Nouveau directeur, nouvelle ère au Musée d’Israël, sous la conduite de Denis Weil
La principale institution culturelle du pays veut toucher de nouveaux publics, dont les communautés arabes et haredi, avec de nouveaux programmes et les nouvelles technologies
Jessica Steinberg est responsable notre rubrique « Culture & Art de vivre »
Cela fait un an que le directeur du Musée d’Israël, Denis Weil, né en Suisse, a quitté Chicago pour s’installer en Israël et prendre la direction de l’une des principaless institutions culturelles d’Israël.
Weil connait les lieux depuis l’âge de 10 ans, et notamment le célèbre jardin de sculptures conçu par le sculpteur américano-japonais Isamu Noguchi.
« Cela m’avait fait une très forte impression », confie Weil depuis son bureau du Musée d’Israël, une cinquantaine d’années plus tard.
« J’ai toujours ces images dans ma tête. »
C’était dans la première ère du musée, comme Weil aime à le dire.
Le plus grand musée d’Israël entre maintenant dans sa quatrième ère, explique Weil. Il a passé les 20 premières années à rassembler ses collections, les vingt suivantes à constituer une équipe de conservateurs et les vingt dernières, avec l’ex-directeur James Snyder, à faire connaître le musée sur la scène internationale.
Aujourd’hui, dit Weil, il est temps de déployer les ailes du musée et de faire rayonner ses collections aux confins d’Israël et du monde, avec davantage d’activités éducatives et culturelles.
« Cela reste la principale institution culturelle d’Israël », affirme Weil. « Les changements doivent être évolutifs, de manière à honorer et renforcer l’ADN de l’organisation. On trouve l’ADN en regardant derrière soi, avec ceux qui ont construit ce musée. »
C’est peut-être ce postulat qui a séduit le conseil d’administration du musée et l’a convaincu de choisir Weil, professeur de design dont la spécialité est d’aider les organisations patrimoniales – en particulier celles en difficulté – à s’inventer un nouveau cycle de vie.
Le Musée d’Israël est une institution à laquelle Weil a presque toujours été lié. En effet, ses parents – Ernst et Jacqueline Weil -, ont fondé l’antenne suisse des Amis du Musée d’Israël. Son frère, Philippe Weil, banquier suisse installé à Tel Aviv, a été président des Amis israéliens du Musée d’Israël.
Il se souvient que lorsqu’il était enfant et venait au musée, il sentait la différence avec les musées européens auxquels il était habitué, avec « des pavillons à la structure puissante qui vous font vous sentir tout petit et vous apaisent », explique-t-il.
Il se rappelle sa surprise d’avoir trouvé des artefacts juifs dans un musée.
« J’étais totalement surpris et un peu déboussolé, parce qu’il n’y avait pas de musée ou de département juif en Suisse. C’était très intéressant et un peu incroyable », ajoute Weil.
« J’aime ce musée et je l’ai quelque part en moi depuis longtemps. »
Il partage cette manière de voir les choses avec le regretté maire de Jérusalem, Teddy Kollek, qui a voulu ce musée.
Le site tentaculaire du musée était alors en construction et Kollek était très inquiet d’avoir un énorme bâtiment et une toute petite collection, rappelle Weil. Il a donc voyagé un peu partout dans le monde et « est allé voir de vieux collectionneurs juifs ». Il leur a demandé de penser à mettre le musée dans leur testament ou de lui faire don d’œuvres d’art, qu’il rapportait alors dans ses bagages.
« Il revenait avec des oeuvres », précise Weil. « La raison pour laquelle nous avons une collection impressionniste aussi étonnante est que les collectionneurs juifs collectionnaient beaucoup les toiles impressionnistes à cette époque. C’était la première année et aujourd’hui, nous avons pas moins de 500 000 pièces. »
Le musée renferme la plupart des trésors culturels du pays, qu’il prête chaque année à des dizaines de musées, en Israël et ailleurs dans le monde.
« Ici, en Israël, nous permettons aux petits musées d’organiser de véritables expositions », explique Weil.
C’est important pour Weil, qui est très impliqué dans la question de l’accessibilité de l’art. Il veut sortir les collections des réserves et les faire voir ailleurs, comme par exemple dans la périphérie d’Israël dont les populations arabes et ultra-orthodoxes fréquentent peu les musées.
Le musée a récemment lancé un programme d’initiation à l’art à Lod, dans le centre d’Israël, à destination d’étudiants arabophones et hébréophones. Weil souhaite proposer ce programme à d’autres partenaires, au nord comme au sud du pays, pour qu’ils mettent en oeuvre les cours du musée.
La création d’un musée itinérant, avec des expositions de taille réduite, est en cours de discussion.
A cela s’ajoute l’abandon du focus sur les seules expositions, explique Weil.
« Les musées étaient trop obsédés par les expositions : ils pensent dorénavant davantage en termes de programmation », précise-t-il, ce qui passe par les expositions itinérantes, les prêts à d’autres musées et les événements, en personne ou à distance.
Avant de prendre ses fonctions à la tête du musée, Weil était doyen et professeur de design à l’Institute of Design de l’Illinois Institute of Technology à Chicago.
Titulaire d’une maîtrise en génie chimique et en stratégie de conception, il a travaillé chez Bloomberg Philanthropies, Year Up et Sanergy, ainsi que dans la conception de l’innovation et la technologie numérique chez McDonald’s et Procter and Gamble, entre autres.
C’est la passion qui l’a convaincu de venir, explique Weil, qui a quitté Chicago pour s’installer à Jérusalem à cette occasion.
Pour lui, diriger ce musée et son équipe de 45 conservateurs – d’« une puissance incroyable » – consiste à ouvrir une nouvelle page, pour à la fois faire venir le public en Israël et amener la culture d’Israël et du peuple juif au reste du monde.
« Israël a besoin de cela, parce qu’il est impossible de quitter ce pays sans passer par la case aéroport », dit-il.
« Face au regain d’antisémitisme, c’est particulièrement important et c’est ce que nous faisons depuis 58 ans. »
Il souhaite également que le musée serve d’incubateur aux technologies mises en oeuvre par les musées.
« Je pense que le principal objectif d’un musée numérique est de donner un contexte aux objets qui y sont exposés », affirme Weil.
Il existe d’autres défis. Le musée, constitué sous forme de société d’utilité publique (14 % du musée appartient au gouvernement), dépend fortement des dons.
« Aujourd’hui, nous avons affaire à de la philanthropie stratégique », explique Weil. « Il s’agit de donner à des projets spécifiques, sur la base d’études d’impact, ou alors à de nouveaux projets, des causes bien déterminées. C’est un vrai changement auquel nous devons nous adapter, en nous faisant également davantage connaitre. »
Le changement n’est pas un problème pour Weil: c’est aussi ce que fait le musée depuis 58 ans. C’est juste une nouvelle ère qui s’ouvre.