Une étude exhume les non-dits du traitement des corps des femmes par les nazis
L'auteure Beverley Chalmers dit que nous devons aux victimes et aux survivants de connaître les crimes indicibles – parmi lesquels on compte des viols, des expérimentations et des avortements forcés – qui leur ont été infligés

Le dernier livre du Dr. Beverley Chalmers n’est pas le genre de livre que les gens souhaitent lire. Pourtant, ils le devraient.
Intitulé ‘Naissances, sexe et abus : les voix des femmes sous l’autorité nazie‘, il est rempli d’un bout à l’autre de récits horrifiants d’innombrables femmes juives et non juives ayant été violées ou brutalisées, sur lesquelles des expériences ont été pratiquées, forcées à se prostituer ou contraintes de subir une stérilisation ou un avortement contre leur volonté.
Certaines femmes allemandes réussirent à enfanter et leurs bébés leur furent enlevés pour être mis en adoption. Ceux des femmes juives leur étaient arrachés et assassinés sous leurs yeux.
Ces actions faisaient partie du plan nazi visant à créer une race dominante, mais avant que Chalmers ne décide d’écrire son livre, aucun travail de fond n’avait examiné en profondeur et rassemblé la preuve de cet aspect de l’Holocauste.
Plus d’une décennie de recherches incessantes et particulièrement précises sur le sujet a été une charge émotionnelle pour Chalmers, 65 ans, experte en grossesses et accouchements dans des environnements sociaux, économiques, politiques et religieux difficiles.
Elle a précédemment publié à propos des femmes qui accouchaient sous l’Apartheid en Afrique du Sud ou donnant naissance sous le communisme de l’ex-Union soviétique. D’autres de ses livres traitaient des femmes ayant subi des mutilations génitales accouchant au Canada et des femmes donnant naissance à des enfants dans des conditions hautement médicalisées.
“C’était émotionnellement épuisant. Mes enfants m’ont suggéré d’écrire des choses plus joyeuses mais j’ai continué pare que ces histoires ont besoin d’être racontées. Les expériences de ces femmes doivent être portées à la connaissance et honorées,” a dit l’auteur dans une interview pour Times of Israel dans sa maison de Kingston, Ontario, Canada.
L’heure de ce livre est arrivée
Professeure à l’université d’Ottawa jusqu’à l’an dernier, née et élevée en Afrique du Sud ; Chalmers a lu environ 600 livres et articles et passé les archives de l’Holocauste et de la Seconde Guerre mondiale au peigne fin, en Israël, aux Etats-Unis et au Royaume-uni à la recherche de preuves documentaires et de témoignages personnels.
Elle ne fut pas surprise de découvrir que les mémoires et journaux intimes datant de la guerre et de la période qui a immédiatement suivi étaient plus ouverts et crus sur ce que les femmes ont enduré dans les ghettos, les camps ou partout ailleurs sous l’occupation nazie.
En revanche, pratiquement aucune attention ne leur était accordée puisqu’à l’époque, les gens n’avaient pas envie d’entendre cette sorte de témoignage ou ne pouvaient concevoir l’étendue des atrocités ayant été commises. C’était aussi une période où les discussions ouvertes à propos du sexe ou de la sexualité étaient encore généralement taboues.
A l’inverse, les témoignages donnés des décennies plus tard à propos de ce qui s’est passé durant la Seconde Guerre mondiale ont souvent été épurés.
Les témoignages donnés des décennies plus tard à propos de ce qui s’est passé durant la Seconde Guerre mondiale ont souvent été épurés
« Les survivantes ne parlaient de rien ayant trait à la sexualité parce qu’elles ne voulaient pas que leurs enfants et petits-enfants sachent ce qu’ils leur était arrivé, » explique Chalmers.
C’est seulement dans les années 1980 que les experts de l’Holocauste ont commencé à s’intéresser spécifiquement aux expériences sur les femmes sous l’occupation nazie et pendant la guerre. De plus, l’accent était mis à ce moment-là sur la manière dont les femmes gardaient leur famille unie et fonctionnelle après que leurs pères et maris aient perdu leur travail ; aient été arrêtés, envoyés en camps de concentration ou tués.
“Je pense qu’on faisait peu mention des expériences sur les naissances à cause du fort féminisme et de l’accent mis sur les carrières des femmes dans les années 80″, note Chalmers.
Tout cela faisait partie de l’agenda nazi pour créer une race supérieure
“Naissances, Sexe et Abuse” est composé de deux parties. La première traite de la grossesse et de la maternité, la seconde porte sur la sexualité et les abus sexuels. Dans les deux, l’auteur fait référence aux expériences des allemandes juives et non juives.
“Je savais que c’était une perspective rare et potentiellement controversée à prendre mais j’ai fermement ressenti que je devais regarder le côté aryen des choses, avec le côté juif parce qu’ils rentraient ensemble dans le plan nazi pour créer une race supérieure », dit l’auteur.
350 000 à 400 000 hommes et femmes allemands furent stérilisés de force dans 250 centres
“Des difficultés furent imposées dans les deux camps, bien que l’expérience des Juifs soit de loin la pire. L’expérience juive fut horrifiante et indicible ». ajoute-t-elle.
Les nazis mirent en place des programmes de stérilisation et d’euthanasie systématiques dans les six mois suivant leur arrivée au pouvoir, en 1933.
Des membres des professions médicales furent leurs partenaires dans cette entreprise, ayant adopté les concepts introduits et renforcés par les nazis de Rassenkunde (l’étude des races et la théorie de la supériorité raciale) et de Rassenschande (pollution raciale, race souillée, ou trahison raciale).
En fin de compte 350 000 à 400 000 hommes et femmes allemands furent victimes de stérilisation forcée dans 250 centres voués spécifiquement à ce but. Il furent stérilisés car « non aryens » ou semblant être mentalement ou physiquement déficients de quelque manière que ce soit.

D’un autre côté, une terrible pression était mise sur les femmes allemandes du profil racial désiré pour qu’elles mettent au monde de nombreux enfants pour le Reich.
Le mouvement féministe était une cible et les femmes étaient supposées rester à la maison et devenir des machines à bébés. Les hommes aryens dont les femmes ne pouvaient pas ou plus enfanter étaient encouragés à divorcer et à prendre des épouses plus jeunes pour continuer à procréer.
Le sexe hors mariage était encouragé et les adolescents du mouvement de la jeunesse nazie devinrent sexuellement actifs très jeunes. Les naissances illégitimes n’étaient pas restreintes. En même temps, les avortements pour les femmes aryennes furent rendus illégaux.
Le chef des SS du Reich, Heinrich Himmler, introduit le programme Lebensborn en 1935 comme moyen d’élever les SS en une élite biologique. Il donnait un soutien financier aux familles des SS et des soins de maternité pour les mères non mariées. Dans certains cas, les femmes enceintes étaient forcées à résider dans les maisons de Lebensborn. Dans d’autres, les bébés étaient simplement kidnappés de leur familles allemandes indésirables et donnés à des parents aryens.
Des Allemandes et des femmes des territoires conquis par les Allemands furent forcées à se prostituer pour les soldats allemands ou les travailleurs étrangers
Des Allemandes et des femmes des territoires conquis par les Allemands furent forcés à se prostituer pour les soldats allemands ou les travailleurs étrangers. Il y avait même des bordels dans les camps de concentration, Auschwitz inclus.
Dans ces camps, certaines des prostituées étaient sélectionnées parmi les membres du camp. Il existe une controverse à ce sujet. Les Juives furent-elles utilisées comme prostituées ? On supposait que non en raison du Rassenschande, mais certains historiens rapportent que des femmes juives furent utilisées dans les bordels établis par les soldats allemands pour toutes les catégories, militaires, SS, population civile et travailleurs étrangers.
Il est à noter que le viol n’a jamais été une politique nazie officielle – malgré les bordels. Cependant cela fut cautionné a posteriori. Contrairement au viol collectif, sanctionné par les Soviétiques, de centaines de milliers de femmes en Allemagne et en Autriche par les soldats de l’Armée rouge victorieuse en 1945.
‘L’expérience vécue par les Juifs est affreusement indicible »
Chalmers rentre dans les plus petits détails de l’expérience vécue par les femmes juives se cachant dans le ghetto et dans les camps de concentration et de travail en termes de grossesse et d’enfantement.
Dans tous ces environnements les femmes n’avaient pas le droit de tomber enceintes sous peine de mort. En conséquence, la plupart – bien que pas toutes – des femmes juives enceintes subirent un avortement (indifféremment de l’avancement de la grossesse) dans de dangereuses conditions sanitaires.
L’auteur cite le Dr. Gisella Perl, une médecin juive à Auschwitz-Birkenau qui a témoigné en 1948 de comment elle a avorté des fœtus pour sauver la vie de leurs mères.
‘J’ai accouché des femmes dans leur huitième, septième, sixième et cinquième mois, toujours dans la précipitation toujours avec mes cinq doigts, dans le noir, dans des conditions terribles’
D’abord je pris les grossesses de neuf mois j’accélérais la naissance en rompant les membranes et en général, après un ou deux jours, une naissance spontanée avait lieu sans autre intervention. Ou je procédais à une dilatation avec mes doigts, inversait l’embryon, ce qui le mettait au monde… après la naissance je bandais rapidement l’abdomen de la mère et la renvoyait au travail. Quand cela était possible je la plaçais dans mon hôpital qui était en fait une sinistre plaisanterie… Par miracle, ce qui semblera à chaque médecin être un véritable conte de fées, chacune de ces femmes s’est remise et fut en mesure de travailler ce qui, au moins pour un moment, leur a sauvé la vie.
![Des femmes et des enfants juifs des Basses Carpates russes attendent la sélection à l'entrée d'Auschwitz-Birkenau, en mai 1944 (Crédit : Musée du Mémorial de l'Holocauste des Etats-Unis, autorisation de Yad Vashem [Domaine public]) Des femmes et des enfants juifs des Basses Carpates russes attendent la sélection à l'entrée d'Auschwitz-Birkenau, en mai 1944 (Crédit : Musée du Mémorial de l'Holocauste des Etats-Unis, autorisation de Yad Vashem [Domaine public])](https://static.timesofisrael.com/fr/uploads/2016/05/RetrieveAsset-635x357.jpg)
Lorsqu’un enfant juif nait ou qu’une femme arrive au camps avec son enfant… je ne sais que faire de l’enfant. Je ne peux pas le libérer puisqu’il n’y a plus de Juifs vivant en liberté. Je ne peux pas le laisser dans le camps puisqu’il n’y a pas de moyens … qui permettrait à un enfant de se développer normalement. Il ne serait pas humain d’envoyer un enfant au four sans permettre à la mère d’être témoin de sa mort… C’est pour cela que je les envoie aux fours ensemble.
Mengele et d’autres médecins nazis réalisèrent toutes sortes d’expériences médicales sur les membres du camps. Plusieurs d’entre eux avaient pour but d’essayer de trouver des moyens de stérilisation de masse. Les femmes et hommes juifs endurèrent des expériences de torture faisant appel à des drogues des rayons X et des produits chimiques. Les cobayes humains étaient souvent brutalement ouverts en deux pour que les docteurs examinent les effets des traitements sur les organes reproducteurs. De manière non surprenante, cela conduisait plus que souvent à la mort.
Chalmers cite Aliza Barouch, qui a témoigné de sa stérilisation à Auschwitz. Elle fut exposée à deux rayons X différents pendant 20 minutes chaque fois, à trois reprises. Elle perdit tous ses cheveux, sa peau devint noire et elle avait du sang dans ses selles. Un médecin juif reçut l’ordre de pratiquer une ovariectomie sur elle.
Le médecin retira seulement un ovaire et une partie de l’utérus ce qui permit à Baruch d’avoir plus tard deux enfants bien qu’elle ait donné naissance à quatre autres enfants morts peu après la naissance. Le médecin juif fut envoyé aux chambres à gaz après que les nazis eurent découvert qu’il avait tenté de protéger Barouch et d’autres filles.
Selon Barouch, les sutures de son abdomen ne tenaient pas en place à cause des dommages provoqués à sa peau par les radiations. Elle eut une infection terrible mais tout ce qu’ils firent pour elle fut de mettre un papier sur ses blessures qu’ils fermèrent avec une épingle de sûreté.
“Aliza » est restée alitée pendant 11 mois dans une douleur extrême et avec une terrible fièvre. Elle ne savait pas ce qu’on lui avait fait », cite Chalmers.
D’autres parties du livre traitent du viol et de la brutalité sexuelle et incluent de nombreux exemples graphiques, comme un article du journal juif clandestin Junge Stimme d’octobre 1941 sur les femmes juives tirées hors de leurs appartements. Certaines eurent les seins coupés en pleine rue d’autres furent violés et certaines subirent les deux.

‘Nous n’avons pas le droit de dire que c’est dur à lire.
“Naissances, Sexe et Abus” est rempli d’innombrables exemples comme celui-ci qui retournent l’estomac Ce n’est évidemment pas un livre facile à lire.
“Les femmes qui sont passées par ces expériences doivent être honorées par notre courage de faire face à ces témoignages Nous leur devons cela. Nous n’avons pas le droit de dire que c’est dur à lire, » dit Chalmers.
L’auteur est fière des récompenses obtenues par le livre depuis sa publication, dont le Prix national du livre juif et le prix de la littérature juive canadienne.
Mais c’est uniquement lorsqu’elle raconte la réaction d’une femme âgée survivante de l’holocauste que sa voix trahit son émotion.
“Lors d’un évènement du prix de littérature juive canadienne une femme m’a approchée. Elle a remonté sa manche et m’a montré le numéro tatoué sur son bras. Puis elle m’a dit, ‘Je peux mourir maintenant. Mon histoire a été racontée.’”
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