Israël en guerre - Jour 530

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Un demandeur d’asile du Darfour s’est réfugié dans un Israël qui n’en veut pas

Étudiant à l'Université hébraïque en attendant une réponse à sa demande d'asile au Canada, Jack Muaawia dit qu'il a constamment peur d'être arrêté ou expulsé

Jack Muaawia est un demandeur d'asile africain et étudiant de première année à l'Université hébraïque de Jérusalem. (Tracy Frydberg/ JTA)
Jack Muaawia est un demandeur d'asile africain et étudiant de première année à l'Université hébraïque de Jérusalem. (Tracy Frydberg/ JTA)

JTA – Jack a un de ces sourires que même les âmes les plus froides se sentiraient obligées de répondre.

Lunettes de soleil posées sur sa tête et un sac à dos vissé à une épaule, le major en première année en action sociale affiche son large sourire familier de l’autre côté du hall du campus Mount Scopus de l’université Hébraïque, un jour de juin.

« Tu as l’air si sérieux ! » se moque-t-il gentiment, hochant la tête devant le stylo et le bloc-notes que je tenais à la main.

Nous nous sommes serrés dans nos bras et avons marché vers l’extérieur afin de trouver un endroit tranquille sur la pelouse, entourés de chats et d’étudiants.

Le soleil de l’après-midi brille sur le front de Jack alors qu’il roule une cigarette.

« Je n’ai jamais fumé avant d’aller à Holot », dit-il, rappelant qu’il n’est pas un étudiant ordinaire. En tant que demandeur d’asile africain, Jack a passé 19 mois dans ce centre de détention à la frontière égyptienne à partir de 2014.

Bien qu’entouré de livres plutôt que de barbelés, le migrant soudanais n’est toujours pas libre pour autant.

Jack Muaawia Mohammad Adam Eisa et moi-même nous sommes rencontrés pour la première fois au cours de l’été 2012 lorsque des amies américaines, les sœurs Emily Wind et Melody Coven, et moi-même nous sommes mis en contact avec un groupe de demandeurs d’asile érythréens et soudanais à Jérusalem pendant nos vacances d’été pour les aider à apprendre l’anglais.

Aujourd’hui, Jack et moi partageons ce que tout le monde dans le groupe fait et discutons des défis de la vie en Israël en tant que deux locuteurs hébreux non natifs – bien que le fait d’entendre l’histoire de Jack rende mes propres plaintes absurdes.

Des demandeurs d’asile et des activistes érythréens devant le centre de détention de Holot dans le sud d’Israël, le 29 janvier 2018 (Crédit : Luke Tress / Times of Israel)

Jack vit dans un flou juridique depuis son arrivée en Israël en 2008. Il a demandé le statut de réfugié, mais comme la grande majorité des Africains en Israël qui fuient le génocide au Soudan et l’enrôlement militaire forcé en Erythrée, Jack attend toujours une réponse.

En avril, le Premier ministre Benjamin Netanyahu a temporairement annulé un projet d’expulsion des 38 000 demandeurs d’asile africains en Israël vers d’autres pays africains sous la pression de la Cour suprême (Israël n’entretient pas de relations avec le Soudan). Netanyahu soutient maintenant une loi qui permettrait à la Knesset d’annuler les décisions de la Cour suprême par un vote à la majorité simple.

Au début du même mois, Netanyahu s’est retiré d’un accord, unanimement salué, négocié avec les Nations unies pour permettre à la moitié des demandeurs d’asile de rester en Israël et à l’autre moitié d’être réinstallés dans d’autres pays occidentaux.

Selon Julie Fisher, militante au nom des demandeurs d’asile et épouse de Dan Shapiro, ancien ambassadeur des États-Unis en Israël sous Barack Obama, l’accord de l’ONU était la réponse la plus logique pour résoudre ce qu’elle appelle une « vraie crise humanitaire » en Israël.

Après plusieurs années de volontariat avec la communauté migrante africaine d’Israël, Fisher a récemment fondé le Consortium for Israel and the Asylum Seekers, une organisation destinée à servir de « point d’accès » pour ceux qui se trouvent en dehors d’Israël pour s’informer et se familiariser avec le sujet.

Julie Fisher (deuxième à partir de la droite) visite le Kuchinate African Women’s Collective dans le sud de Tel Aviv. Il s’agit d’un collectif de femmes artistes, dont beaucoup sont victimes de torture et ont des enfants ayant des besoins spéciaux. (Autorisation)

« Les gens diront : ‘Oh, Dieu merci, il n’y a pas d’expulsion. Les choses vont très bien' », a dit Mme Fisher lors d’une interview par téléphone avec JTA. « Et je dis, c’est absolument génial qu’il n’y ait pas de menace en ce moment. Cependant, nous avons des volontaires qui se déplacent tous les jours pour nourrir les gens. Et ça, c’est un problème. »

La pauvreté et le désespoir ne font qu’empirer, indique Mme Fisher, en partie à cause de la controversée « loi sur le dépôt », qui oblige les demandeurs d’asile travaillant en Israël à déposer 20 % de leur salaire sur un compte bloqué qui ne sera accessible qu’à leur départ d’Israël.

Les partisans de la ligne dure du gouvernement à l’égard des migrants disent que beaucoup d’Africains ne peuvent pas démontrer que leur vie est menacée chez eux – et qu’Israël a fait preuve de clémence lorsqu’ils pouvaient le démontrer. Le mois dernier, 300 Soudanais du Darfour et d’autres régions similaires ont obtenu des visas humanitaires A5, ce qui est un échelon en dessous du statut de réfugié, mais qui permet aux migrants d’obtenir un permis de conduire, des documents de voyage et des permis de travail.

Le gouvernement déclare également que les Africains sont arrivés en Israël via l’Égypte, où leur vie n’était généralement plus en danger. Mais Jack dit qu’en raison des liens de l’Égypte avec le gouvernement soudanais, il ne se sentait toujours pas en sécurité.

Les demandeurs d’asile attendent pour renouveler leur visa au bureau de l’Autorité de la population et de l’immigration de Bnei Brak, le 23 mai 2018 (Crédit : Melanie Lidman/Times of Israel)

La plupart du temps, le gouvernement et ses partisans disent qu’Israël doit d’abord prendre en compte ses propres citoyens, en particulier les résidents du sud de Tel Aviv, qui disent que les migrants ont fait augmenter le taux de criminalité et dégradé un quartier déjà à faible revenu.

Emmanuel Navon, de l’Institut d’études stratégiques de Jérusalem, a déclaré que les États-Unis, l’Allemagne et l’Italie ont tous des politiques similaires d’expulsion des immigrants illégaux.

« La politique d’Israël est conforme au droit international et à la pratique d’autres démocraties, et elle ne devrait pas être jugée selon des normes plus élevées », a-t-il écrit en janvier.

Jack dit que les politiques israéliennes visent à créer une pression et des contraintes pour forcer les demandeurs d’asile à partir. En tant que leader communautaire, Jack organise des manifestations pour tenter de changer ces lois.

Mais tandis que Jack œuvre pour rendre les conditions plus tolérables, il a également fait une demande d’asile au Canada avec l’aide de Wind and Coven. Grâce aux contacts des sœurs, il a récemment obtenu les appuis canadiens nécessaires pour faire avancer le processus de demande.

Des élèves et enseignants du Seminar Ha’kibuzim manifestent contre l’expulsion des migrants africains, à Tel Aviv, le 24 janvier 2018. (Crédit : Tomer Neuberg/ FLASH90

Ayla Lefkowitz, une des personnes qui parrainent le projet, a indiqué que le processus de demande prend entre 18 à 24 mois. Au cours de ce processus, Jack se verra attribuer un numéro de dossier qui, selon Lefkowitz, l’empêchera d’être expulsé d’Israël.

Mais Jack a assez souffert pour ne pas se faire de faux espoirs.

La vie de Jack – il pense avoir la trentaine, mais il ne possède aucune trace écrite de son âge – a été une série d’horribles épreuves et de rares échappées. En mars 2003, il s’est réveillé au son des coups de feu alors que les milices pro-gouvernementales soudanaises envahissaient son village au Darfour, où elles participent depuis des années au harcèlement meurtrier de la population locale. Jack a commencé à courir pour sauver sa vie, en passant par des fossés contenant les corps des personnes tuées. C’est la dernière fois qu’il a vu son père, sa mère et ses frères et sœurs, aujourd’hui dispersés dans plusieurs camps de réfugiés africains.

Jack a réussi à se rendre à Khartoum, la capitale du nord du Soudan, où il a vécu près d’un an sans abri. Pendant ce temps, il a commencé à apprendre l’anglais au YMCA et a fini par trouver du travail dans le bâtiment.

Après deux ans, Jack avait économisé assez d’argent pour ouvrir une épicerie. En 2007, il a commencé à organiser des manifestations contre le traitement des Darfouriens par le gouvernement soudanais.

Un village du Darfour (Capture d’écran YouTube)

Jack a été arrêté avec d’autres militants et raconte qu’il a été détenu et torturé pendant trois jours. Il a utilisé ses économies pour soudoyer l’un des gardes pour l’aider à s’échapper ; les autres avec lesquels il a été arrêté ont été pendus peu de temps après. Jack a pris un taxi pour quitter la ville et a continué jusqu’en Égypte, où il a payé un contrebandier pour le conduire à la frontière israélienne.

Il se souvient de son voyage vers Israël avec des détails douloureux. C’était en octobre 2008 et les nuits étaient extrêmement froides. Le contrebandier a confié Jack et d’autres personnes à des Bédouins égyptiens.

« Je ne savais pas s’ils allaient me tuer ou me garder comme prisonnier », se souvient Jack.

Mais après trois jours, pendant lesquels Jack raconte qu’on ne lui a donné qu’une tasse d’eau et un demi morceau de pain, les Bédouins ont rassemblé Jack et huit autres demandeurs d’asile au milieu de la nuit, les ont dirigés vers Israël et les ont laissés partir.

Encore une fois, Jack s’est mis à courir.

« Nous sommes enfin arrivés en Israël, mais nous ne le savions pas », explique-t-il. « Les soldats israéliens ont commencé à venir vers nous, parlant en arabe pour nous dire que nous étions en sécurité. [De ce fait], nous avons pensé que nous étions encore en Égypte et nous avons commencé à fuir [loin d’eux]. Nous avons couru toute la nuit jusqu’à ce que les soldats israéliens nous attrapent au petit matin. »

Jack et les autres ont reçu de la nourriture et ont été examinés par des médecins. Il confie que cet acte minimal d’humanité reste gravé en lui jusqu’à ce jour.

Des demandeurs d’asile africains quittent la prison de Saharonim dans le sud d’Israël où ils avaient été emprisonnés en raison de leur refus de quitter le pays, le 15 avril 2018. (Hadas Parush/Flash90)

Jack a été emmené au centre de détention de Saharonim où il a passé deux mois avant de se voir remettre un billet de bus pour Tel Aviv. Il a obtenu un visa humanitaire A5. Dans une ville étrangère sans argent, Jack a trouvé un parc pour vivre dans le sud de Tel Aviv, un lieu de rassemblement fréquenté par les nombreux demandeurs d’asile africains du quartier.

Trois jours plus tard, un Israélien s’est arrêté près du parc et a demandé à Jack et à trois autres s’ils voulaient travailler.

« Aurai-je un endroit où habiter ? » a demandé Jack. L’homme a dit que oui, et le groupe a sauté sur l’occasion. Ils se sont rendus en voiture à Jérusalem, où ils ont été embauchés pour travailler comme employés de maison dans un hôtel.

Après un certain temps, Jack est passé à d’autres petits boulots. Il avait de l’argent et des amis, et la vie était gérable. C’était jusqu’en 2014, date à laquelle il a été envoyé au centre Holot où on lui a dit qu’il serait détenu pour une durée indéterminée. Le centre était une installation ouverte près de la frontière du Sinaï qui accueillait jusqu’à 1 200 migrants, qui étaient autorisés à partir travailler pendant la journée.

Les conditions de vie, poursuit Jack, ont créé un sentiment de désespoir au point de convaincre les demandeurs d’asile de retourner dans leur pays d’origine. Il raconte qu’étudier en groupe et faire la cuisine était interdit. Et les détenus étaient obligés de se faire contrôler trois fois par jour, ce qui excluait la possibilité d’aller bien loin.

L’ami de Jack à Holot, Abdel Azib, n’a pas pu gérer la situation et a finalement accepté de rentrer au Soudan. Deux jours après son retour, Jack nous dit qu’Azib a été arrêté et torturé à mort.

« Pour moi, ce fut une leçon qui m’a appris que je ne pouvais pas rentrer », raconte Jack.

Des demandeurs d’asile africains sortent de la prison de Saharonim dans le sud d’Israël le 4 avril 2018, après que le Rwanda se soit retiré d’un accord pour accueillir les migrants expulsés de force. (Capture d’écran/Hadashot news)

Jack s’est plutôt employé à mobiliser les détenus pour faire évoluer les politiques au sein du camp en plein air. Leurs protestations ont porté leurs fruits : L’appel nominal a été ramené à une fois par jour et l’interdiction d’apprentissage en groupe a été levée.

Dix-neuf mois plus tard, le 27 août 2015, Jack a été libéré après que la Cour suprême d’Israël a jugé illégal de garder les demandeurs d’asile en détention pendant plus de 12 mois. Jack souligne que les conséquences psychologiques pour lui et ses compatriotes migrants à Holot ont été importantes. Le gouvernement israélien a fermé le complexe en mars.

Ce n’est que l’année dernière que Jack a commencé à retrouver son rythme lorsqu’il a commencé à étudier l’hébreu afin de s’inscrire au programme de travail social de l’université Hébraïque. Ses études sont soutenues par le philanthrope juif américain Joey Low, un défenseur des demandeurs d’asile.

Jack dit espérer pouvoir utiliser ce qu’il a appris pour reconstruire le Darfour à la fin de la guerre. Il rêve aussi de se marier un jour et de fonder une famille.

« En tant que peuple, nous avons naturellement nos ambitions, nos espoirs », ajoute Jack. « Il n’y a pas d’avenir à espérer [en Israël]. Je serai toujours une personne non désirée. »

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