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Analyse

Palestiniens et Israéliens se préparent à un Ramadan « sombre et tendu »

À Jérusalem, forces de sécurité et fidèles palestiniens affrontent un ramadan sous un fragile cessez-le-feu entre Israël et le Hamas, sur fond d’opérations en Cisjordanie

Des fidèles musulmans passent un point de contrôle alors que la police israélienne se déploie dans la Vieille Ville de Jérusalem à l'approche du mois sacré du Ramadan, le 27 février 2025. (Crédit : Maya Alleruzzo/AP)
Des fidèles musulmans passent un point de contrôle alors que la police israélienne se déploie dans la Vieille Ville de Jérusalem à l'approche du mois sacré du Ramadan, le 27 février 2025. (Crédit : Maya Alleruzzo/AP)

Chaque année, pendant le ramadan, Rahma Ali, une journaliste palestinienne de 32 ans, se joint aux milliers de fidèles qui se rendent à la mosquée Al-Aqsa, à Jérusalem, pour célébrer ce mois sacré pour les musulmans. L’année dernière, quelques mois après le pogrom du 7 octobre 2023, perpétré par le groupe terroriste palestinien du Hamas, et alors que la guerre faisait rage dans la bande de Gaza, Rahma Ali s’est vue refuser l’entrée à la mosquée pour la première fois.

« Ils ont vu que je venais de Shuafat et ils ont refusé de me laisser entrer. Cela n’était jamais arrivé auparavant », se souvient-elle.

Résidente du camp de réfugiés de Shuafat, à la périphérie de Jérusalem, Ali raconte que le ramadan de l’an dernier a été particulièrement sombre. « C’était très triste à cause de la guerre, surtout avec ce qui se passait à Gaza ; personne ne faisait la fête ».

À l’approche du ramadan de cette année, près d’un mois après le début d’un fragile cessez-le-feu entre Israël et le Hamas, Ali espère que les célébrations se dérouleront dans un climat plus apaisé.

« Les choses sont plus calmes à Jérusalem depuis le début du cessez-le-feu », dit-elle. « Ce n’est pas comme il y a quelques mois. Plus de commerces ont rouvert et l’atmosphère semble bien plus normale. »

Depuis plusieurs années, le ramadan coïncide régulièrement avec une montée des tensions entre Israéliens et Palestiniens, qui dégénère parfois en violentes confrontations. En 2021, ces tensions avaient déclenché la guerre entre Israël et le Hamas, connue sous le nom d’opération « Gardien des Murailles ». Cette année, le ramadan doit commencer vendredi soir, et les craintes d’une nouvelle flambée de violence restent vives.

Nivine, militante pacifiste palestinienne résidant dans le quartier de Shuafat à Jérusalem-Est (à ne pas confondre avec le camp de réfugiés de Shuafat), est très préoccupée par la montée des tensions.

Un magasin d’épices orné de décorations de Ramadan dans la Vieille Ville de Jérusalem avant le mois sacré musulman, le 3 mars 2024. (Crédit : Gianluca Pacchiani / Times of Israel)

« L’année dernière, nous avions encore un peu d’espoir, mais ce n’est plus le cas cette année. La situation économique est très mauvaise, la guerre en Cisjordanie perdure et tous les morts de Gaza nous ont laissés dans un état de lassitude profonde. La colère est mêlée à un sentiment d’impuissance », a confié Nivine, qui n’a pas souhaité décliner son patronyme pour des raisons de sécurité.

Avec la poursuite des opérations militaires israéliennes en Cisjordanie, la recrudescence des violences perpétrées par des habitants d’implantations, la crise économique qui s’aggrave et l’absence totale de confiance dans les dirigeants, tant locaux qu’internationaux, pour trouver une solution à long terme, « tous les ingrédients sont réunis pour une nouvelle explosion », avertit-elle.

La journaliste palestinienne Rahma Ali. (Crédit : Autorisation)

Comme si cela ne suffisait pas, l’ancien président américain Donald Trump pourrait prochainement annoncer son soutien à une annexion partielle ou totale de la Cisjordanie, une perspective qui inquiète de nombreux observateurs.

Le Dr Michael Milshtein, analyste principal au Centre Moshe Dayan de l’université de Tel Aviv et ancien chef du département des affaires palestiniennes au sein du renseignement militaire israélien (AMAN), met en garde : une telle décision « ne ferait qu’ajouter de l’huile sur le feu d’une crise déjà profonde ».

« J’ai vraiment peur que nous soyons au bord d’une implosion. Tout incident grave sur le mont du Temple pourrait être l’élément déclencheur », ajoute Milshtein.

Les sensibilités autour du mont du Temple, appelé Haram al-Sharif par les musulmans, et plus particulièrement autour de la mosquée Al-Aqsa, ont ont depuis longtemps servi de détonateur à des vagues de violence. Face craintes de menaces terroristes pendant le ramadan, la chaîne N12 a rapporté que les services de sécurité israéliens, notamment le Shin Bet, la police israélienne et le ministère de la Défense, ont recommandé de restreindre l’accès au mont du Temple pendant le ramadan. Selon ces recommandations, l’entrée serait limitée aux hommes de plus de 55 ans, aux femmes de plus de 50 ans, et aux enfants de moins de 12 ans, avec une jauge maximale de 10 000 fidèles pour les prières du vendredi. Le gouvernement n’a toutefois pas encore validé ces mesures.

En réponse, le Hamas a publié un communiqué sur Telegram exhortant les musulmans palestiniens de Cisjordanie et de Jérusalem-Est, ainsi que les Arabes israéliens, à se rendre en masse sur le mont du Temple et à résister « par tous les moyens » aux tentatives israéliennes de « profaner et de contrôler » le site.

Des fidèles musulmans assistant aux prières du matin pendant le Ramadan, dans l’enceinte de la mosquée Al Aqsa au sommet du mont du Temple, dans la Vieille Ville de Jérusalem, le 6 avril 2024. (Crédit : Jamal Awad/Flash90)

La police israélienne a indiqué, par la voix de son porte-parole, qu’elle s’attendait à accueillir des milliers de fidèles et de visiteurs à Jérusalem, venus prier à la mosquée Al-Aqsa, visiter la Vieille Ville et d’autres lieux saints.

Sans confirmer les restrictions envisagées ni commenter les craintes de violences, la police a annoncé le déploiement de « renforts supplémentaires » dans la Vieille Ville, sur le mont du Temple, dans les quartiers environnants et sur les principales routes menant aux lieux de culte, avec « une attention particulière… aux zones reliant Jérusalem-Est et Jérusalem-Ouest et aux chemins empruntés par les fidèles ». Les déploiements policiers seront encore renforcés les vendredis, notamment pour la prière de la mi-journée.

Pour Nivine, ces restrictions et cette présence policière accrue autour d’Al-Aqsa reviennent à « jeter de l’huile sur le feu ».

« Chaque fois qu’il y a des violences à Jérusalem, elles sont liées à la mosquée Al-Aqsa. En limitant le nombre de fidèles autorisés à entrer, on risque d’enflammer la situation », explique-t-elle. « Les gens sont déjà très en colère, et il suffirait d’un déclencheur pour provoquer une explosion. »

Le professeur Mustafa Abu Sway, membre du Conseil du Waqf islamique — l’organisme qui supervise l’administration des lieux saints musulmans à Jérusalem, dont la mosquée Al-Aqsa — estime que les restrictions prévues constituent « une violation directe de la liberté de culte », ainsi qu’une remise en cause du statu quo historique qui régit la gestion de ces sites religieux partagés.

Mustafa Abu Sway, du Conseil du Waqf. (Crédit : Autorisation)

Le Waqf, placé sous la tutelle de la Jordanie, est responsable de l’administration des lieux saints islamiques de Jérusalem, dont l’esplanade des Mosquées (Haram al-Sharif), où se trouve la mosquée Al-Aqsa. Lorsqu’Israël a conquis Jérusalem-Est en 1967, lors de la guerre des Six Jours, le gouvernement israélien a décidé de maintenir le contrôle du Waqf jordanien sur l’administration des lieux saints musulmans

« Le Waqf est responsable de l’intérieur de la mosquée Al-Aqsa, tandis qu’Israël gère l’extérieur », explique Abu Sway, qui est également doyen du Collège d’études islamiques de l’université Al-Quds et titulaire de la chaire consacrée à l’œuvre de l’imam Al-Ghazali à la mosquée Al-Aqsa.

Des Palestiniens franchissent un point de contrôle dans la ville de Bethléem en Cisjordanie, le 5 avril 2024, alors que les fidèles se dirigent vers l’enceinte de la mosquée Al-Aqsa de Jérusalem, au sommet du mont du Temple, pour la prière du vendredi midi pendant le mois de jeûne musulman du Ramadan. (Crédit : Hazem Bader/AFP)

Abu Sway affirme cependant qu’Israël a, à plusieurs reprises, enfreint cet accord tacite, notamment en imposant des limitations au nombre de fidèles autorisés à entrer dans l’enceinte – et ce, pas seulement pendant le ramadan.

« Les jeunes sont régulièrement privés d’accès à Al-Aqsa, même si aucun incident [de violence] n’a eu lieu depuis 16 mois », affirme Abu Sway.

Malgré les restrictions annoncées, Abu Sway dit que le Waqf poursuivra ses préparatifs comme chaque année. Des équipes médicales seront déployées pour assister les fidèles, les installations seront préparées et des sessions d’étude religieuse seront organisées pour les « milliers » de fidèles attendus pendant le ramadan.

Des versions contradictoires en matière de sûreté et de sécurité

Le ramadan est un rappel brutal de l’énorme fossé de perception entre Israéliens et Palestiniens. Pour les musulmans palestiniens, il s’agit d’un mois sacré. « Tout ce que nous demandons, c’est qu’on nous laisse prier et jeûner », explique Nivine.

Pour de nombreux Israéliens, en revanche, le ramadan est souvent synonyme de violence et de menaces accrues en matière de sécurité.

Et pour les deux peuples, le mois est devenu une période de tension et de peur extrêmes, exacerbée cette année encore par la guerre et les troubles.

« Le ramadan est toujours une période sensible », explique le général de brigade (Rés.) Yossi Kuperwasser, directeur de l’Institut de Jérusalem pour la stratégie et la sécurité, et ancien directeur général du ministère des Affaires stratégiques.

« Aujourd’hui tout particulièrement. Avec le cessez-le-feu, que de nombreux Palestiniens perçoivent comme une victoire du Hamas grâce à la libération de nombreux prisonniers, nous devons nous préparer à une escalade », avertit-il.

Michael Milshtein, analyste principal au Moshe Dayan Center. (Crédit : Autorisation)

Milshtein partage ces craintes. « Ce sera l’un des Ramadans les plus tendus depuis des années. Je suis extrêmement préoccupé par la situation à Jérusalem et en Cisjordanie », avertit-il.

Pour Abu Sway, c’est précisément la présence policière renforcée et les restrictions imposées aux fidèles qui risquent de provoquer des violences, bien plus qu’elles ne les préviendraient.

« Je n’accepte pas l’idée qu’Al-Aqsa serait intrinsèquement un lieu hostile ou que le ramadan serait forcément une période propice à la violence », déclare-t-il. « Par le passé, nous accueillions entre 400 000 et 500 000 fidèles lors des prières du vendredi pendant le ramadan, sans pratiquement aucune restriction ni aucun incident. »

Pour de nombreux Palestiniens, Jérusalem reste le cœur symbolique du conflit.

« C’est Jérusalem qui alimente les tensions en Cisjordanie », souligne Nivine, « et non l’inverse. »

Mais pour les experts israéliens en sécurité, les violences en Cisjordanie peuvent tout autant embraser Jérusalem, en particulier cette année, dans le cadre de l’offensive militaire israélienne en cours en Cisjordanie appelée « Opération Mur de fer ».

Cette opération a été lancée à la suite d’une vague d’attentats terroristes palestiniens en Israël et en Cisjordanie, au cours desquels 48 personnes ont été tuées. Huit autres membres des forces de sécurité ont été tués lors d’affrontements avec des terroristes en Cisjordanie.

Lancée le 21 janvier, l’opération a marqué le retour de chars israéliens dans certaines zones pour la première fois depuis plus de vingt ans. L’armée affirme avoir éliminé plus de 60 terroristes palestiniens et arrêté plus de 210 suspects.

Parallèlement, le ministre de la Défense, Israel Katz, a déclaré que 40 000 Palestiniens avaient été « évacués » des camps de réfugiés de Cisjordanie depuis le début de l’opération. L’armée a également admis que l’opération avait fait des victimes civiles non impliquées, dont deux cas font actuellement l’objet d’une enquête interne.

La police israélienne devant un accès à la mosquée Al-Aqsa et le mont du Temple dans la Vieille Ville de Jérusalem, pendant Pessah, le 24 avril 2016. (Crédit : Corinna Kern/Flash90)

Depuis le 7 octobre 2023, l’armée israélienne a arrêté environ 6 000 Palestiniens en Cisjordanie, dont plus de 2 350 liés au Hamas. Selon le ministère de la Santé de l’Autorité palestinienne (AP), plus de 900 Palestiniens de Cisjordanie ont été tués au cours de cette période. Tsahal précise que la grande majorité de ces victimes étaient des terroristes tués lors d’échanges de tirs, des émeutiers affrontant les troupes ou autres auteurs d’attentats meurtriers.

Kuperwasser souligne que, malgré les arrestations massives et les saisies d’armes, l’opération n’a pas réussi à stopper les attaques terroristes en provenance de Cisjordanie.

« L’attentat contre les bus a eu lieu la semaine dernière, donc en ce sens [l’opération] n’a donc pas été efficace », dit-il, …faisant référence aux attentats à la bombe qui ont visé trois bus à Bat Yam et Holon, ainsi qu’à une tentative d’attentat similaire contre un autre bus. Personne n’a été blessé. « L’attentat a été perpétré par des terroristes de Tulkarem, où l’armée a été très active. »

Au-delà des considérations sécuritaires, Palestiniens et Israéliens s’accordent à dire que la grave crise économique en Cisjordanie joue un rôle clé dans la montée des tensions. Le taux de chômage en Cisjordanie est passé de 12 % avant la guerre à plus de 30 %, avec environ 300 000 personnes ayant perdu leur emploi – dont plus de la moitié travaillaient en Israël. Aujourd’hui, environ 20 000 à 25 000 Palestiniens travaillent en Israël, principalement dans les implantations, selon Milshtein.

Les gens s’assoient ensemble pour rompre leur jeûne du Ramadan à la fin du dernier jour du mois sacré musulman et au début de la fête de l’Aïd al-fitr, près du sanctuaire du Dôme du Rocher dans l’enceinte de la mosquée Aqsa sur le mont du Temple dans la Vieille Ville de Jérusalem, le 20 avril 2023. (Crédit : Ahmad Gharabli/AFP)

« Les responsables de la sécurité croient depuis longtemps que l’augmentation du taux d’emploi, notamment par l’octroi d’un plus grand nombre de permis aux Palestiniens pour travailler en Israël, réduit le potentiel de violence », explique Milshtein. Il ajoute que les responsables de la sécurité ont recommandé d’accorder plus de permis avant le ramadan, mais que « pour l’instant, le gouvernement n’a aucune intention de faire le moindre geste envers les Palestiniens ».

Nivine estime qu’une grande partie de ce discours reflète l’absence généralisée d’introspection, alors qu’un tel examen de conscience est indispensable, selon elle.

« Il est parfois bon de se regarder dans un miroir et de se demander ce que nous faisons, nous aussi, pour provoquer l’autre camp », souligne-t-elle.

Cependant, cet exercice est devenu presque impossible, tant l’aliénation mutuelle s’est enracinée entre Palestiniens et Israéliens…

« Avant, j’avais l’impression qu’on avançait dans la bonne direction à Jérusalem, qu’on normalisait peu à peu l’idée d’une ville partagée », explique Nivine. « Les gens comprenaient qu’en l’absence de solution politique, il fallait bien trouver une manière de coexister. Tout cela s’est effondré ces 16 derniers mois. »

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