Netanyahu et Israël doivent gagner mais les enjeux pour Biden sont aussi considérables
La réélection, la vision régionale et la conviction de l’importance de respecter le droit de la guerre du Président américain dépendent de la réponse d'Israël au massacre du Hamas
Joe Biden semble avoir trouvé ses marques après les attentats du 7 octobre.
Confronté à des sondages effrayants dans son propre pays et à une rumeur de plus en plus pressante au sein de son propre parti quant à la sagesse de réélire un homme de 80 ans, Joe Biden est soudain devenu l’homme qu’il fallait au moment où il le fallait.
Au cours de sa visite de six heures en Israël mercredi, Biden a parlé avec fermeté et éloquence, des horreurs de l’assaut du Hamas sur les villes et les kibboutzim israéliens, des associations douloureuses que le massacre a suscitées chez les Juifs du monde entier, et du soutien moral et matériel de l’Amérique à son allié en deuil.
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Biden, qui est venu affiché son soutien à Israël à Tel Aviv, représentait bien plus que le leader du monde libre. C’était aussi « Oncle Joe », ce politicien local irlando-américain typique, avenant et amical, à l’aise avec tout le monde, des dirigeants du monde aux simples citoyens. À peine descendu de l’avion, il a réussi à faire sourire le Premier ministre Benjamin Netanyahu et le Président Issac Herzog, qui l’ont accueilli le regard sombre et grave. Il a serré Rachel Edry dans ses bras alors qu’elle lui racontait comment elle avait donné des biscuits aux terroristes dans sa maison jusqu’à ce que les équipes d’intervention d’urgence les éliminent. Et il a puisé dans sa propre douleur, celle d’avoir perdu brutalement sa femme et sa fille dans un accident de voiture puis un fils, pour offrir un message de réconfort sincère à des Israéliens dévastés.
Mais tout au long de ses déclarations publiques et de ses rencontres, il régnait une atmosphère empreinte d’inquiétude quant à la tournure que pourrait prendre la guerre.
Et Biden a de bonnes raisons de s’inquiéter.
Les enjeux ne pourraient être plus élevés. Tout dépend de la réponse d’Israël aux attaques sans précédent du Hamas : l’avenir politique de Joe Biden, sa vision du Moyen-Orient et l’idée même que le mal peut être vaincu par la voie libérale de la guerre.
Des progressistes mécontents
À chacune de ses apparitions devant un micro à Tel Aviv, Biden – ou ses principaux collaborateurs – s’est empressé de souligner que les États-Unis étaient très préoccupés par le sort des civils palestiniens et qu’Israël devait impérativement faire tout ce qui était en son pouvoir pour éviter de leur faire du mal.
« La grande majorité des Palestiniens ne font pas partie du Hamas. Le Hamas ne représente pas le peuple palestinien », a insisté Biden.
« Le peuple palestinien souffre lui aussi énormément », a déclaré le Président. « Nous pleurons la perte de vies palestiniennes innocentes. »
« Le monde nous regarde », a-t-il déclaré à Netanyahu devant les caméras. « Israël repose sur un ensemble de valeurs, tout comme les États-Unis et les autres démocraties, et le monde nous observe pour voir comment nous allons nous comporter », a-t-il ajouté devant les caméras.
Ce n’est pas tant que les États-Unis soient réellement préoccupés par les tactiques de Tsahal en tant que telles. Lorsque les forces américaines se sont retrouvées face à des ennemis bien implantés dans les villes du Moyen-Orient, elles n’ont pas non plus été en mesure d’éviter de lourdes pertes civiles. La coalition dirigée par les États-Unis et les forces irakiennes ont tué des milliers de civils lorsqu’elles ont pris le contrôle de l’ouest de Mossoul aux combattants de l’État islamique (EI) en 2017.
Les accusations de crimes de guerre des organisations internationales et la réponse de l’armée américaine ont rappelé le discours autour des opérations israéliennes contre les terroristes dissimulés parmi les civils.
« Avec leurs capacités de ciblage rudimentaires, les armes [des forces soutenues par les États-Unis] ont fait des ravages dans l’ouest de Mossoul, densément peuplé, où de grands groupes de civils étaient piégés dans des maisons ou des abris de fortune », a écrit Amnesty International. « Même lors d’attaques atteignant la cible militaire visée, l’utilisation d’armes inadaptées ainsi que le fait de ne pas avoir pris d’autres précautions nécessaires ont entraîné des pertes inutiles en vies civiles et, dans certains cas, ont constitué des attaques disproportionnées. »
À l’époque, un général de l’armée de l’air avait répondu à ces accusations par une défense qui aurait pu sortir de la bouche d’un officier israélien : « Nous utilisons les armes les plus précises et les plus [intelligentes] possibles et disponibles dans le monde pour éviter de cibler des civils. »
Il avait également souligné que « compte tenu de la nature de cette guerre, il y aurait des victimes civiles, mais je peux vous assurer que pour être efficaces, il nous faut apporter notre soutien aux forces de sécurité irakiennes, et c’est ce que nous avons fait ».
Ce qui inquiète Biden, par contre, c’est le fait que les opérations israéliennes font l’objet d’un examen disproportionné dans son pays et dans le monde entier, et que cela risque de lui compliquer sérieusement la tâche.
Si l’amour et l’intérêt de Biden pour Israël et le peuple juif sont sincères et de longue date, il n’en reste pas moins qu’il doit affronter le croquemitaine des démocrates, Donald Trump.
Et qu’il aura besoin du soutien du plus grand nombre d’électeurs possible. Dans la plupart des sondages, Biden ne devancerait Trump que d’un point de pourcentage si les élections générales avaient lieu aujourd’hui, certains montrant même Trump en tête.
L’aile progressiste du parti démocrate n’a jamais été très enthousiaste dans son soutien au Président. Il avait été choisi par l’establishment en 2020 pour empêcher Bernie Sanders et Elizabeth Warren d’obtenir l’investiture du parti démocrate.
Lors de sa campagne, Biden avait explicitement promis de rouvrir aux Palestiniens la mission de l’OLP dans la capitale et le consulat des États-Unis à Jérusalem, de faire avancer les politiques en faveur d’une solution à deux États et de s’opposer à l’expansion des implantations. Il n’a tenu aucun de ces engagements et ses déclarations de soutien ferme à Israël.
De plus, avec un professeur d’extrême gauche indépendant, Cornel West, qui recueille environ 5 % des voix, les progressistes désabusés ont là un terrain propice à un vote de protestation qui pourrait suffire à faire franchir à Trump la ligne de démarcation.
Il lui faudra donc les garder dans ses rangs sans s’exposer aux attaques de Trump ou d’autres Républicains qui l’accuseront de ne pas être fiable dans son soutien à Israël, ou d’être complice de Tsahal dans le cas d’une éventuelle lutte militaire visant à limiter la liberté d’action de l’Etat hébreu.
La vision ambitieuse de Biden pour le Moyen-Orient
L’évolution de la guerre déterminera également la viabilité de la vision de Biden d’un bloc pro-américain au Moyen-Orient.
Son administration était impatiente de franchir les prochaines étapes du projet bipartisan américain consistant à se retirer du Moyen-Orient pour se concentrer sur la Chine et, plus tard, sur la Russie. L’objectif était de régler la question du nucléaire iranien en concluant un nouvel accord à long terme, de placer les droits de l’homme au centre des relations avec les alliés arabes et de mettre fin à 20 ans de guerre en Afghanistan.
Bien que Biden ait atteint ce dernier objectif, il a appris la leçon que les précédents présidents américains ont également apprise à leurs dépens : l’Amérique ne peut pas se désengager du Moyen-Orient.
Alors que les prix de l’énergie ont grimpé dans le sillage de l’invasion russe de l’Ukraine et que les conflits à Gaza, au Yémen et ailleurs réclamaient son attention, Joe Biden a changé son fusil d’épaule. En juillet 2022, il s’est rendu en Israël et en Arabie saoudite pour « entamer un nouveau chapitre, plus prometteur, de l’engagement américain dans cette région ».
Son administration s’est également engagée dans plusieurs cadres multilatéraux, comme le Forum du Neguev, l’I2U2 et les pourparlers d’Aqaba et de Charm el-Cheikh. Bien qu’elle ait initialement refusé d’en prononcer le nom, la Maison Blanche s’est finalement engagée à élargir les accords d’Abraham.
Ensuite, en mars, l’Arabie saoudite et l’Iran ont conclu un accord à Pékin. Un réveil brutal pour les Américains qui ont alors compris que s’ils laissaient un vide au Moyen-Orient, il serait rapidement comblé par la Chine, l’Iran et la Russie.
En septembre, les États-Unis et leurs alliés du G20 ont annoncé la création d’un ambitieux corridor ferroviaire et maritime reliant l’Inde au Moyen-Orient, à Israël et à l’Europe, afin de faire contrepoids au projet chinois Belt and Road. Lors de son voyage, Biden avait annoncé ce corridor comme un moyen de créer « un avenir de paix, de sécurité et de prospérité accrues ».
« Cela pourrait marquer le début d’une ère de coopération encore plus grande », prédisait-il à l’époque.
L’administration Biden s’est également fortement appuyée sur les tentatives de normalisation entre Israël et l’Arabie saoudite, lesquelles exigeaient des engagements américains en matière de défense vis-à-vis de Ryad, pour maintenir les Saoudiens dans le giron américain sur le long terme.
Aujourd’hui, c’est la totalité de la vision régionale de Biden, partie intégrante de sa stratégie contre les principaux adversaires des États-Unis, à savoir la Chine, la Russie et l’Iran, qui est remise en question. Les pays arabes pro-occidentaux – à l’exception du Qatar – méprisent tous le Hamas et ne voient aucun inconvénient à ce qu’Israël fasse ce qui lui semble nécessaire avec le groupe, mais ils sont pour le moment plus concernés par le sentiment de la rue. L’antisémitisme est endémique dans ces pays, et la cause palestinienne reste chère à la population.
Les dirigeants arabes, déjà critiqués au niveau national pour leur complicité avec les Américains et les sionistes, ne peuvent pas se permettre d’être considérés comme étant complices de la mort de milliers de Palestiniens, alors que des millions d’Arabes voient les images de la guerre sur leur téléphone et dans leur salon.
Ces dirigeants préféreront se retirer de toute initiative multilatérale émergente avec Israël plutôt que de mettre en péril leur propre régime et leur survie personnelle.
La Russie et la Chine, quant à elles, se montreraient ravies d’intervenir au moindre signe d’abandon des projets américains par ces dirigeants arabes pro-occidentaux, à qui elles offriraient des armes et de l’argent sans aucune exigence en matière de droits de l’homme, et sans demander de soutien à Israël dans sa guerre contre le Hamas.
Le droit de la guerre
Cette guerre a un enjeu encore plus important : les démocraties libérales peuvent-elles vaincre des régimes et des organisations qui rejettent les valeurs chères à Biden ?
La première bataille a commencé en février de l’année dernière. Sous la présidence de Biden, les États-Unis ont fourni plus d’aide militaire à l’Ukraine que le reste du monde réuni, dans le but d’aider le gouvernement pro-occidental de Kiev à repousser les tentatives de Vladimir Poutine de ramener le pays dans son orbite.
Aujourd’hui, une nouvelle guerre fait rage aux frontières d’une autre démocratie. C’est l’occasion pour Biden de prouver que la voie démocratique n’est pas seulement la plus décente et la plus juste, mais aussi la plus puissante en vertu des valeurs mêmes qu’elle cherche à protéger.
« Vous êtes aussi une démocratie », a affirmé Biden en Israël. « Tout comme les États-Unis, vous ne vivez pas selon les règles des terroristes. Vous vivez dans le respect de l’État de droit. Lorsque des conflits éclatent, vous respectez le droit de la guerre. »
« Ce qui nous différencie des terroristes, c’est que nous croyons en la dignité fondamentale de toute vie humaine : israélienne, palestinienne, arabe, juive, musulmane, chrétienne, tout le monde. Vous ne pouvez pas renoncer à ce qui fait de vous ce que vous êtes. Si vous y renoncez, vous laissez la victoire aux terroristes. »
Et Israël doit gagner. Si le Hamas est toujours au pouvoir dans la bande de Gaza à la fin de cette guerre, Israel perdra son plus grand atout comme allié des pays arabes, à savoir sa puissance militaire. Une telle situation ne pourrait qu’enhardir l’Iran et le Hezbollah, bien plus puissant que le Hamas, dans le nord d’Israël.
Les alliés occidentaux prêts à se montrer indulgents à l’égard d’Israël dans l’espoir que l’objectif final – l’élimination du Hamas – justifiera les dommages collatéraux, s’empresseront de réclamer la fin des hostilités la prochaine fois qu’Israël s’engagera dans une opération. Si Israël ne parvient pas à gagner la guerre, raisonneront-ils, comment justifier la mort de civils ?
Et, bien évidemment, Netanyahu, durant le mandat duquel a été perpétrée la pire tragédie du peuple juif depuis la Shoah, verra sa vie politique s’achever dans l’ignominie si Israël ne l’emporte pas. Au lieu de protéger Israël contre l’Iran et de forger une paix historique avec l’Arabie saoudite, son héritage sera celui d’un dirigeant égocentrique dont l’objectif de survie politique l’a rendu aveugle à la menace croissante qui pesait sur les civils qui l’avaient élu pour qu’il les protège, et celui d’un chef de guerre qui a mené une guerre désastreuse malgré le soutien du monde et du pays tout entier.
Selon Israël Ziv, un général de Tsahal à la retraite, au micro de la Douzième chaîne, Joe Biden aurait dit à Netanyahu mercredi : « Nous nous occuperons de l’après-guerre. Washington aidera à trouver un nouvel arrangement pour administrer la bande de Gaza et s’assurera que l’accord avec l’Arabie saoudite est remis sur les rails. Mais vous avez intérêt à gagner ».
Les enjeux ne pourraient être plus élevés du côté israélien, mais les enjeux pour Biden sont également considérables et dépendent du résultat obtenu par Israël, mais aussi de la manière dont il l’obtiendra.
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