Pourquoi la plupart des Juifs de Hong Kong ne manifestent pas
L'ex-colonie britannique aujourd'hui contrôlée par Pékin compte plusieurs institutions juives et une communauté de 5 000 âmes - les raisons de ne pas manifester sont multiples
JTA — Depuis début juin, des Hong-Kongais se rassemblent plusieurs fois par semaine pour dénoncer ce qu’ils considères être des tentatives de la Chine d’empiéter sur leurs libertés. La police a parfois réagi avec violence, lançant du gaz lacrymogène et des balles en caoutchouc sur la foule.
La plus grande manifestation a attiré environ deux millions de personnes sur une population totale de 7,3 millions d’habitants.
Mais pour la plupart des membres de la communauté juive de Hong Kong, la vie suit son cours sans véritable chamboulement.
« Ce qui est insensé dans cette situation, une révolution est en cours, mais nos vies continuent comme avant », explique Ben Freeman, un natif de Glasgow qui vit à Hong Kong depuis deux ans.
Cette ancienne colonie britannique, aujourd’hui contrôlée par la Chine et disposant d’une autonomie limitée, compte une communauté de 5 000 membres et plusieurs institutions juives. Il existe sept congrégations — orthodoxe, Chabad et progressiste — un centre communautaire et une école juive et un institut de la Shoah. Mais aucun n’est situé dans les zones touchées par les manifestations, et la routine se poursuit.
« Je suis allé à un repas de Shabbat chez un ami vendredi soir, et bien sûr, nous en parlons, mais rien pour le moment — et c’est là notre privilège : rien n’arrive aux expats, alors on se sent parfaitement en sécurité », a indiqué à JTA, Ben Freeman, enseignant dans une école internationale.
Ils ne sont pas les seuls à ne pas ressentir les effets des protestations. Malgré la couverture médiatique entourant les heurts parfois sanglants avec la police, les restaurants, les centres commerciaux et les entreprises continuent d’opérer relativement comme d’habitude. Les écoles doivent ouvrir cette semaine.
Les manifestations ont commencé en réaction aux efforts du gouvernement soutenu par la Chine visant à permettre les extraditions vers la Chine. Certains craignent en effet que la Chine puisse extrader des dissidents et des critiques du gouvernement ayant trouvé refuge à Hong Kong, plus ouvert politiquement.
Les contestataires ont depuis ajouté d’autres demandes à leurs récriminations, dont le suffrage universel qui permettrait d’élire le chef de l’exécutif hongkongais. Aujourd’hui, ce dernier est sélectionné par un groupe d’environ 1 200 professionnels importants et membres du Conseil législatif, qui se montrent, pour la plupart, loyaux envers la Chine.
Même si certains au sein de la communauté juive soutiennent peut-être le mouvement de contestation, ils ont tendance à s’en tenir éloignés comme les autres expatriés, d’après David Zweig, professeur émérite de politique chinoise à l’Université des Sciences et technologies de Hong Kong. Lui a participé à deux manifestations, mais dit être une exception plutôt que la règle.
« La position globale la plus sûre, c’est que les expatriés ne s’en mêlent absolument pas », a-t-il expliqué à la JTA. « Certains expats juifs ont peut-être de l’empathie pour les jeunes — ceux qui s’intéressent à la politique et qui comprennent que Pékin resserre l’étau — mais beaucoup de gens envisagent les choses du point de vue des affaires, et ça nuit à leurs affaires ».
La communauté juive est variée, venue d’Europe, d’Amérique du Nord, du Sud, d’Afrique du Sud et d’Israël. Ils sont nombreux à travailler dans la banque, la finance, le droit et les affaires.
Erica Lyons, la présidente de la Société historique juive de Hong Kong, pense que le caractère éphémère de la communauté et le fait que peu parlent le cantonais font partie des raisons pour lesquelles ils n’y prennent pas part.
« Le sentiment général, c’est le soutien [des manifestants] mais pas l’implication », explique celle qui est arrivée du New Jersey.
Certains s’impliquent bel et bien. Nicole Izsak a participé à 15 manifestations cet été avant d’emménager à New York il y a un mois pour le travail de son mari.
La plupart étaient pacifiques, mais elle a parfois fait face à la police. Le 12 juin, Nicole Izsak se trouvait en compagnie d’un grand groupe de manifestants lorsque la police les a approchés avec matraques et gaz lacrymogène. La foule a été repoussée sur un petit pont piéton, où l’expatriée a eu peur d’être écrasée par la foule en nombre.
« Faut que je sorte de là », se souvient-elle avoir pensé.
Mais l’expérience ne l’a pas découragée de prendre part de nouveau aux contestations.
« Nous avons profité de la liberté d’expression, de rassemblement [et] du privilège de vivre ici, et nous devrions rendre à la communauté qui nous a tant donné », estime cette Londonienne installée dans la métropole depuis 10 ans.
Celle qui a travaillé pour l’école juive de Hong Kong, l’association des femmes juives et le festival du film juif pense que son identité juive a également joué un rôle dans son implication.
« En tant que juive également, je crois en la nécessité de prendre position », indique-t-elle.
Nicole Izsak a entendu une variété de raisons pour lesquelles les Juifs de Hong-Kong préfèrent rester en retrait des questions politiques.
« Je pense que ça va du désintérêt, de ne pas se sentir concernés par le problème, penser qu’ils n’ont pas le droit de le faire, estimer que les Juifs ne devraient pas se faire remarquer et ne pas soutenir les manifestations », explique-t-elle.
Pour Ben Freeman, l’enseignant écossais, les préoccupations sécuritaires prévalent sur les autres facteurs.
« Nous restons à distance, car ce n’est pas forcément sûr », « pour être honnête, je se serais très stressé à l’idée d’aller manifester », concède-t-il.