement ont demandé à la cour de district de Haïfa, au début du mois, d’approuver un recours collectif contre les propriétaires actuels du site, Delek Yam Maagan 2011, et l’entreprise à laquelle ils l’avaient acheté, il y a neuf ans.
Dans un documentaire intitulé HaTsinor et qui a été diffusé sur la Treizième chaîne, au début du mois, la directrice de Zalul, Maya Jacobs, estime que ce site est de « ce que nous avons de plus proche de Tchernobyl en Israël ».
Delek Yam est une filiale du Delek Group, dont l’actionnaire majoritaire est le magnat du gaz naturel Yitzhak Tshuva.
Si elles parviennent à s’amasser dans le corps, de grandes quantités de diméthylmercure – un type de mercure particulièrement toxique qui s’accumule chez les créatures vivantes – peuvent s’attaquer au système nerveux. Elles peuvent créer des défaillances au niveau du développement du cerveau du fœtus chez la femme enceinte.
Tout avait commencé avec l’installation de l’entreprise Electrochemical Industries (ECI), qui avait commencé ses activités en 1956 et qui a été liquidée en 2004. Elle produisait du chlore et du chlorure de polyvinyle (PVC).
Au cours de ses vingt premières années d’activités, l’usine avait rejeté ses déchets toxiques à la mer. Elle avait ensuite reçu pour instruction de gérer ses eaux usées de manière appropriée, après quoi le niveau de mercure avait baissé chez les poissons.
Mais entre 2006 et 2014, des enquêtes annuelles réalisées par l’Institut de recherche océanographique et limnologique (IOLR) avaient enregistré une tendance à la hausse du niveau de mercure chez certaines espèces de poissons comestibles, au point qu’en 2012, presque un cinquième de tous les spécimens analysés contenait des traces de mercure allant bien au-delà des recommandations préconisées par le ministère de la Santé pour une consommation sûre.
Pour des raisons qui font encore l’objet d’une enquête, les niveaux avaient commencé à baisser après 2012, puis ils avaient encore augmenté en 2015 et 2016 avant de chuter en 2019 à un niveau sûr pour la consommation – le meilleur taux jamais enregistré.
Les chercheurs ne travaillent néanmoins que sur un seul échantillon par an et ils ne peuvent pas savoir si le poisson qui leur a échappé ne présentait pas, lui, une forte concentration de mercure.
En 2015, le ministère de l’Environnement avait demandé à l’IOLR d’identifier la source de la contamination des poissons dans la baie de Haïfa. Les résultats, rendus publics en 2017, avaient révélé que le mercure dans les espèces marines se retrouvait de manière plus importante dans le nord que dans le sud de la baie, et avait remonté la trace de la pollution jusqu’aux terrains sur lesquels l’usine avait été bâtie, avec des concentrations de mercure jusqu’à 75 fois plus élevées que ce que mentionnent les directives existantes pour l’eau de mer.
L’étude avait également découvert des niveaux de mercure plus importants dans les espèces marines vivant au large de Shavei Tzion, un moshav sur le front de mer situé à environ sept kilomètres au nord de l’usine.
L’usine avait fermé ses portes après un incendie massif et hautement toxique, laissant intacts le sol et les eaux souterraines pollués. Les liquidateurs avaient transmis le contrôle du site au ministère de l’Environnement qui avait procédé à un nettoyage très partiel des déchets.
En 2005, un recours collectif avait été déposé contre l’usine, son propriétaire américain, John Ferber, et les ministres de l’Environnement, de l’Industrie et du Commerce au nom de 80 employés de l’usine, dont certains étaient déjà décédés, demandant une indemnisation pour le développement de maladies comme le cancer qui avaient été entraînées par l’exposition à des substances toxiques alors qu’ils travaillaient à l’usine.
Trois ans plus tard, un tribunal avait approuvé le versement d’une somme de onze millions de shekels et les compagnies d’assurance de l’usine avaient dû régler 70 % de la facture. L’Etat, pour sa part, avait dû assumer 20 % de la somme, le restant étant partagé entre plusieurs acteurs – notamment John Ferber, qui avait dû donner 5 % du montant.
Les empoisonnements au mercure ont déjà été étudiés dans la ville japonaise de Minamata, qui devait donner son nom à la maladie entraînée par l’exposition aux eaux usées industrielles polluées par le mercure ainsi qu’à un accord international qui a été signé en 2017, et qui a été notamment ratifié par Israël.
En 2011, le site avait été racheté par Delek Yam Maagan 2011, qui avait alors l’intention de construire un entrepôt de stockage de gaz naturel – un plan qui avait été écarté, un an plus tard, par le ministère de la Défense. Dans le contrat d’acquisition, la compagnie endossait la responsabilité totale du nettoyage du site.
Il y a cinq ans, alors que les conclusions de l’étude menée par l’IOLR commençaient à être rendues publiques, Rani Amir, haut-responsable du ministère de l’Environnement chargé de l’environnement marin, avait averti les ministères de la Santé, de l’Agriculture et de l’Intérieur, ainsi que le conseil municipal d’Akko, que la plage polluée restait libre d’accès.
Il avait recommandé de clôturer les lieux et d’installer des panneaux d’avertissement contre le danger représenté par la baignade, proposant même d’interdire purement et simplement cette dernière (une clôture a été dressée du côté de la route menant à l’usine, mais le site est encore accessible depuis la plage). Il avait également appelé le ministère de la Santé et le conseil municipal à tester des échantillons de sable et d’eau de mer pour examiner la présence de mercure sur les plages officielles d’Akko. Les échantillons du ministère de la Santé avaient révélé une « pollution continue et hautement inquiétante au mercure », réclamant également que la pêche soit interdite dans la zone – en vain.
Dans un avis professionnel soumis à la cour, l’économiste et ancienne scientifique en chef du ministère de l’Environnement, Sinaia Netanyahu, précise que les dommages subis par la santé publique et l’environnement, au cours des années d’exploitation de l’usine, s’élèvent à des milliards de shekels. Aujourd’hui, le coût annuel issu de la contamination des nappes phréatiques, des plages et des écosystèmes marins peut être estimé à 260 millions de shekels, écrit-elle.
Un communiqué émis par Delek Yam Maagan, qui a été notifié de la plainte déposée au tribunal au mois d’avril, a expliqué que le site avait été acheté à l’Etat dans un environnement déjà pollué après des décennies de négligence. « Dans le cadre de l’acquisition de ces terrains, Yam Maagan a promis de nettoyer la parcelle et de la mettre dans un état suffisant pour le développement et l’avancée d’un projet mené par l’entreprise avec un investissement de millions de shekels », continue le communiqué.
Des sources liées à la compagnie ont indiqué au Times of Israel que Delek Yam avait d’ores et déjà investi des dizaines de millions de shekels pour nettoyer les produits polluants et réaliser des études, et que la firme fournirait un rapport complet sur le traitement et la remise en état du site aux autorités au cours du premier trimestre 2021.
Interrogé sur la consommation de poisson dans les restaurants d’Akko, Jack Silverman, éminent chercheur à l’IOLR, a indiqué que « si vous demandez au propriétaire d’où vient le poisson et qu’il vous répond qu’il vient de la baie d’Akko, je vous conseille d’éviter de le commander ».