Un vétéran juif enterré aux côtés de nazis sera inhumé 80 ans après selon le rite juif
Les fouilles menées par la fondation Operation Benjamin ont permis de retrouver les restes de Nate Baskind, soldat juif américain mort dans un camp de prisonniers de guerre
JTA – Lorsqu’il était enfant, le père de Samantha Baskind parlait parfois de son « oncle Nate », qui s’était élancé sur les plages de Normandie, le D-Day.
Au moment des commémorations du Débarquement, il disait souvent qu’il avait été un « grand héros de guerre juif américain », se souvient Baskind.
« Il disait toujours la même chose. »
Il reste une photo de Nate, alors âgé d’une vingtaine d’années, juste avant de partir à la guerre. Il porte alors le père de Baskind comme un bébé. La famille ignorait ce qui lui était finalement arrivé, l’armée américaine l’ayant déclaré disparu au combat.
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Tout a changé l’an dernier, lorsqu’une information est arrivée dans la boîte mail d’Operation Benjamin, organisation à but non lucratif à la recherche des lieux de sépulture des militaires juifs américains inhumés par erreur sous des croix.
La source à l’origine de cette information venait de découvrir des sépultures d’officiers nazis, entretenues par les Allemands, revêtues du nom des morts, sur une plaque.
Sur l’une de ces plaques, on pouvait lire un nom un peu inhabituel et à consonnance juive : Nathan Baskind.
C’est ainsi qu’a commencé l’enquête qui durera une année entière. Operation Benjamin a découvert que Baskind, premier lieutenant au sein de l’armée américaine, blessé de l’autre côté des lignes ennemies, est mort dans un camp de prisonniers de guerre allemand et a été inhumé dans une fosse commune nazie.
Formellement identifié par la commission allemande du mémorial de guerre, il n’a pas été identifié comme juif américain avant 80 ans révolus.
Avec l’aide de la petite-nièce de Nathan, Samantha, la référente familiale, l’organisation a fouillé la sépulture, identifié les ossements de Nate et travaillé avec les autorités allemandes, françaises et américaines de façon à organiser une nouvelle inhumation selon le rite juif.
La cérémonie aura lieu en Normandie le 23 juin prochain, jour du 80e anniversaire de sa mort, quelques semaines seulement après les commémorations du 80e anniversaire du D-Day, auxquelles ont assisté les derniers vétérans de la Seconde Guerre mondiale, en présence du président américain Joe Biden.
« Je me suis souvent sentie découragée », confie à la JTA Baskind, historienne de l’art et enseignante de la Shoah à l’Université d’État de Cleveland, à propos de cette année passée à retrouver la trace et l’histoire de son grand-oncle. « Mais c’est aussi un honneur. »
Le cas Baskind s’est avéré nettement plus corsé que ceux que traite habituellement l’organisation Operation Benjamin.
Avec l’aide de généalogistes et d’experts des fouilles, l’organisation a, à ce jour, identifié une vingtaine de soldats juifs américains inhumés par erreur dans les carrés catholiques par l’armée américaine et a fait en sorte de leur donner une sépulture juive. (Comme tant d’autres organisations juives avec le même objet, Operation Benjamin inhume les morts dans le respect de la loi juive, avec une attention toute particulière pour l’intégrité des dépouilles, dans toute la mesure du posssible.)
Mais à ce jour, jamais l’organisation n’avait découvert de Juif américain inhumé avec les nazis qu’il combattait. Alors que l’inverse s’était déjà produit : en 2013, des scientifiques avaient alors établi que le chef de la Gestapo, Heinrich Müller, avait été inhumé dans une fosse commune juive.
« On comprendra aisément l’importance pour nous de ramener dans la foi de ses ancêtres et dans son pays un soldat enterré aux côtés des nazis depuis si longtemps », explique à la JTA le rabbin Jacob Schacter, président et cofondateur d’Operation Benjamin. (L’autre fondateur du groupe était le promoteur immobilier Sheldon Lamm.)
Schacter a vu pour la première fois la tombe de Baskind à l’occasion d’un déplacement en Normandie, en 2023, pour assister à la deuxième inhumation d’un autre soldat juif. Au beau milieu de ce cimetière allemand, se souvient-il, il s’est laissé aller à un peu d’emphase.
« J’ai grimpé sur un petit muret, autour de la fosse commune, et je lui ai
dit : « Nathan, nous venons te chercher. Nous allons t’emmener loin d’ici. Nous allons te ramener chez toi », se rappelle Schacter.
Deux ossements et la purple heart
Lorsque Samantha Baskind a été contactée à ce sujet, elle travaillait à son dernier livre, une biographie de l’artiste juif américain du XIXe siècle, Moses Ezekiel, qui s’est battu dans les rangs de la Confédération. L’exposition prévue autour du travail d’Ezekiel – organisée par Baskind – a été annulée par l’Université de Princeton en 2022 en raison de ses sympathies pour les confédérés.
L’inhumation de l’oncle Nate s’est rapidement muée en travail à temps plein. Baskind a fait des recherches généalogiques approfondies et passé des tests ADN.
Pendant ce temps, Operation Benjamin travaillait en bonne intelligence avec le Volksbund, commission allemande en charge des mémoriaux de guerre et des tombes militaires – nazis compris -, de façon à ce que soit autorisée la fouille de la fosse commune, pour retrouver des restes de Nate.
(Schacter a déclaré ne pas s’être senti gêné de travailler avec le Volksbund, dont le directeur « porte son identité historique allemande avec une infinie gentillesse et une grande sensibilité ».)
Malgré la décomposition importante des corps, les experts en charge des fouilles sont parvenus à identifier deux ossements de Baskind.
Le processus dans son ensemble – négociations avec les gouvernements allemand, français et américain compris – a pris un peu plus d’un an.
Un peu avant la commémoration du Débarquement de cette année, Samantha a utilisé les ressources de Zoom pour organiser la seconde inhumation de Nate. Elle a été très étonnée qu’un émissaire des autorités militaires vienne lui remettre les médailles de Nate, dont la Purple Heart. C’était la confirmation ultime que l’oncle Nate avait été un héros de guerre, comme le disait si souvent son père.
Les similitudes avec ses propres travaux universitaires l’ont quelque peu ébranlée, confie-t-elle.
« Je faisais dans le même temps des recherches sur deux hommes qui s’étaient battus, chacun pour des causes bien différentes », explique-t-elle. Ses recherches sur Ezekiel lui ont permis de mettre en lumière l’existence
« de mensonges sur les Juifs et l’armée », très répandus au sein de la classe dominante de l’époque, à commencer par Mark Twain (qui finira par faire amende honorable et deviendra un ardent défenseur des Juifs jusqu’à la fin de sa vie).
« En ce temps-là , il y avait beaucoup de propos antisémites concernant la façon dont les Juifs se seraient soustraits à leurs obligations patriotiques dans leur pays, au motif qu’ils n’auraient eu de loyauté qu’envers leur peuple », précise-t-elle.
Des décennies plus tard, les Juifs qui ont combattu lors des deux guerres mondiales – à commencer par Nate – s’inscriront en faux – et en grand nombre – contre ces stéréotypes.
Une nouvelle famille fortuite
Au Pentagone, quelqu’un d’influent réfléchissait à ce que l’histoire de Nate pouvait signifier pour les militaires juifs.
Jacob Freedman, le chef d’État-major juif du secrétaire de l’armée américaine, a eu connaissance du projet consistant à donner une sépulture juive à Baskind. A cette occasion, il s’est aperçu qu’il était un parent éloigné de la famille : sa grand-mère était la cousine germaine de Nate Baskind.
Il fait aujourd’hui tout son possible pour qu’un représentant de l’armée soit présent à la cérémonie de Baskind, aux côtés de Samantha et des représentants d’Operation Benjamin.
« C’est très important pour moi de matérialiser ce lien », confie à la JTA Freedman, qui a également été chef de cabinet de l’ex-Secrétaire d’État Madeleine Albright.
« Je pense que c’est un excellent rappel, en particulier en ce moment très difficile pour le peuple juif, du fait que les Juifs américains font totalement partie de ce pays. Ils se sont battus et ont donné leur vie pour lui. Ils travaillent à tous les niveaux, à tous les postes de nos jours. »
Le père de Samantha est décédé il y a de cela plus de dix ans. Mais depuis qu’elle sait ce qui est arrivé à Nate, elle a ressorti cette photo ancienne, où on le voit avec son oncle.
Lorsque l’armée lui a demandé où elle voulait que son oncle Nate soit inhumé, elle a un temps pensé à la parcelle familiale, à Squirrel Hill, quartier juif de Pittsburgh où 11 Juifs ont été assassinés lors des prières de shabbat, le 27 octobre 2018.
Mais en fin de compte, dit-elle, « je voulais qu’il soit en Normandie » – dans le cimetière américain dédié aux soldats morts au combat, un endroit qu’elle décrit comme « un océan de croix ».
« Il va reposer dans le cimetière américain avec une étoile de David, au milieu de toutes ces croix », conclut-elle. « Inhumé aux côtés d’un autre soldat juif. À côté d’une étoile de David, donc. »
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