« Nous parlons le langage du judo, pas celui de la haine », disent les coréalisateurs de « Tatami »
Inspiré des dilemmes politiques réels auxquels ont été confrontés certaines athlètes de la république islamique, le film sortira dans les salles américaines le 13 juin

L’Iran est souvent dans les esprits des Israéliens. Difficile qu’il en soit autrement après les deux frappes aux missiles balistiques en provenance de Téhéran qui ont pris pour cible le pays en l’espace d’un an, avec les négociations nucléaires en cours avec les États-Unis et avec l’avertissement lancé par les Américains à Israël, qui ont sommé l’État juif de ne pas attaquer la république islamique – ce que ce dernier a toutefois fait, contre toute attente, le 13 juin 2025.
Pourtant, « Tatami », un film réalisé il y a trois ans par deux coréalisateurs – une franco-iranienne et un américano-israélien – évoque la question de la politique dans le sport et celle du pouvoir des femmes. Il s’intéresse également à la possibilité d’une potentielle collaboration entre deux ennemis jurés.
Le film, qui raconte l’histoire d’une judoka iranienne à qui son entraîneuse demande de simuler une blessure pour ne pas devoir affronter une concurrente israélienne – un combat que la république islamique considérerait immanquablement comme un acte de trahison – sortira dans les salles américaines le 13 juin, presque au lendemain de la frappe préventive sans précédent qui a été lancée par Israël à l’encontre des installations nucléaires et des hauts-responsables militaires iraniens.
Le long-métrage a été coréalisé par le réalisateur Guy Nattiv, distingué aux Oscars, et par l’actrice franco-iranienne Zar Amir Ebrahimi. Il s’inspire de faits réels.
Nattiv s’intéressait depuis un certain temps à un phénomène particulier, celui de la rébellion des athlètes iraniennes contre le régime de leur pays : il y avait eu le cas de la championne olympique de taekwondo Kimia Alizadeh, qui s’était enfuie en Allemagne au mois de janvier 2020 ; celui de la boxeuse Sadaf Khadem, qui vit dorénavant en exil en France depuis 2019 ; celui de la skieuse olympique iranienne Atefeh Ahmadi, qui avait quitté son pays natal et demandé l’asile en Allemagne. Il y en avait eu d’autres encore.
Et ce sont toutes ces femmes qui ont inspiré « Tatami » – le film tire son nom du terme qui désigne le tapis traditionnel japonais qui est utilisé dans les combats de judo. Le film suit une nuit dans la vie de la judoka Leila Hosseini (dont le rôle est tenu par Arienne Mandi, une actrice irano-chilienne) et de son entraîneuse Maryam Ghanbari (interprétée par Zar Amir Ebrahimi).
Leila remporte toute une série de victoires aux championnats du monde de judo à Tbilissi, en Géorgie, lorsque Maryam reçoit un appel des autorités iraniennes lui ordonnant d’abandonner sa campagne en vue de la médaille d’or. Elle dit alors à Leila de simuler une blessure pour éviter d’affronter en personne sa concurrente israélienne.
Ce film puissant, qui a été tourné en noir et blanc, s’appuie sur les tensions entre les entraîneuses et leurs athlètes. Il montre les interactions entre les judokas iranienne et israélienne, tout en mettant en lumière la famille de Leila qui, de son côté, ne cesse de l’encourager depuis l’Iran.
« Tatami » avait été tourné à l’automne 2022 à Tbilissi – la ville avait été choisie pour sa proximité avec l’Iran et avec Israël. Nattiv avait demandé à Ebrahimi, qui a remporté le prix de la meilleure actrice à Cannes en 2022 pour son rôle dans « Holy Spider », de co-réaliser le film avec lui, sachant qu’il ne pouvait pas diriger seul des acteurs iraniens.
Le duo avait présenté le film au public avant sa sortie en salles – et Ebrahimi s’est depuis dite émue face aux réactions qu’il suscite partout où il passe.

« Jamais je ne me serais attendue à un tel élan émotionnel », s’exclame Ebrahimi dans un entretien accordé au Times of Israel. « Je suis tellement heureuse parce que c’est la raison même pour laquelle nous avons réalisé ce film. Cela n’a jamais été exclusivement politique ».
Alors qu’ils sont, tous les deux, des ressortissants de pays du Moyen-Orient, elle et Nattiv ont voulu parler de politique dans le film sans le faire pour autant directement, ajoute-t-elle.
« Nous avons réalisé un film consacré à l’histoire d’une athlète iranienne mais en tant qu’Israélien, je vois aujourd’hui le pays que j’ai quitté devenir de plus en plus radical et se rapprocher du régime islamique » commente Nattiv, qui a quitté l’État juif pour s’installer à Los Angeles il y a 15 ans. « Nous avons réalisé un film sur l’Iran, mais le pays dans lequel j’ai grandi est en train de devenir un État totalitaire. C’est ce que je constate de l’extérieur ».
Nattiv estime que le gouvernement exerce un contrôle croissant sur l’art et sur les médias d’information en Israël – tout comme c’est aussi le cas du système judiciaire, faisant référence aux initiatives prises par le gouvernement de la ligne dure du Premier ministre Benjamin Netanyahu pour politiser les tribunaux.
À l’approche de la sortie du film, Nattiv souligne que « Tatami » n’est pas un long-métrage israélien et qu’il n’a bénéficié d’aucun financement public israélien. Il note qu’il s’agit plutôt d’un film « international », réalisé par deux cinéastes qui ne vivent plus dans leur pays d’origine.
Si « Tatami » n’a reçu aucun financement public au sein de l’État juif, il a toutefois bénéficié de subventions qui ont été versées par la firme israélienne Keshet International. Le producteur israélien du film, Moshe Edry, a aidé Ebrahimi, qui vit à Paris, à se rendre en Israël pour travailler sur le montage avec Nattiv en 2023, avant l’attaque sanglante qui a été commise par les terroristes du Hamas, le 7 octobre 2023.
Lorsque Nattiv s’était entretenu avec le Times of Israel après le tournage, au mois de septembre 2023, il avait souligné combien cela lui avait semblé paradoxal de boire un café, à Tel Aviv, avec Ebrahimi qui, ayant grandi en Iran, devait marcher sur les drapeaux israélien et américain tous les matins pour entrer dans son école.
Le duo avait commencé à travailler de concert en 2022 – « quand le monde était un peu plus sensé », avait commenté Nattiv lors de cette interview. « Dans ce film, nous parlons le langage du judo, nous ne parlons pas celui de la haine ».
« Ce conflit existe entre nos pays depuis avant ma naissance », dit Ebrahimi lors de notre entretien récent. « C’est quelque chose qui a toujours été là ».
« Les Iraniens ne détestent pas les Israéliens », renchérit Nattiv. « On nous a toujours dit, en Israël, que tous les Iraniens nous détestaient, mais il s’agit ici de trouver une lueur d’espoir, de collaborer dans les moments les plus sombres ».
Ce qui est nouveau, fait remarquer Nattiv, c’est ce genre de collaboration.
« Au lieu de nous boycotter mutuellement, nous avons collaboré et nous avons fait une déclaration artistique », continue-t-il.
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