N’excluons pas les haredim de Tsahal, il faut les inclure dans un service national
Comme avec les réformes judiciaires, la tragédie d'une loi portant sur l'exemption militaire des ultra-orthodoxes est aggravée par le fait qu'une alternative est pourtant évidente
David est le fondateur et le rédacteur en chef du Times of Israel. Il était auparavant rédacteur en chef du Jerusalem Post et du Jerusalem Report. Il est l’auteur de « Un peu trop près de Dieu : les frissons et la panique d’une vie en Israël » (2000) et « Nature morte avec les poseurs de bombes : Israël à l’ère du terrorisme » (2004).
Après avoir plongé Israël dans une crise intérieure terrible avec sa tentative de neutraliser le système de la justice du pays et d’éliminer les contre-pouvoirs qui pourraient se dresser contre sa toute-puissance, le gouvernement de la droite dure s’apprête maintenant à aggraver une autre fracture sociétale potentiellement existentielle – avec sa proposition brutale d’ancrer dans la loi l’exemption pure et simple du service militaire et d’autres services nationaux alternatifs des membres de la communauté ultra-orthodoxe.
Le Premier ministre Benjamin Netanyahu s’est entretenu, dimanche, avec certains de ses collègues sur un projet de loi qui permettrait à tous les jeunes hommes issus de la communauté haredi d’étudier la Torah à plein-temps au lieu de faire leur service militaire. Ils ne seraient nullement dans l’obligation de faire une forme ou une autre de service civil et national alternatif et ils seraient libres de rejoindre la population active légèrement plus tard que leurs contemporains ayant, eux, fait leurs classes au sein de Tsahal.
Bien sûr, cette nouvelle législation provisoire peut finalement paraître peu révolutionnaire. Dans l’état actuel des choses, après tout, seulement 10% des 11 000 jeunes hommes ultra-orthodoxes approximativement qui atteignent l’âge de 18 ans, chaque année, font leur service militaire ; la majorité des autres déclarent s’être engagés dans l’étude de la Torah à temps complet et obtiennent, chaque année, un « sursis » de service jusqu’à la date de leur 26e anniversaire – un âge auquel ils deviennent officiellement exemptés de leur devoir militaire et où ils peuvent décider de quitter la yeshiva et d’entrer sur le marché du travail, si tel est leur désir.
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Mais le changement prévu serait pourtant de l’ordre du séisme. Il officialiserait la division entre les Israéliens qui endossent la responsabilité et l’obligation de défendre le pays face à ses ennemis – et ceux pour qui ce n’est pas le cas. Ce changement exempterait de toute forme de service national le secteur qui se développe pourtant le plus rapidement au sein de la population israélienne (les ultra-orthodoxes représentent actuellement 13,5% des 9,45 millions d’habitants de l’État juif, un pourcentage qui devrait atteindre les 16% d’ici la fin de la décennie). Et il porterait un coup terrible, un coup fatal, à la désignation – déjà affaiblie mais toujours vitale – de l’armée israélienne en tant « qu’armée du peuple » – une force de défense nationale formée de toute la population, dans le but d’assurer la protection déterminante de toute la société, dans toute sa diversité.
Soulignant le caractère pernicieux de la proposition prise dans son intégralité, une partie de la discussion de dimanche a porté sur les incitations financières supplémentaires qui pourraient être offertes aux jeunes Israéliens qui servent dans des unités de combat et dans d’autres unités essentielles au sein de Tsahal – une reconnaissance tacite de l’inégalité du fardeau placé sur leurs épaules (et à une période où la coalition s’est d’ores et déjà engagée à renforcer les budgets en faveur des écoles ultra-orthodoxes, des yeshivot et de leurs étudiants).
Si les soldats des unités combattantes – comme tout le monde, d’ailleurs – apprécieront indubitablement une somme d’argent un petit peu plus importante, ils risquent leur vie pour défendre Israël. Cette défense, ils ne l’assurent pas pour une paie sonnante et trébuchante mais parce qu’ils ont été éduqués à avoir conscience que ce pays serait perdu sans eux, et qu’ils ont un sentiment d’obligation et de privilège en assumant ce rôle. (« Ce n’est pas juste que mon fils doive servir dans l’armée et que d’autres ne soient pas obligés de le faire », a dit une femme dans un échange Internet qui avait été organisé mercredi par la Douzième chaîne. Elle a ajouté que le père de son enfant était mort quand il n’avait que huit ans « mais je l’ai envoyé dans l’armée pour qu’il apporte sa contribution à l’État. C’est comme ça que je l’ai élevé… Ce n’est pas juste d’acheter nos enfants avec une promesse d’argent supplémentaire. Mais pourquoi, ce sont donc des mercenaires ? », s’est-elle interrogée.)
Et si tous les jeunes Israéliens ne sont pas tous équipés pour occuper les postes les plus difficiles au sein de Tsahal, le principe même de l’égalité de tous s’agissant l’obligation de servir, en pleine jeunesse, le pays pendant deux ou trois ans est l’élément central d’un pacte implicite. Sapé par des décennies d’exemption semi-officielle du service militaire des membres de la communauté ultra-orthodoxe, ce pacte implicite serait formellement déchiré si la loi suggérée devait être approuvée – avec des conséquences que Tsahal a rapidement signalées, tout en tentant de ne pas se faire happer dans le débat politique.
« L’armée est l’armée du peuple », a indiqué un officier de haut-rang dimanche en début de soirée, en réponse à la loi actuellement débattue. Et l’équilibre assurant que le service militaire s’appliquera bien « à tous les secteurs de la population, notamment aux haredim », doit être maintenu quoi qu’il en coûte, a-t-il ajouté. Mardi, l’armée israélienne a présenté un nouveau cadre pour le service militaire et elle a indiqué qu’elle continuerait à envoyer des lettres de convocation aux jeunes hommes ultra-orthodoxes qui atteignent l’âge de 18 ans.
Une forme de service pour tous
Comme avec le plan de réforme du système de la justice israélien qui est actuellement mis en pause – un bourbier dont il est difficile de sortir mais dont une porte de sortie pourrait prendre la forme d’un dialogue patient sur une réforme constructive et, dans l’idéal, sur la possible adoption d’une constitution – la tragédie qui se profile avec la loi sur l’exemption de service militaire des jeunes haredim est encore aggravée par le fait qu’une solution gagnant-gagnant évidente se présente à nos députés – s’ils acceptent d’aventure d’ouvrir les yeux et de l’approuver.
L’armée veut et a besoin de recrues provenant de tous les secteurs de la population – avec parmi eux les ultra-orthodoxes et les arabes – mais elle n’a néanmoins pas besoin d’eux tous. Et la société civile israélienne, pour sa part, a désespérément besoin de jeunes hommes et de jeunes femmes, provenant là aussi de toutes les catégories de la population, qui puissent l’aider, la soutenir pendant une période de service obligatoire dont la nature ne serait pas militaire.
Dans un entretien accordé lundi matin à la Radio militaire, le rabbin Shai Piron, ancien ministre de l’Éducation, a fait la liste de tous ces services possibles – l’aide dans les hôpitaux, dans les écoles, chez les pompiers ; l’assistance aux personnes âgées et auprès des personnes à besoins particuliers, entre autres. Il s’agit de services, dans de nombreux cas, qui pourraient être assumés par les ultra-orthodoxes et par les Arabes israéliens au sein de leurs propres communautés, sans les défis posés à leur style de vie qui se présentent dans le cadre d’une structure militaire – de services qui, assurément, bénéficieront à l’intérêt et au bien communs.
La tradition juive orthodoxe prévoit que les esprits supérieurs, les esprits les plus brillants doivent en effet être encouragés à étudier et à garantir la pertinence et la mise en œuvre durables de nos textes fondateurs et de leur éthique, et qu’ils doivent être financièrement soutenus par les masses laborieuses. Mais cette tradition, dans notre Israël moderne, a été dénaturée et bafouée, sapant les valeurs nationales, avec des générations de Juifs ultra-orthodoxes largement sous-éduqués, à qui l’opportunité de trouver un travail enrichissant est refusée, des générations condamnées à la pauvreté par le biais des manipulations de leurs représentants politiques.
La législation actuellement envisagée institutionnaliserait et magnifierait ces distorsions alors qu’un cadre établissant le principe d’un service national obligatoire, sous une forme ou une autre, représenterait une avancée majeure permettant de rectifier le déséquilibre.
Que le Premier ministre ait programmé une discussion sur une telle législation dans la semaine qui précède à la fois Yom Hazikaron, la journée de commémoration des soldats tombés au combat et Yom HaAtzmaout, qui marquera le 75e anniversaire de l’indépendance d’Israël, alors même que la nation est déjà profondément fracturée, en colère, face au projet de Netanyahu en faveur d’une réforme radicale du système judiciaire israélien par le biais de la politisation des tribunaux – que le Premier ministre ait jugé opportun de débattre d’un tel texte, donc, dépasse l’entendement. Quoi qu’il arrive, cette loi ne pourra pas être légiférée tant que la Haute-cour – qui a toléré que les haredim échappent en grand nombre au service militaire jusqu’à présent, mais qui avait invalidé une législation antérieure qui visait à officialiser le caractère discriminatoire d’une exemption généralisée pour la communauté – tant que la Haute cour, donc, conservera son indépendance et son pouvoir.
Très certainement, est-on en droit de penser, Netanyahu aurait dû être conscient du fait que l’évocation seule d’une telle législation était susceptible d’exacerber encore davantage les frictions face aux menaces planant sur les valeurs fondatrices du pays que le ministre de la Défense Yoav Gallant, ministre déchu avant de rentrer à nouveau en grâce, avait lui-même soulignées. La fracture qui avait amené les réservistes et les vétérans de Tsahal sur le front des manifestations organisées en opposition à la réforme du système de la justice israélien, avait averti Gallant, représentait dorénavant un danger tangible pour la sécurité nationale d’Israël.
Mais comme c’est le cas également avec le plan de refonte du système de la justice, il n’est pas trop tard pour bien faire.
Et comme c’est le cas également avec le plan de refonte du système de la justice, une alternative qui bénéficierait véritablement à tous, une alternative qui bénéficierait à la nation toute entière, est clairement à portée de main.
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David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel