Tariq Ramadan: nouvelle accusation, contradictions des plaignantes et « emprise »
Inculpé pour deux viols qu'il conteste, l'islamologue suisse de 57 ans est au centre d'une enquête où d'ex-partenaires sexuelles dénoncent l"emprise" qu'il exerçait sur elles
Inculpé pour deux viols qu’il conteste, Tariq Ramadan est au centre d’une enquête qui a révélé en France des contradictions chez ses accusatrices mais a aussi recueilli de nouveaux témoignages d’ex-partenaires sexuelles qui dénoncent l »emprise » exercée par l’islamologue suisse de 57 ans.
Une quatrième plainte en France
Les deux premières plaintes d’octobre 2017 sont au cœur de l’enquête qui a provoqué la chute de cette figure controversée de l’islam européen. Henda Ayari, une ancienne salafiste, et une femme, surnommée Christelle dans les médias, accusent l’intellectuel de viol l’une à Paris au printemps 2012, l’autre à Lyon en octobre 2009.
Pour cela, Tariq Ramadan est mis en examen (inculpé) depuis février 2018. Il a d’abord nié tout rapport sexuel avec elles avant d’être contredit par l’enquête et plaider des « relations consenties ». Après presque dix mois de détention, il a été libéré mi-novembre avec interdiction de quitter le territoire.
En mars 2018, une troisième plaignante, Mounia Rabbouj, a dénoncé neuf viols entre 2013 et 2014. Le prédicateur a reconnu des relations extraconjugales avec cette ancienne escort-girl et quatre autres femmes. Pour ces faits, il n’a pas été mis en examen.
Mi-juillet, une quatrième femme a dénoncé un viol qui aurait été commis le 23 mai 2014 par l’islamologue et un de ses amis au Sofitel de Lyon, où elle devait l’interviewer. Elle affirme aussi avoir reçu en janvier dernier la visite de deux inconnus qui l’ont mise en garde contre toute idée « mal intentionnée » à l’égard de M. Ramadan.
Le parquet de Paris a immédiatement demandé aux juges d’instruction d’enquêter sur ces nouvelles accusations.
La défense de l’islamologue dénonce, elle, un « nouvel emballement médiatique sans vérifications ».
Accusé également de viol par une femme en Suisse, il doit être entendu cet automne à Paris par un procureur de Genève.
Une expertise contredit une accusatrice
Des centaines de SMS de 2009 exhumés du téléphone de Christelle ont contraint M. Ramadan à faire volte-face. En prévision de leur premier rendez-vous, après des mois de relation virtuelle, l’islamologue y détaillait ses fantasmes sexuels violents et dominateurs.
La défense, pour démontrer une relation consentie, a mis en avant des messages ambivalents de Henda Ayari et de Christelle, dont un SMS où cette dernière écrivait « tu m’as manqué dès que j’ai passé la porte ». Face aux juges, Christelle a soutenu que ce message était antérieur à la rencontre.
Mais une nouvelle expertise de son téléphone, consultée par l’AFP, vient de confirmer que le message a été envoyé au lendemain du rendez-vous.
« Ma cliente s’est trompée, elle le regrette, mais c’est la peur et l’emprise qui ont dicté ces messages », explique son avocat Eric Morain, dénonçant « la manipulation et la perversité » des messages envoyés par le prédicateur pour « contraindre ses victimes », comme celui du lendemain des faits où Tariq Ramadan écrit : « J’ai senti ta gêne… désolé pour ma ‘violence' ».
« Elle était témoin d’un crime, fût-il sur elle-même, et il y avait urgence à ce que Tariq Ramadan soit rassuré sur le fait qu’elle n’irait pas porter plainte », analyse Me Morain.
« Quand ces femmes ont déposé plainte, elles parlaient de viols avec violence, pas du tout d’emprise », dénonce Me Emmanuel Marsigny. « Cette idée est apparue quand on a découvert tous ces messages qui montrent que ces rapports sexuels étaient consentis ».
Témoignages d' »emprise »
La brigade criminelle a auditionné cette année plusieurs autres femmes dont des photos, souvent à caractère érotique, ont été retrouvées sur les ordinateurs de M. Ramadan. L’une d’elles témoigne de « relations sexuelles tout à fait classiques », une autre raconte une « relation amoureuse » qu’elle croyait exclusive pendant 8 ans, se disant « déçue » d’avoir été trompée mais prenant sa défense : « ce n’est pas un violeur ».
A l’inverse, deux jeunes femmes affirment avoir été « sous emprise » de ce « manipulateur » qui les a entraînées chacune, en 2015 et 2016, dans une relation « dominant-dominé » virtuelle avant un rendez-vous brutal. « Je lui demandais d’être plus doux, mais il me disait ‘c’est de ta faute, tu le mérites’ (…) et qu’il fallait obéir, ce que j’ai fait », a rapporté l’une d’elle.
« C’est d’un autre ordre qu’un viol physique, cela va au-delà (…) il y a un viol moral », a expliqué la seconde. « Il a une telle emprise sur vous qu’on fait tout ce qu’il nous demande (…). Mais cette relation a été consentie, oui. Il faudrait une autre infraction pour ce genre de personne », a-t-elle ajouté.
Aucune des deux n’a souhaité porter plainte.