Un 4e espion soviétique du nucléaire US de la Seconde Guerre mondiale découvert
Après 70 ans, l'identité de la taupe est révélée dans une histoire captivante d'espionnage impliquant des agents juifs et des agents doubles œuvrant pour les communistes et le FBI
Alors qu’un nuage en forme de champignon illuminait le ciel au-dessus du site d’essai top secret de Trinity au Nouveau-Mexique, un ingénieur nommé Oscar Seborer faisait partie d’une unité de l’armée américaine surveillant l’activité sismologique sur le site.
Cette première explosion réussie d’une arme nucléaire couronnait deux années de travail du Projet Manhattan à Los Alamos et préparait le terrain pour les bombes qui ont dévasté Hiroshima et Nagasaki et qui ont effectivement permis aux Alliés de gagner la Seconde Guerre mondiale.
Mais il s’avère qu’Oscar Seborer n’était pas seulement un technicien. En effet, dans un article récent, il a été nommé quatrième espion soviétique à Los Alamos aux côtés de Klaus Fuchs, Theodore Hall et David Greenglass dans un réseau présumé d’espionnage. Et bien qu’il n’y ait pas de lien établi entre les réseaux d’espionnage, la sœur de Greenglass était notamment la tristement célèbre Ethel Rosenberg, exécutée avec son mari Julius Rosenberg en 1951, après un procès controversé pour espionnage.
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Le document, « Project SOLO and the Seborers : On the Trail of a Fourth Soviet Spy at Los Alamos » [Projet SOLO et les Seborer : sur la piste d’un quatrième espion soviétique à Los Alamos] a été écrit par Harvey Klehr et John Earl Haynes pour Studies in Intelligence – une publication du Center for the Study of Intelligence de la CIA. (Le rapport ne représente pas la position du gouvernement américain ni une reconnaissance officielle de ses conclusions).
Fils d’immigrants juifs polonais, Oscar Seborer travailla à Los Alamos de 1944 à 1946. En moins d’une décennie, au milieu des tensions américaines sur l’espionnage soviétique, il quittera l’Amérique pour l’URSS, où il vivra jusqu’à sa mort en 2015.
Selon Klehr et Haynes, non seulement il espionnait pour les Soviétiques, mais deux de ses frères, Stuart et Max Seborer également. Klehr a déclaré au Times of Israel que le trio de frères et sœurs représentait « un groupe plutôt mystérieux d’espions du KGB » appelé le Relatives Group.
Il a appris l’existence de l’organisation il y a dix ans et découvert que l’un de ses membres, nommé « Godsend », avait travaillé à Los Alamos.
« Il y a eu beaucoup de moments frustrants », a commenté Klehr au sujet de son enquête sur Godsend et ses activités d’espionnage. « Quand vous avez enfin les dossiers du FBI, et qu’il y a des choses intéressantes, et que quelques pages sont noircies, effacées, la lenteur du processus est très frustrante. »
Mais, a-t-il noté, le résultat en vaut la peine. « On est toujours enthousiaste à l’idée de combler les lacunes de l’Histoire », confirme M. Klehr. « C’est à la fois important et révélateur. »
Insolite à Trinity
Les parents de Seborer ont immigré de Pologne aux États-Unis en 1903, bien qu’ils aient quitté l’Amérique au milieu des années 1930 et vécu en Palestine mandataire pendant un certain temps. Comme Klehr l’a expliqué, l’ancienne belle-sœur de Seborer, Rose Biegel Arenal, a été impliquée dans le complot d’assassinat de Leon Trotsky en 1940 au Mexique. Seborer lui-même est resté aux États-Unis et s’est engagé dans l’armée américaine en octobre 1942, un mois au cours duquel les Allemands ont testé des fusées V-2 à Peenemunde.
Les Américains travaillaient sur leur propre arme mystérieuse. Seborer a été affecté à un site du projet Manhattan à Oak Ridge, dans le Tennessee, avant d’être transféré au Nouveau-Mexique.
« Los Alamos était certainement le projet américain le plus important de la Seconde Guerre mondiale. « En deux ans, ils ont construit une bombe atomique. »
La première explosion réussie d’une bombe atomique a eu lieu sur le site de Trinity le 16 juillet 1945. Selon l’article, le technicien de cinquième classe Oscar Seborer faisait « partie d’une unité de surveillance des effets sismologiques » de cette explosion et a continué à travailler à Los Alamos jusqu’en 1946.
Klehr a noté que Seborer n’était pas un scientifique, et qu’il est « improbable » que son travail à Los Alamos était « aussi sensible que, disons, le travail de Klaus Fuchs ou Theodore Hall l’était ». Il se demandait avec qui Oscar était ami à Los Alamos. « Il a peut-être entendu des choses », a dit Klehr.
Un communiste engagé
Klehr explique que « nous ne savons pas exactement » pourquoi Seborer espionnait pour l’URSS, mais l’a décrit comme « un communiste engagé ».
« Je pense qu’il est assez clair que pratiquement tous les espions – pas seulement les espions atomiques, mais d’autres types d’espionnage – de l’Union soviétique aux États-Unis étaient des communistes engagés qui considéraient l’aide à l’Union soviétique comme une de leurs obligations en tant que communiste », a-t-il ajouté.
Après la Seconde Guerre mondiale, Oscar Seborer et son frère Stuart, ancien combattant décoré et officier, ont continué d’occuper des postes à responsabilité avant d’être confrontés à des accusations de communisme. Stuart Seborer a travaillé comme civil à la Division des affaires civiles de l’Armée de terre, pour finalement diriger l’unité européenne de la division, tandis qu’Oscar Seborer a travaillé pour la Marine, d’abord à New London, Connecticut, au Underwater Sound Laboratory, puis à Washington, DC, au Bureau of Ships.
Le site de New London était « le centre de recherche navale sur les sonars pour navires et sous-marins », selon l’article, tandis qu’à Washington, il manipulait des informations parfois secrètes et « était impliqué dans la planification de l’installation et la supervision des équipements électroniques des ports américains et européens ».
En 1951, des soupçons de communisme avaient empêché les deux frères d’obtenir une habilitation de sécurité et, cet été-là, ils quittèrent les États-Unis avec la femme de Stuart, Miriam Seborer, et sa mère Anna Zeitlin. L’anti-communisme balayait la nation après l’arrestation de Greenglass, ainsi que le procès et l’exécution des Rosenberg la même année.
« Le FBI était très intrigué par le fait que les Seborer aient quitté les États-Unis en 1951 alors que toute l’affaire Rosenberg explosait », explique Klehr, notant que Julius Rosenberg, son compatriote Morton Sobell et Stuart Seborer avaient tous étudié au City College of New York. « Le FBI a vraiment insisté pour découvrir s’il y avait un lien. »
En fin de compte, dit-il, l’agence a conclu que « Stuart et Oscar n’avaient rien à voir avec Julius. C’était une alliance à part. »
De retour en URSS, via Israël
En s’éloignant des États-Unis, les Seborer ont fait un passage par le nouvel État d’Israël, où les parents d’Oscar et de Stuart s’étaient de nouveau installés. Mais la destination finale des frères fut l’URSS, où ils ont changé leur nom de famille en Smith. Selon Klehr, Stuart est devenu l’auteur de « livres très marxistes-léninistes et anti-américains sur la politique étrangère américaine » et a également travaillé comme traducteur, tandis que ce qu’Oscar a fait en Union soviétique « n’est pas tout à fait clair ».
De retour aux États-Unis, les activités des frères ne deviendront plus apparentes qu’avec le temps, grâce aux efforts du FBI dans les années 1950 et à la persistance de Klehr et Haynes au cours des dernières décennies.
Dans les années 1950, le FBI a enquêté sur les Seborer dans le cadre de l’opération SOLO, « une opération de contre-espionnage incroyablement réussie », commente Klehr.
L’agence a elle aussi utilisé des frères juifs, Jack et Morris Childs, comme informateurs au sein du Parti communiste des États-Unis. Morris Childs, né Moshe Chilovsky, fut d’abord un agent soviétique en 1929 avant de devenir un agent-double et un informateur pour le FBI.
Jack Childs a participé aux écoutes téléphoniques par le FBI d’Isadore « Gibby » Needleman, un ami de Max Seborer de l’université de Cornell, que Klehr décrit comme un avocat de la commission des achats soviétique Amtorg.
Comme l’a expliqué Klehr, Needleman a dit à Childs qu’Oscar et Stuart Seborer « s’étaient enfuis en Union soviétique, avaient été des espions soviétiques. Oscar, en fait, a donné des informations à Needleman sur le projet de bombe atomique. »
« Needleman a rencontré les frères lors d’un de ses voyages en Union soviétique », dit Klehr. « Quand il est revenu, il est venu voir Jack et lui a dit que les frères étaient très heureux en Union soviétique. Ils n’avaient aucune envie de revenir aux États-Unis. L’un d’eux a dit que s’ils revenaient, ils pourraient être exécutés pour ce qu’ils ont fait. Ils pensaient avoir transmis des informations sensibles. »
Klehr a noté que le FBI n’a pas arrêté Needleman, car il ne voulait pas mettre en danger les frères Childs, qu’il a dit être « les deux meilleurs informateurs de l’agence sur le Parti communiste ».
Preuves brûlées
Parmi les éléments de preuve cités par l’article, mentionnons la déclaration de Jack Childs selon laquelle Needleman a écrit les noms d’Oscar et de Stuart Seborer sur un morceau de papier pour éviter de les dire à haute voix, puis a brûlé le papier.
« Il est très prudent, pour une bonne raison », dit Klehr. « Needleman s’implique dans l’espionnage atomique. C’est du sérieux, non ? Les Rosenberg viennent d’être exécutés pour leur implication ». Il a noté que, lors d’une réunion ultérieure, Needleman a nommé Oscar et Stuart Seborer.
Quand on lui a demandé s’il y avait des raisons de douter de la déclaration de Childs au sujet de l’article, Klehr a répondu : « Non, il n’y en a pas ». Il a dit qu’il y a « des enregistrements de Needleman expliquant à Jack qu’Oscar a fourni le secret de la bombe atomique que Needleman a remis à la Russie. Il y a un enregistrement où Needleman raconte – après sa rencontre avec les frères à Moscou – qu’il a dit exactement ce qu’ils avaient fait. C’est plutôt bien ficelé. »
D’autres aspects de l’histoire restent sans réponse, indique Klehr.
« On suppose que les réponses, au moins partielles, sont disponibles dans les dossiers du FBI qui sont soit censurés, soit non encore publiés », ajoute-t-il. « C’est frustrant. C’est juste une partie du contexte. »
Le collègue de Klehr et spécialiste de la guerre froide, Mark Kramer de Harvard, a tenté de répondre à une autre question ouverte. Après qu’un article de blog a mentionné que Stuart Seborer avait assisté aux funérailles de son frère, Kramer s’est rendu en Russie dans l’espoir de parler avec ce membre survivant d’une dynastie d’espions soviétiques.
« Il est assez vieux, 98, 99 ans », rapporte Klehr. « Bien sûr, les gens vivent aussi vieux… Nous n’avons pas été en mesure de trouver un document officiel attestant de sa mort. D’après les registres, il dispose d’un appartement à Moscou et d’un numéro de téléphone à son nom. Mark y est allé et a sonné à la porte, personne n’a répondu. Il a essayé d’appeler au téléphone. Personne n’a répondu. »
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