Russie : Fanni Braun a survécu au siège de Léningrad et prône « la paix »
« Je pleure rarement, mais lorsque cette guerre a commencé, j'ai pleuré », avoue la nonagénaire à propos de l'invasion de Moscou en Ukraine

Fanni Braun a survécu au siège nazi de Léningrad pendant la Deuxième Guerre mondiale, une expérience qui l’a poussée vers le « pacifisme ». Aujourd’hui, à 97 ans, elle suit les actualités de l’offensive de son pays en Ukraine sur YouTube, les larmes aux yeux.
Alors que la Russie célèbre le 9 mai en grande pompe le 80ème anniversaire de la victoire sur l’Allemagne nazie, le Kremlin glorifie autant les héros de la guerre de 1941-1945 que les soldats russes qui se battent en Ukraine depuis le 24 février 2022. Un parallèle pour mieux justifier sa campagne militaire en Ukraine contre de prétendus « néonazis ».
« Je pleure rarement, mais lorsque cette guerre a commencé, j’ai pleuré », avoue Braun, lors d’une interview accordée à l’AFP dans sa datcha des environs de Moscou.
Car le conflit en Ukraine qui a fait des dizaines de milliers de morts et de blessés, civils et militaires, fait remonter en elle de pénibles souvenirs qu’elle s’est acharnée à « chasser » sa vie durant.
Fanni Braun se dit « pacifiste ». « Je suis contre toutes les guerres, peut-être parce que j’en ai vécu une », dit la femme menue aux cheveux blancs, faisant défiler les actualités de l’offensive en Ukraine sur l’écran de sa tablette.

« Je ne veux pas que les gens s’exterminent les uns les autres, sans aucune raison. Pourquoi les Ukrainiens tuent-ils les Russes ? Pourquoi les Russes tuent-ils les Ukrainiens ? Nous pouvons vivre en paix ! », assène Braun.
125g de pain par jour
Pendant le siège de Léningrad, qui a retrouvé son nom de Saint-Pétersbourg à la chute de l’URSS, « nous n’avions droit qu’à 125 grammes de pain par jour. On faisait la queue pour l’acheter. Une fois, ma sœur et moi y avons passé toute la nuit », raconte Braun, âgée de 14 ans en 1941.
Le terrible siège de la ville a commencé le 8 septembre 1941 et a duré 872 jours. Il s’agit du plus long siège dans l’histoire moderne jusqu’à celui de Sarajevo dans les années 1990 (1 425 jours). Entre 600 000 et 1,5 million de personnes ont péri à Léningrad, la plupart à cause de la faim.
« On allait en tramway dans la banlieue pour ramasser des feuilles de choux jetés dans les potagers après la récolte. Des restes de feuilles, sales et déchirées, des trognons. Nous les lavions pour en faire une soupe », se souvient Fanni Braun qui vivait avec sa mère, ses deux tantes et ses trois cousins. Les hommes de la famille étaient partis pour le front.
En novembre 1941, la famine a commencé.

« Notre voisine est morte la première », se souvient-elle. Puis, ce fut le tour de la cousine de Fanni, âgée de quelques mois seulement. « Elle n’avait aucune chance de survivre, sa mère n’avait plus de lait. »
« Mais à 14 ans, je ne voyais pas la situation de façon aussi tragique que les adultes. Peut-être à cause de mon caractère », raconte Braun qui dit même avoir vécu « des moments agréables ».
« Un jour, en novembre 1941, nous avons couru sous les tirs vers un club culturel sur la rivière Moïka pour écouter une opérette, ‘Sylva’ [de « Princesse Czardas » d’Emmerich Kalman]. C’était formidable ! Les tirs, on s’en fichait », raconte-t-elle avec un sourire.
« Route de la vie »
Pas de nourriture, pas d’électricité, pas d’eau. Les transports ne marchaient plus, les écoles étaient fermées. Ce premier hiver dans la ville encerclée par les nazis fut abominablement froid.
« Nous nous réchauffions grâce à un four, en brûlant du bois. Ma tante avait confié qu’elle avait eu l’idée d’empoisonner toute notre famille au monoxyde de carbone pour mettre fin à nos souffrances. Heureusement, elle y a renoncé », dit Mme Braun.
Au début de la guerre, Léningrad comptait 2,9 millions d’habitants. Près d’un million ont été évacuées entre 1941 et 1943 par le lac de Ladoga, visé quotidiennement par les frappes allemandes.
Pour beaucoup cette « route de la vie », comme l’appelaient les habitants de Léningrad, est en fait devenue une « route de la mort ».
En juin 1942, la famille de Fanni a enfin pu être évacuée. « Nous avons attendu au bord du lac pendant 24 heures, dans le froid, sans manger, le bateau ne pouvait pas s’approcher à cause des bombardements », raconte-t-elle.
Beaucoup d’évacués sont morts des conséquences de la faim, dont la mère de Fanni Braun. Son père a été tué dans les combats.
Le siège de Leningrad a pris fin le 27 janvier 1944. La ville, massivement détruite, n’a jamais été prise, devenant un symbole de la résistance soviétique face à l’Allemagne nazie.