Ramadan : Arabes israéliens, police et armée unis contre le coronavirus
"Nous ne voulons pas que le gouvernement n'intervienne que lorsque nous faisons des manifestations", clame un leader local ; d'autres voient une chance de bâtir la confiance

JTA — Le 24 avril, au premier jour du ramadan, la mosquée Al-Aqsa, à Jérusalem, était pratiquement vide. Quelques fidèles masqués se prosternaient malgré tout sur les tapis de prières, à distance les uns des autres, écoutant l’imam installé en haut d’un pupitre en bois, à 5 mètres du sol.
« Nous demandons à Dieu miséricorde, pour nous et pour toute l’humanité, et lui nous demandons de nous sauver de cette pandémie meurtrière », priait l’imam.
L’interdiction des prières communautaires massives, en Israël et dans les Territoires palestiniens, figure parmi les tristes restrictions qui accompagnent, cette année, le mois le plus sacré de l’islam – pendant lequel les musulmans jeûnent pendant la journée, et prient et se réunissent avec leurs familles élargies dans un esprit de réjouissance pendant la nuit.
Les mesures d’urgence relatives au coronavirus en Israël ont entraîné la fermeture des mosquées, celle des magasins et ont imposé des couvre-feux nocturnes dans un grand nombre de villes à majorité musulmane.
Mais pour un grand nombre des 1,5 million de citoyens arabes en Israël, c’est loin d’être suffisant. Avant la fête du ramadan longue d’un mois – une période pendant laquelle les familles se rassemblent, en formant des groupes de dizaines voire de centaines de personnes – la majorité des villes et villages arabes israéliens craignent que le pic de la maladie n’ait pas encore été atteint, et certains plaident, de façon inédite, en faveur d’une plus forte intervention gouvernementale.
« Le gouvernement israélien ne peut pas laisser nos villages dans le chaos », s’exclame Mudar Yunes, chef du conseil local de la ville arabe israélienne d’Arara, dans le nord du pays, qui est également le président de l’association des conseils locaux arabes.

Désespérément inquiet des potentiels ravages que pourrait entraîner le coronavirus dans les villes arabes pendant le mois à venir, il appelle à l’aide les instances qui sont habituellement considérées avec méfiance dans sa ville : la police et l’armée israélienne.
Mudar Yunes réclame plus de voitures de patrouille, le renforcement de la distribution de produits alimentaires aux personnes âgées par les soldats du Commandement du Front intérieur et d’autres personnels en renfort pour disperser les importants rassemblements du ramadan, potentiellement dangereux.
« On ne veut pas qu’ils viennent seulement quand il y a des manifestations ou des violences, on veut qu’ils viennent pour imposer l’ordre », explique le maire. « Il faut qu’on s’occupe des hors-la-loi ».

L’exemple de Pourim
La pandémie a frappé les villes arabes israéliennes trois semaines environ plus tard que le reste d’Israël, et le virus y reste relativement contenu jusqu’à présent, selon des données gouvernementales. L’État juif, au total, a rapporté plus de 15 589 cas de Covid-19 au total et 212 personnes étaient mortes des suites de la maladie en date du 29 avril.
Il y a 800 cas confirmés parmi la population arabe, selon la commission d’urgence qui contrôle la crise dans la communauté arabe israélienne – mais c’est probablement un chiffre trop faible pour refléter la réalité, dans la mesure où il ne prend en compte les éventuels décès survenus dans les villes mixtes où évoluent ensemble Juifs et Arabes et à Jérusalem-Est, qui accueille plus de 350 000 Arabes.
La fête de Pourim, qui rassemble les communautés juives lors d’une nuit de fête, avait été identifiée comme un vecteur majeur de dissémination du virus parmi les Juifs du monde entier. Elle a eu lieu au début du mois de mars, alors que le coronavirus se propageait de plus en plus vite.
Le Premier ministre avait cité Pourim pour justifier le confinement du pays à la veille de Pessah, au début du mois.
« A Pourim, le virus s’est multiplié. Je vous le dis clairement, Pessah ne sera pas Pourim. Chaque famille passera Pessah avec ses proches immédiats », avait-il annoncé.

Une « salle de guerre », dans la ville arabe de Shfaram, dans le nord du pays, organise des discussions quotidiennes entre la Commission des maires arabes et Ayman Sayyaf, à la tête de l’Administration du coronavirus pour la population arabe au sein du ministère de l’Intérieur.
Suite à une rencontre entre Netanyahu et les autorités municipales d’importantes villes arabes, le ministère a annoncé, jeudi, le versement d’une aide d’urgence sous la forme d’une enveloppe de 55 millions de shekels – avec notamment 30 millions de shekels investis sous la forme de coupons alimentaires en direction de 73 conseils municipaux arabes.
« Ce que nous voulons, avant tout, c’est sauvegarder nos vies », a déclaré Netanyahu dans une vidéo vendredi, dans un tweet publié à l’occasion du ramadan. « Au nom de la vie sauvée, au nom de ceux qui vous sont chers et au nom de votre avenir et de l’avenir de tous, fêtez le ramadan avec votre famille nucléaire et seulement avec elle ».
Prime Minister Benjamin Netanyahu's greeting for #Ramadan
Ramadan Kareem!
رمضان كريم! pic.twitter.com/rB0iYoVUnQ— Prime Minister of Israel (@IsraeliPM) April 24, 2020
Le dépistage reste rare, mais les contacts sociaux sont nombreux
Les centres de dépistage restent toutefois rares – avec seulement quelques cliniques mobiles qui ont été déployées dans les secteurs arabes.
« Nos estimations montrent que nous avons moins d’infections que dans le secteur juif, mais j’espère que nous ne nous trompons pas », commentait Mamoun Abd Alhay, le maire de la ville arabe de Tira, devant les caméras de la Douzième chaîne au début du mois d’avril.
« Quoi qu’il en soit, il faut augmenter de manière significative le nombre de dépistages afin de déterminer réellement où en sont les choses », avait-il poursuivi.
Face à une stabilisation des cas ces derniers jours, Israël a pris des initiatives visant à alléger les restrictions mises en place dans le pays. Mais alors que les structures de dépistage de type « drive-in » arrivent seulement maintenant dans les villes arabes, de nouveaux épicentres de contagion semblent émerger.
Parmi eux, Deir al-Asad, un village défavorisé de Galilée. Le premier cas de transmission, là-bas, serait venu d’un rabbin et superviseur casher qui travaillait avec les habitants dans un abattoir de volailles. Le premier décès en lien avec le coronavirus a été annoncé dimanche.

La probabilité des contaminations au sein des familles est particulièrement élevée parmi les Arabes, qui vivent côte à côte, mélangeant les générations, dans un seul foyer – c’est notamment le cas dans les villages traditionnels.
Un rapport du ministère israélien de la Santé a déterminé que dans les villes d’Umm al-Fahm et de Jisr al-Zarqa, dans le nord du pays, 78 % des cas de coronavirus enregistrés l’étaient au sein d’une même famille. Ce pourcentage s’élève à 100 % dans des communautés plus petites, comme Bir al-Maksur et Maghar.

Thabet Abu Rass, résident de Qalansuwa, dans le centre d’Israël, et co-président d’Abraham Initiatives, une association spécialisée dans la promotion des partenariats entre Juifs et Arabes, a applaudi certaines initiatives prises par le gouvernement. Dans une campagne sur Facebook, il a ainsi salué les directives ordonnant la fermeture de tous les magasins, à l’exception des pharmacies, dans les villes à majorité musulmane entre 18 heures et 3 heures du matin pendant tout le mois du ramadan.
Mais Thabet Abu Rass craint qu’en cas d’allègement de ces restrictions en Israël au cours des prochaines semaines, une fébrilité déjà frémissante ne s’exacerbe parmi les musulmans qui entrent dans leur troisième mois de confinement.
Il y a aussi un aspect économique à prendre en considération : les études montrent que la moitié des Arabes israéliens vivent sous le seuil de pauvreté et qu’ils ont une espérance de vie inférieure à celle de leurs voisins juifs.
Gardant ces risques à long-terme à l’esprit, Hanady Azoni, propriétaire d’une boulangerie dans la ville arabe de Jaljuliya, au centre du pays, note que la majorité de ses voisins s’attachent à respecter la distanciation sociale pendant la fête.
« Cette année, l’atmosphère est étrange, il y a beaucoup de déception et de frustration qui planent dans l’air », confie Hanady Azoni. « Mais le mois du ramadan est important pour nous parce que c’est un mois d’adoration, de prière et de jeûne – c’est plus important que tout le reste ».

« Nous ne sommes pas prêts à gérer ce type de crise »
La communauté musulmane et les responsables religieux ont pris sur eux d’intensifier les restrictions, avec l’espoir de décourager les rassemblements. Depuis le mois de mars, les autorités islamiques ont pris la décision « douloureuse » de garder les portes de la mosquée Al-Aqsa fermées aux fidèles, selon un communiqué du Waqf de Jérusalem qui est en charge de la gestion du complexe.
Le Grand mufti de Jérusalem et des Territoires palestiniens, Muhammad Hussein, a conseillé aux musulmans de ne pas aller voir le croissant de lune – ce qui est une habitude lors du début du mois sacré.
Via des groupes WhatsApp, les communautés mènent des campagnes décousues visant à disséminer des informations réactualisées, des instructions, à organiser des livraisons alimentaires pour ceux qui doivent se placer en quarantaine. Mais avec des liaisons internet souvent défaillantes et une population du troisième âge plutôt réticente à utiliser le web, les messages ne sont pas toujours délivrés.
Thabet Abu Rass rapporte qu’une centaine de personnes environ se sont réunies vendredi aux abords de la mosquée de son village de Qalansawa. Parmi eux, son voisin de 75 ans, enseignant à la retraite se rendant habituellement cinq fois par jour à la mosquée, et qui n’avait pas reçu les instructions actualisées sur l’interdiction de la prière communautaire pendant le ramadan.

« Les Juifs, en grande partie, ont été dans l’armée. Ils vivent dans l’urgence à cause des guerres », commente Thabet Abu Rass.
« Nous ne faisons pas notre service dans l’armée, nous ne sommes pas prêts à gérer ce type de crise, et nos municipalités locales ne sont pas suffisamment fortes et n’ont pas suffisamment d’expérience », ajoute-t-il.
Depuis le début du confinement le mois dernier, les violences conjugales ont augmenté au sein de la communauté arabe et de nombreux enfants ont cessé de suivre un enseignement, un tiers des petits Arabes israéliens ne possédant pas les ordinateurs nécessaires pour pratiquer l’école à distance.
Malgré les défis, Thabet Abu Rass estime que cette période pourrait entraîner une coopération plus forte entre les Arabes et le gouvernement israélien.
« Les Arabes frappent aux portes du pays et se battent pour l’égalité et l’intégration », affirme-t-il. « C’est l’occasion de bâtir la confiance ».
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