Pour Carl Bernstein, Israël est « l’épicentre » de la géopolitique aujourd’hui
Dans un discours prononcé lors d'une conférence sur la liberté de la presse dans le monde, le journaliste d'investigation du scandale du Watergate a expliqué que tout journaliste sérieux et désireux d'appréhender la réalité du monde a besoin de comprendre Israël
David est le fondateur et le rédacteur en chef du Times of Israel. Il était auparavant rédacteur en chef du Jerusalem Post et du Jerusalem Report. Il est l’auteur de « Un peu trop près de Dieu : les frissons et la panique d’une vie en Israël » (2000) et « Nature morte avec les poseurs de bombes : Israël à l’ère du terrorisme » (2004).
L’ancien vice-Premier ministre issu du Likud, Dan Meridor, a mis en garde contre une érosion de la démocratie en Israël. La députée de l’Union sioniste Ksenia Svetlova s’est moquée d’une affirmation du directeur du bureau gouvernemental des relations avec la presse, qui expliquait qu’Israël était un phare de la liberté de la presse, et [elle] a affirmé que la liberté de la presse était en réel danger ici.
Mais les propos les plus marquants tenus lors de cette soirée d’ouverture de la conférence internationale sur la liberté de la presse, organisée par le Club de la presse de Jérusalem (CPJ), ont été assurément prononcés par un intervenant d’envergure, Carl Bernstein, qui a acquis sa renommée en révélant l’affaire du Watergate, et qui a déclaré qu’Israël était « l’épicentre » actuel – pas moins – des événements dans le monde – le « ground zero de la géopolitique d’aujourd’hui ».
Ainsi, tout journaliste sérieux, tout aspirant présentateur d’une émission d’information, que ce soit aux Etats-Unis, au Royaume-Uni ou n’importe où ailleurs, a déclaré Bernstein, devrait passer des moments qualitatifs en Israël et aux alentours pour appréhender vraiment ce qu’il s’y passe s’il désire comprendre le monde.
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Bernstein a été le dernier à prendre la parole lors de la session d’ouverture de cette conférence de deux jours, organisée au centre culturel et de conférence Mishkenot Shaananim à Jérusalem, et qui rassemble des dizaines de journalistes et universitaires locaux et internationaux.
Meridor, qui préside le bureau du CPJ, a ouvert cette session par une mise en garde : qu’une certaine législation israélienne – il a cité l’approbation, dimanche, d’un projet de loi qui définirait Israël en tant qu’état-nation du peuple juif – entre dans le cadre d’une tendance globale qui « fait dévier le balancier » de l’équilibre démocratique et des principes de liberté.
Evoquant ce qui allait s’avérer comme étant un thème récurrent parmi de nouveaux intervenants inquiets pour la liberté des médias israéliens, Meridor a expliqué qu’il s’inquiétait de ce qu’une « couche » essentielle dans les démocraties, le journalisme indépendant, « est en train de disparaître ». Et sans cette couche, a-t-il ajouté, « le débat tourne court, il est superficiel et émotionnel – il n’est pas guidé par la raison ».
Prenant la parole immédiatement après Meridor, le directeur du service de presse gouvernemental, Nitzan Chen, a pour sa part affirmé qu »Israël tente d’être un phare pour la presse libre » et d’offrir la capacité aux journalistes locaux et internationaux d’assurer une couverture médiatique équitable dans le pays.
Svetlova, née en Union soviétique et journaliste avant son entrée, il y a deux ans, à la Knesset, a tourné ces propos en dérision et, rappelant l’absence de cette liberté de la presse en Union soviétique, a averti que l’ « on va en arriver là ».
Citant une plainte en diffamation déposée par le Premier ministre Benjamin Netanyahu à l’encontre du critique journalistique Yigal Sarna, Svetlova a indiqué que « nous devons affronter des interventions dans les affaires des journalistes et contre la liberté d’expression de la part du gouvernement », poursuivant : « Le Premier ministre peut prendre pour cible les journalistes – et il le fait. »
Elle a noté que la liberté de parole ne figure pas dans les lois fondamentales d’Israël mais s’appuie davantage sur un jugement émis en 1953 par la cour Suprême. La liberté des médias en Israël, a-t-elle affirmé, a besoin d’être protégée au niveau législatif – et elle a rappelé qu’elle a elle-même tenté en vain de faire avancer une telle législation l’année dernière à la Knesset.
Bernstein, qui a été le principal intervenant lors de cette session, a consacré la majorité de son allocution à ce qu’il a qualifié de « formidable échec en termes de compte-rendu » de la couverture américaine des Primaires en amont de la course à la présidentielle.
Il a déploré qu’il n’y ait eu aucun documentaire d’enquête sérieux sur Donald Trump ou Hillary Clinton durant la campagne de ce scrutin et a ajouté que le journalisme télévisuel, qui se distingue souvent par son sensationnalisme, n’a tout simplement pas été à la hauteur de sa mission.
Il a rappelé avoir été interrogé sur la raison pour laquelle les médias n’avaient pas contraint Trump à sortir de la course. Mais « ce n’est pas la tâche de la presse de défaire un candidat ». C’est plutôt au public de se décider en la matière, « sur la base d’informations développées avec un peu de chance par… le journalisme d’investigation ».
Bernstein — auteur d’un livre en 2008 sur Clinton et qui a indiqué connaître Trump depuis de nombreuses années – a critiqué les deux candidats à la présidence mais a réservé ses piques les plus dures au gagnant. Il a condamné le président coupable, selon lui, de désigner les médias comme des ennemis du peuple et comme étant les créateurs ostensibles des ‘fake news’ — « Ce qu’ils ne sont certainement pas en ce qui concerne Donald Trump. »
Il a qualifié Trump de menteur d’une ampleur jamais vue auparavant chez un président. Il a expliqué que Trump était habituellement non préparé pour son travail dans l’émission « The Apprentice » et que dorénavant, les Etats-Unis avaient un président qui n’était préparé en rien.
Il a ajouté que les conflits d’intérêts au sein de la famille de Trump – dont la sollicitation récente d’investissements chinois de la part de membres de la famille Kushner – auraient déclenché une enquête au Congrès si les Clinton s’étaient trouvés au pouvoir.
Il a dit que « nous devrions en savoir beaucoup plus » sur les liens qui unissent Trump à la Russie. Et il a critiqué les penchants autoritaires et la démagogie du président. « Nous avons déjà assisté à cela à l’époque de McCarthy », a-t-il commenté, « mais jamais au niveau de la présidence ».
Il a affirmé que Trump, durant sa campagne, avait permis d’exposer l’hypocrisie d’un trop grand nombre de leaders américains, ainsi que les mensonges de ceux qu’il affrontait lors du scrutin.
Bernstein, qui, aux côtés de Bob Woodward, a exposé le scandale du Watergate et fait tomber le président Richard Nixon, a évoqué de manière répétée un mantra composé de deux principes en direction des journalistes : La presse existe pour le bien public, et son travail est « d’offrir aux lecteurs et aux spectateurs la meilleure version de la vérité possible à obtenir ».
A cette fin, de façon plutôt inattendue, il a déclaré que n’importe quel grand reporter désireux de comprendre le monde aujourd’hui devait venir en Israël et s’approprier ce qu’il s’y passe. « Je ne comprends pas comment qui que ce soit qui couvre la Maison Blanche », a-t-il expliqué, ou qui veut devenir présentateur d’un journal d’information, « peut le faire sans venir ici pour appréhender ce qu’il se passe ici et dans un périmètre de 200 kilomètres aux alentours ».
Reconnaissant toutefois que c’était sa première visite depuis 1982 – il avait à cette époque couvert la guerre du Liban – Bernstein, qui s’était révélé jovial lorsqu’il était le président régional de l’organisation des jeunes Bnai Brith quand il était adolescent, a indiqué avoir toujours suivi les événements en Israël mais que rien ne pouvait remplacer la présence physique dans le pays.
Ce qui se déroule dans le monde musulman, à l’intérieur comme à l’extérieur, est impacté par les développements en Israël. Et tout journaliste désireux de comprendre notre monde – qu’il s’agisse de Washington, de l’Europe, du terrorisme ou des développements dans le monde musulman – a besoin de se connecter à Israël, a-t-il répété.
Interrogé pendant la session sur la signification exacte de ses propos, Bernstein a évoqué son déplacement à Ramallah, a expliqué avoir été témoin de la transformation démographique israélienne et reconnu les changements sociaux en Israël. « C’est l’épicentre », a-t-il estimé. « C’est le ground zero pour la géopolitique d’aujourd’hui ».
Poussé par l’auteur de cet article qui réclamait plus de précisions à l’issue de la session, Bernstein a répété que : « C’est une impression générale : Nous ne savons pas beaucoup de choses sur ce qui émane d’ici ».
Faisait-il référence au conflit palestinien, à la gestion israélienne de l’extrémisme islamique, aux relations intérieures avec la minorité arabe, ou peut-être aux frictions religieuses internes ? « A tout cela », a répondu Bernstein, « mais également à cause des changements dans ce pays qui ne sont pas perçus hors de ses frontières ».
Est-ce qu’il faisait allusion à l’esprit de la soirée et aux inquiétudes sur la démocratie israélienne ? « Je ne sais pas encore suffisamment de choses », a-t-il répondu.
Il a ajouté que lorsqu’il était venu en 1982 couvrir les événements de la guerre du Liban, il s’agissait d’un conflit où le ministre de la Défense Ariel Sharon avait trompé le gouvernement sur les vrais objectifs qu’il poursuivait – ce qui est loin d’être le processus le plus démocratique, et c’était il y a 35 ans.
« Je sais que je suis vague », s’est-il excusé.
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David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel