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Un nouveau livre raconte plus de 2 000 ans de présence juive à Rome

De l'Église à Mussolini, dans « Intimate Strangers », l'archéologue et historien Fredric Brandfon explore l'histoire riche et complexe de la plus ancienne communauté juive d'Europe

Epicerie fine juive dans le quartier du ghetto de Rome, à l'angle des rues Santa Maria del Pianto et Costaguti, en 1938. (Avec l'aimable autorisation du Service de presse de la Communauté juive de Rome)
Epicerie fine juive dans le quartier du ghetto de Rome, à l'angle des rues Santa Maria del Pianto et Costaguti, en 1938. (Avec l'aimable autorisation du Service de presse de la Communauté juive de Rome)

Lorsque l’archéologue et historien Fredric Brandfon s’est rendu au Musée du Vatican, il a demandé à sa guide juive depuis combien de temps sa famille vivait à Rome. Sa réponse lui a donné une idée de la longue histoire des Juifs au sein de la Ville éternelle.

Les ancêtres de la guide sont arrivés à Rome suite à l’expulsion des Juifs d’Espagne, en 1492. La famille a été menacée par la Shoah, mais fort heureusement, les grands-parents de la guide ont été accueillis par le Musée du Vatican et sa mère a été cachée dans un couvent, sous la protection directe de la mère supérieure.

Cette conversation donne l’idée à Brandfon d’écrire un livre sur une histoire vieille de plusieurs siècles, récemment publiée sous le titre  Intimate Strangers: A History of Jews and Catholics in the City of Rome.

« Je me suis rendu compte qu’il y avait une histoire, ici, qui méritait d’être racontée », explique Brandfon au Times of Israel.

Il se souvient avoir pensé : « Je suis historien, archéologue. Peut-être que je peux remonter un peu plus loin : je pourrais obtenir plus d’informations. » Après des recherches sur la longue histoire des Juifs à Rome, Brandfon explique : « J’avais tout ce qu’il me fallait pour écrire ce livre. »

Un communiqué de presse rappelle l’ampleur de cette histoire vieille de deux millénaires : « La communauté juive de Rome est la plus ancienne communauté juive d’Europe, et l’une de celles ayant la plus grande pérennité. Elle a su éviter les ruptures, les expulsions et les anéantissements, et ce, depuis l’an 139 avant notre ère. Pendant la majeure partie de cette période, les Romains juifs ont vécu en contact étroit avec la plus grande organisation internationale permanente : l’Église catholique romaine. »

L’archéologue et historien Fredric Brandfon est l’auteur de « Intimate Strangers: A History of Jews and Catholics in the City of Rome ». (Steven Hankins)

L’histoire des Juifs de Rome recouvre des moments clés de l’histoire italienne, comme l’illustrent le tristement célèbre ghetto juif de Rome, qui a existé pendant plus de trois siècles, ou le régime fasciste de Benito Mussolini et l’horreur de la Shoah, avec le pape Pie XII et son silence face aux atrocités de l’Axe.

Brandfon est un spécialiste du 11e siècle avant notre ère, le fameux âge du fer. Son dernier ouvrage en date commence par l’évocation relativement récente de la Rome antique. La communauté juive de la capitale de l’empire est épargnée des répercussions violentes suite aux événements cataclysmiques qui se déroulent dans la lointaine Judée, à savoir la destruction du Second Temple, en 70 de notre ère, et la fin de la révolte de Bar Kokhba en 135.

Néanmoins, l’Arc de Titus de Rome commémore le général éponyme, empereur et conquérant de Jérusalem, et les contributions financières de la communauté juive romaine, traditionnellement allouées à l’entretien de son temple, sont détournées pour rénover un temple à la gloire de Jupiter. Le livre revient également sur l’histoire de Bérénice, reine juive de Judée qui a perdu son trône, s’est éprise de Titus et s’est installée avec lui à Rome en 75. Lors de son accession au trône, quatre ans plus tard, il la répudie et l’expulse. Sa mémoire demeure dans la culture italienne, notamment dans les opéras.

Suite à la disparition de l’empire, l’Église catholique devient la principale puissance à Rome. Selon Brandfon, pendant une grande partie de l’histoire juive romaine, la communauté vit dans les limites exiguës du ghetto instauré en 1555 par le pape Paul IV et qui perdurera plus longtemps que tout autre ghetto en Europe. Bien que ses murs aient été brièvement abattus lors des invasions napoléoniennes, il n’a officiellement pris fin qu’au moment de l’unification italienne, en 1870.

Façade du temple d’Hadrien déifié, l’empereur romain qui a écrasé la révolte de Bar Kochba en 135 de notre ère. Jusqu’à récemment, l’intérieur restauré abritait la Bourse romaine. C’est aujourd’hui un musée et une attraction touristique. (Avec l’aimable autorisation de Fredric Brandfon)

« Cette zone a été choisie pour en faire un ghetto car elle était peu propice – marécageuse, infestée de maladies, terriblement exiguë », rappelle Brandfon. « Et puis, bien sûr, il y avait des restrictions sur ce qu’il était ou non permis de faire pour gagner sa vie. On ne pouvait pas faire grand-chose. »

Les autorités papales rendent difficile la vie des Juifs dans le ghetto pour mieux les encourager à se se convertir au catholicisme, au besoin par la force.

« Pour moi, c’est la période la plus sombre de la relation entre Juifs et Catholiques à Rome », explique Brandfon à propos des conversions forcées.

« Elle est liée à la peur de l’Église de perdre sa place dans le monde. Ce n’est pas une excuse, c’est une explication de ce qui s’est passé. » Il évoque « des histoires terribles, en particulier l’enlèvement d’enfants, leur conversion forcée ».

Un de ces enfants convertis de force est devenu célèbre au 19e siècle : il s’agit d’Edgardo Mortara, un garçon juif de Bologne baptisé sans le savoir par la gouvernante de la famille et conduit à Rome. En dépit des récriminations des communautés juives du monde entier, y compris des États-Unis, la famille de Mortara n’a pas pu le récupérer. Il a finalement rejoint le sacerdoce et est mort en Belgique en 1940.

À ce moment précis, la communauté juive romaine était confrontée à la menace du fascisme de Mussolini et de son alliance avec le Troisième Reich d’Hitler.

Epicerie fine juive dans le quartier du ghetto de Rome, à l’angle des rues Santa Maria del Pianto et Costaguti, en 1938. (Avec l’aimable autorisation du Service de presse de la Communauté juive de Rome)

Juste après la prise du pouvoir par Mussolini en 1922, sa position envers les Juifs ne semble pas très hostile. Il encourage de temps à autre le sionisme, tout en recommandant aux Juifs de s’installer non pas en Palestine mais en Éthiopie, dont il souhaite faire une colonie italienne. Mussolini a, à cette époque, une relation avec une Juive, Margherita Sarfatti, qui a une certaine influence idéologique sur le Duce, selon l’auteur.

« Margharita Sarfatti écrivait les discours de Mussolini », assure Brandfon. « C’est elle qui lui trouve un appartement à Rome. Il y vit avec elle, loin de sa famille. Elle joue un rôle déterminant dans la formulation des principes du fascisme… Quelle que soit la théorie derrière le fascisme en Italie, il y a une part d’elle. »

Mais le Duce évolue vers une politique farouchement antisémite avec les lois raciales de 1938, qui limitent la participation des Juifs à la vie publique à la hauteur de leur part dans la population.

« Au sein du gouvernement ou de l’administration, ils étaient quasi-inexistants », rappelle Brandfon, ajoutant que quitter l’Italie devient impossible. « À un certain moment, les Juifs ne pouvaient plus aller nulle part. Le monde était en guerre. »

Illustration : Une femme se tient près de pavés gravés des noms de Juifs tués par les nazis, dans le quartier juif du ghetto de Rome, le 27 janvier 2021, à l’occasion de la Journée internationale dédiée à la mémoire des victimes de la Shoah (AP Photo/Gregorio Borgia)

Pendant la Seconde Guerre mondiale, Pie XII ne se prononce pas contre Mussolini ou Hitler et ses actions donnent lieu à la controverse.

Qualifiant la conduite de Pie XII durant la guerre de « sujet très difficile », Brandfon confie : « Je ne crois pas qu’il était antisémite. Je crois qu’il était dans une situation inextricable. »

« Dans mon livre, je dis qu’il avait une réputation – auto-entretenue – d’homme très spirituel. Je crois qu’il n’a pas été à la hauteur de sa réputation face à la Shoah et vis-à-vis des Juifs de Rome, comme des Polonais de Pologne. Il n’évoque pas le massacre des catholiques en Pologne par les nazis. Il ne parle pas des innocents tués dans la tourmente. Il ne parle pas de tous ces Juifs innocents ».

Lorsque les Alliés envahissent la Sicile en 1943, la situation à Rome s’aggrave pour les Juifs : le gouvernement de Mussolini tombe et dans le vide de pouvoir qui s’ensuit, les nazis prennent le contrôle de la capitale. En dépit des objections initiales de certains nazis, un millier de Juifs romains sont rassemblés pour être déportés à Auschwitz. Il n’y aura que 15 survivants.

Ce qui sauve ce qui reste des Juifs de Rome, c’est la libération de la ville par les Alliés, il y a de cela 80 ans.

« Intimate Strangers », de Fredric Brandfon. (Autorisation)

A la recherche de raisons autres que l’antisémitisme pour expliquer le comportement du pape, Brandfon signale l’existence d’un communiqué de l’ambassadeur du Vatican auprès du régime fantoche de Mussolini dans le nord de l’Italie. L’ambassadeur y évoque une politique de neutralité par crainte de représailles nazies.

« Pie a pu penser que, s’il s’exprimait, il y aurait des représailles contre les Catholiques et les juifs cachés dans les églises, les monastères et les couvents, que ce soit à Rome, en Italie ou en Europe », explique Brandfon. « Je n’ai pas de preuve, mais c’est de l’ordre du possible. »

Sous l’occupation nazie, et en dépit du silence officiel du Vatican, certains Catholiques cachent des Juifs, d’autres les livrent à la déportation et à la mort. Parmi les traîtres, on compte même une gangster juive surnommée la Pantera Nera, en français la Panthère Noire.

« Catholiques, Juifs, peu importe, on ne peut pas généraliser », affirme Brandfon. « Il y en a des bons, des mauvais, et puis il y a tout le reste… On trouvera toujours une histoire épouvantable à condamner. L’inverse est également vrai. »

Une période plus optimiste commence dans l’après-guerre. Le 2 décembre 1947, à l’issue du vote de l’ONU en faveur de la création de l’État d’Israël, Rome organise une célébration qui se passe très ironiquement à l’Arc de Titus. Le pape Jean XXIII, qui en tant que cardinal Angelo Roncalli, a sauvé des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale, fait un grand pas en devenant pape avec le Concile Vatican II. Après sa mort en 1963, son successeur, Paul VI, poursuit l’œuvre du concile, dont on retient surtout la déclaration Nostra Aetate, qui dédouane les Juifs de toute forme de culpabilité collective pour la mort de Jésus-Christ.

La Tempio Maggiore, ou Grande Synagogue de Rome, construite au tournant du 20ème siècle. (Avec l’aimable autorisation de Fredric Brandfon)

Toutefois, l’Italie se montrera réticente à poursuivre les ex-nazis et ex-collaborateurs pour leurs crimes de guerre contre les Juifs. Lorsque l’Église catholique explique sa propre conduite pendant la Shoah, elle le fait au moyen d’un document de trois pages. C’est terriblement insuffisant pour les historiens, comme David Kertzer, qui a écrit un livre sur le sujet, « Les papes contre les Juifs », et un autre, sur Pie XII, « Le pape en guerre ».

À LIRE : Le pape Pie XII, loin d’être « neutre » pendant la Shoah, dit un lauréat du Pulitzer

Les récents papes, François y compris, entretiennent des relations plus fructueuses avec les dirigeants de la communauté juive de Rome, comme le grand rabbin Riccardo di Segni.

« Le successeur du pape Jean-Paul II, le pape Benoît XVI, poursuit l’ouverture envers la communauté juive », assure Brandfon.

« L’actuel grand rabbin de Rome a rencontré le pape Jean-Paul II, Benoît XVI, François… Il y a de l’espoir. Il y a de l’espoir. Je suis quelqu’un d’optimiste à titre général. »

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