Un crash meurtrier place des grands-parents dans un rôle qui n’est pas le leur
Quatre membres d'une même famille se sont mobilisés - sans savoir ce qui les attend - après la mort d'une mère et de son bébé et avec un père grièvement blessé

HALAMISH, Cisjordanie — Il est 19 heures dans cette soirée de lundi dans le foyer de la famille Rimel – ce qui signifie que le moment est venu de préparer les enfants à aller au lit.
Harel, trois ans, entame son troisième tour du salon en tenant son jouet, un petit aspirateur, lorsque sa grand-mère l’arrête et l’avertit qu’il doit prendre son bain.
« Est-ce que c’est toi qui va jouer maman ? », demande-t-il, se référant au rituel quotidien de la toilette, regardant la mère de sa mère avec un sourire innocent.
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Ita Gantz répond au sourire de son jeune petit-fils mais elle garde le silence.
« Quand je n’ai pas de réponse à apporter, je préfère ne rien dire », explique-t-elle plus tard.
Harel et ses frères et sœurs – Amichai, 7 ans, et Leah, 9 ans – savent que leur mère Tzippi est décédée lors d’un accident de voiture survenu le 1er décembre, qui a également tué leur petite sœur âgée de trois semaines, Noam. Ils savent également que leur père, Ephraim, et leur frère âgé de 12 ans, Itay, ont été grièvement blessés mais ils ont encore de nombreuses questions à poser – auxquelles personne ne peut apporter de réponses.

La soixantaine bien passée, les grands-parents Gantz ont dorénavant endossé le rôle de soignants à plein temps des enfants, alors que leur gendre et leur petit-fils restent au sein de l’unité des soins intensifs du centre médical Shaare Zedek de Jérusalem.
Vendredi, les médecins ont lentement commencé à extuber Ephraim, plusieurs jours après qu’il a subi une intervention chirurgicale pour stabiliser sa moelle épinière. L’homme de 35 ans restera paralysé des membres inférieurs suite à cet accident et pour ses parents, il faudrait un miracle pour qu’il remarche à nouveau. Au sein de l’unité des soins intensifs pédiatriques, il y a Itay, dont les jours sont toujours en danger et qui se trouve sous respiration artificielle depuis qu’il est arrivé avec des blessures significatives à la tête et à ses organes internes.
Harel, Amichai et Leah n’étaient pas dans le véhicule avec leurs parents et leurs deux frère et sœur lorsque ce dernier a été heurté de plein fouet par un chauffard, au début du mois, l’écrasant par l’arrière.
Un porte-parole de la police a indiqué au Times of Israel que Tareq Kurd, âgé de 18 ans, qui a percuté la voiture de la famille Rimel aux abords de l’implantation de Givat Zeev, sur la Route 443, conduisait à une vitesse de 170 kilomètres-heure au moment de la collision. Lui aussi avait été hospitalisé dans un état critique, mais il a quitté l’établissement la semaine dernière.
Dimanche, il a été placé en libération conditionnelle au terme de trois brefs placements en détention depuis l’accident, mais les procureurs devraient le mettre en examen dans les prochains jours pour homicide par négligence – une accusation susceptible d’entraîner une peine maximum de 12 ans de prison par compte.
Tzippi et Noam sont venus s’ajouter à la liste, longue et choquante, des victimes mortellement touchées sur la route en 2019 – et qui n’a cessé d’augmenter depuis l’accident, atteignant le chiffre de 329 personnes.
L’année dernière, 316 personnes avaient perdu la vie dans des accidents de la route.

Offrir une normalité quand rien n’est normal
Au cours des sept premiers jours qui ont suivi l’accident, Shulamit et Yogi Rimel, les parents d’Ephraïm, se sont installés dans l’habitation de Tzippi et de leurs fils dans l’implantation de Neve Tzuf, connue également sous le nom de Halamish, pour s’occuper des trois enfants alors qu’Ita et Yisrael respectaient la période de deuil de la Shiva pour leur fille et pour leur petite-fille.
A la fin de ce deuil, la famille de Tzippi a pris le relais de manière à ce que les parents d’Ephraïm puissent être au chevet de leur fils et d’Itay.
« Il n’y a jamais eu de discussion sur le lieu où il fallait qu’on soit », dit Yisrael tranquillement alors qu’il s’assied d’un côté du salon, alors que les enfants sont en train de manger leur dîner. « Nous voulions qu’ils puissent continuer leur routine, ce qui impliquait de vivre ici ».
Les grands-parents n’ont pas relevé le défi tout seul. Alors que les enfants terminent leur repas, on frappe à la porte et c’est un voisin qui rentre spontanément avec une pizza chaude à la main.
Les enfants sont allés tous les jours à l’école depuis l’accident et Ita, pour sa part, fait le ménage et lave les vêtements.
« C’est important que la maison reste la même que celle que Tzippi aurait conservé », dit-elle en recherchant le pyjama d’Amichai.
La grand-mère a soigneusement installé les habits des enfants dans leur placard mais il lui faut plusieurs minutes pour retrouver les pyjamas.
Interrogé sur les détails de leur quotidien de parents remplaçants, Yisrael admet que la réalité a été, parfois, peu organisée, indépendamment de leurs tentatives de maintenir les habitudes.
« Aujourd’hui, ils se réveillent vers 7 heures du matin mais il y a eu des nuits où le plus jeune se réveillait à 4 heures en hurlant pour voir son papa », se souvient-il.
Yisrael dort sur le canapé, à côté de la chambre des enfants, tandis qu’Ita s’est installée dans la chambre d’amis, située près de celle de Leah, de manière à ce que les enfants puissent les trouver facilement avant d’entrer dans la chambre parentale, aujourd’hui vide.
La famille de Tzippi n’est pas retournée dans sa maison de Tzafria, à proximité de l’aéroport Ben-Gourion, depuis l’accident de voiture.

« La joie d’être grand-parent, c’est qu’on n’a pas à s’occuper du mauvais côté des choses. Si les enfants ne se nettoient pas, ce sont les parents qui, normalement, doivent s’en occuper », explique Ita. « Maintenant, on est supposés assurer ce travail, ce qui signifie parfois les disputer s’ils n’écoutent pas ».
Harel ressort soudainement de sa chambre pour me montrer une photo de sa mère.
« Vous voyez ? Comment sommes-nous censés répondre à cela ? », déplore Yisrael, tentant de faire retourner le petit indiscipliné dans son lit.
L’enfant de trois ans dit quelque chose avec excitation mais, en raison de son babil bien à lui, ses grands-parents ne parviennent pas à comprendre ses propos.
« C’est autre chose auquel nous devrons nous habituer. Ses parents étaient capables de comprendre. Ses frères et sœurs également », explique le grand-père.
« Nous ne savons même pas ce dont nous aurons besoin »
Comme les parents Gantz, Shulamit Rimel reconnaît qu’elle et son mari tournent à vide depuis l’accident et passent toutes les heures de la journée à l’hôpital.
« Nous sommes plus que vidés en ce moment. Nous sommes maintenant sur les réserves », explique Yogi Rimel en prenant place dans la salle d’attente de l’unité de soins intensifs, vendredi.
Ils quittent leur maison de Neve Tzuf à 7 heures 30 du matin et ils restent à l’hôpital jusqu’à 22 heures passées.
Yogi plaisante en disant que le seul exercice que lui et son épouse pratiquent en ce moment est de marcher toutes les heures de l’unité de soins intensifs générale, où se trouve Ephraim, à l’unité de soins intensifs pédiatriques dans un bâtiment adjacent où Itay a été pris en charge.
Mais même lorsque Shulamit et Yogi se trouvent, ensemble, au chevet d’Ephraim ou d’Itay, il y a toujours un autre proche, ami ou voisin de Neve Tzuf aux côtés du lit de l’autre.
« C’est une hotline de 24 heures sur 24 et de 7 jours sur sept ici. Les médecins nous ont finalement dit de limiter le nombre de personnes venant au chevet d’Itay parce qu’ils s’inquiètent qu’il attrape un virus d’hiver », s’exclame Shulamit.

« Des gens du monde entier sont entrés en contact avec nous », note-t-elle avec reconnaissance.
Tzippi était enseignante à Neve Tzuf et Ephraim est coordinateur pour le mouvement de jeunes Ezra. Le couple a passé quatre années comme émissaire à Chicago et Shulamit raconte que plusieurs amis ont immédiatement fait le voyage depuis les Etats-Unis en apprenant la nouvelle.
Au vu des circonstances, l’ambiance, dans la salle d’attente de l’hôpital, est relativement animée. Les visiteurs cherchent à aider la famille Rimel à garder le moral à travers des bavardages incessants.
Alors qu’on lui demande comment elle s’est trouvée en mesure de continuer à travers cette épreuve, Shulamit répond : « On peut s’asseoir ici et passer la journée à pleurer mais je n’en peux plus de faire ça. Nous avons énormément pleuré et dorénavant, nous tentons de rester forts pour Ephraim ».
A ce moment, leur fils de 35 ans n’est pas encore totalement sorti du coma et il ne parle pas.
Mais dans les heures qui ont suivi l’incident, Ephraim était réveillé et alerte.
Yogi explique que son fils était parvenu à se souvenir du numéro de téléphone de ses parents et que lui-même avait reçu un appel des urgences, depuis l’ambulance.
« Il y a eu un accident. Je ne me souviens plus de ce qu’il s’est passé. Venez à l’hôpital », était seulement parvenu à dire Ephraim à son père.
Quand Shulamit et Yogi étaient arrivés à Shaare Zedek, la première chose qu’Ephraim leur avait demandé était de savoir si l’accident avait été de sa faute et s’il avait encore des jambes, parce qu’il ne parvenait plus à les sentir.
« Presque immédiatement après avoir appris ce qui était arrivé, il a demandé si les organes de Tzippi pouvaient être donnés », se rappelle Shulamit d’une manière détachée. Les médecins étaient parvenus à donner les cornées de la jeune femme.
Yogi, épuisé, ferme les yeux alors que son épouse s’exprime, mais il l’interrompt brièvement pour partager ce qui est, selon lui, l’une des plus grandes difficultés rencontrées par le couple au cours des deux dernières semaines.
« J’ai dû devenir le responsable, en ce qui concerne les soins de santé, pour eux deux – quelque chose que ne devraient jamais avoir à assumer des grands-parents. Certainement pas pour un petit-fils et certainement pas pour un fils adulte. Ça ne figure pas dans le manuel de saba et de savta », déplore-t-il, utilisant le mot en hébreu pour désigner les grands-parents.
Mais Shulamit rejette l’idée que l’accident ait fait d’eux des parents pour leurs petits-enfants.
« Nous voulons être en capacité d’aider Ephraim à redevenir un père à plein-temps », explique-t-elle, ajoutant que la famille prie encore pour qu’il soit capable de marcher à nouveau un jour.

Et pourtant, les parents d’Ephraim reconnaissent que la guérison de leur fils sera longue.
« On ne sait pas vraiment ce qui nous attend », explique Yogi.
Parmi les fardeaux que la famille devra assumer, dit-il, les fardeaux financiers – notamment un réaménagement de l’habitation pour la rendre accessible pour les handicapés, le coût des pertes de salaires et des soins psychologiques pour les enfants.
Pour venir en aide, les résidents de Neve Tzuf ont lancé une page de crowdfunding pour la famille Rimel dans les jours qui ont suivi l’accident. Depuis, l’argent a afflué du monde entier et, mardi soir, presque un million de dollars avaient été donnés – soit 68 % de l’objectif poursuivi de 5 millions de shekels.
« Ce qui montre le nombre de personnes que Tzippi et Ephraim ont su toucher dans leurs existences relativement courtes. Et celle d’Ephraim sera plus longue », dit gravement Shulamit.
« Nous savons que Dieu entend nos prières mais nous espérons qu’il y répondra également », ajoute-t-elle.
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