Yifat Shasha-Biton : La députée Likud qui défie les ordres de Netanyahu
La chef de la commission coronavirus est-elle la défenseuse du peuple qui laisse ouvert plages et restaurants malgré l'Etat ou un agent de l'opposition menaçant la santé publique ?
Une députée du Likud peu connue est en train de renverser la politique du Premier ministre Benjamin Netanyahu en matière de coronavirus, en perçant les données qui sous-tendent les décisions du gouvernement, en renversant les restrictions COVID-19 imposées par les ministres en vertu de son rôle clé à la tête de la commission sur le coronavirus de la Knesset – et, selon certaines informations, en suscitant la colère du Premier ministre.
Il y a une semaine, la députée du Likud Yifat Shasha-Biton a déclenché une tempête politique lorsque sa commission à la Knesset a annulé l’ordre du gouvernement de fermer les piscines et les salles de sport, ce qui a donné lieu à des avertissements inquiétants de représailles de la part des gros bonnets du Likud et a déclenché un débat national sur le contrôle de la Knesset et la responsabilité du gouvernement.
Elle a fait à peu près la même chose lundi – en amenant sa commission à voter contre une décision ministérielle de fermer les plages et les piscines du pays le week-end. Et mardi, elle a de nouveau fait obstacle à Netanyahu et à ses collègues ministres, sa commission étant revenue sur leur décision de fermer les restaurants et de les maintenir ouverts sous réserve des limitations liées à la COVID-19.
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Les données sur les sources de contagion, a-t-elle déclaré – semblant vraiment malheureuse de se retrouver à nouveau en désaccord avec le chef de son parti et ses collègues ministres – ne justifient tout simplement pas l’ordre de fermeture générale.
« La commission ne peut pas voter sur quelque chose que nous ne pouvons pas expliquer publiquement », a-t-elle expliqué après le vote de la commission mardi, ajoutant qu’elle avait « essayé de trouver un compromis jusqu’aux petites heures du matin » mais que le gouvernement avait « arbitrairement fixé une limite » au nombre de personnes que les restaurants pouvaient accueillir. (L’offre de compromis rejetée par le ministre de la Santé, Yuli Edelstein, prévoyait que 30 personnes mangent à l’extérieur et qu’il n’y ait pas de repas servis à l’intérieur).
L’ascension d’une femme politique « agréable ».
Selon ses collègues, Shasha-Biton est une rebelle improbable.
Lorsqu’elle est entrée à la Knesset en 2015 en tant que nouvelle députée du parti Koulanou de Moshe Kahlon, qui se décrit lui-même comme une « droite saine », peu de gens auraient pu s’attendre à ce que cette ancienne éducatrice et mère de trois enfants se retrouve au centre d’une telle controverse.
C’est une personne « agréable », a déclaré Michael Oren, ancien député de Koulanou. Si vous l’aviez invité à citer une collègue de Koulanou « qui aurait pu réussir », a-t-il reconnu, « elle n’aurait pas été en tête de ma liste ».
Toutefois, avant même son dernier feu d’artifice, Shasha-Biton a effectivement eu un impact, bien qu’avec moins de gros titres, à la fois en tant que présidente de la commission spéciale pour les droits de l’enfant à partir de 2016 et ensuite en tant que ministre du Logement de janvier 2019 à mai 2020.
Fille d’une infirmière et d’un directeur de société de transports, Shasha-Biton est née en 1973 dans la ville de Kiryat Shmona, dans le nord du pays. À 29 ans, elle obtient un doctorat en éducation et devient ensuite chargée de cours au collège Tel-Hai et vice-présidente du collège d’éducation Ohalo à Katzrin.
Elle est entrée en politique en 2008, se présentant comme maire de sa ville natale et obtenant une place de maire adjoint en charge de la politique éducative. Cinq ans plus tard, cela l’a fait connaître auprès de Kahlon, un ancien ministre du Likud qui était en train de créer Koulanou.
Koulanou ne sera pas composé de politiciens, mais de « faiseurs », a-t-il déclaré – une référence apparente aux professionnels et technocrates israéliens ayant une grande expérience en dehors de la Knesset.
Il a salué Shasha-Biton comme un « symbole » de ce changement, promettant qu’elle travaillerait à l’amélioration des normes éducatives dans les communautés socio-économiques défavorisées.
Elle a obtenu un siège à la Knesset en tant que numéro 7 sur la liste Koulanou en 2015, et un an plus tard, elle a été nommée à la tête de la commission spéciale pour les droits de l’enfant, où elle a travaillé sur la prévention des décès de jeunes enfants en voiture et a tenu des audiences sur la façon dont les pédophiles juifs de l’étranger utilisaient Israël comme refuge pour échapper aux poursuites.
« J’ai travaillé en étroite collaboration avec elle en sa qualité de présidente de la commission », a rappelé Manny Waks, le PDG de Kol V’Oz, une organisation basée en Israël qui lutte contre les abus sexuels sur les enfants dans la communauté juive dans le monde.
« Elle était très passionnée par cette question. Elle est l’un des membres de la Knesset pour lesquels j’ai le plus grand respect. C’est une personne d’action », a-t-il déclaré au Times of Israel.
Shasha-Biton a fait partie des députés qui ont fait adopter un amendement juridique permettant aux victimes d’abus sexuels de s’exprimer et de participer à des interviews dans les médias sans l’autorisation d’un tribunal, ainsi qu’une mesure permettant aux personnes adoptées de révéler légalement qu’elles ont été adoptées.
En janvier 2019, elle a été nommée au gouvernement en tant que ministre du Logement. Le mois suivant, dans des commentaires qui semblent particulièrement poignants à l’heure actuelle, elle a déclaré qu’elle et Koulanou n’étaient « dans la poche de personne » et qu’elle se sentait « redevable envers le public uniquement ».
En tant que ministre, Shasha-Biton a participé avec enthousiasme à la décision de Netanyahu de fonder une nouvelle ville sur le plateau du Golan, nommée d’après le président américain Donald Trump.
Ce projet n’est pas seulement un « hommage à la grandeur de notre amitié », a-t-elle déclaré, mais il « conduira également au développement du plateau du Golan et renforcera notre emprise face aux tentatives iraniennes de s’implanter en Syrie ».
Elle a conservé le poste de responsable du Logement jusqu’à la formation du nouveau gouvernement il y a deux mois.
Entre-temps, Koulanou avait fusionné avec le Likud, Kahlon avait quitté la politique, et bien qu’elle ait conservé son siège à la Knesset et qu’elle ait été liée au portefeuille du ministère des Affaires sociales, elle se retrouvait en dehors du gouvernement.
Un caillou dans la chaussure de Netanyahu
Au lieu d’un poste ministériel, Shasha-Biton a été nommée à la tête de la commission sur le coronavirus de la Knesset, en remplacement du député Yesh Atid Ofer Shelah, sous lequel la commission avait publié en avril un rapport cinglant affirmant que les politiques de santé publique du gouvernement pouvaient causer des dommages économiques et sociaux « irréversibles » et, à long terme, pouvaient même entraîner des pertes de vies humaines.
Il est probable que les proches de Netanyahu, qui considéraient la commission sous le député d’opposition Shelah comme ouvertement politique par nature, pensaient qu’elle deviendrait plus docile sous Shasha-Biton.
Les choses ne se sont pas déroulées comme cela.
Elle a d’abord attiré la colère de Netanyahu lorsque son groupe a annulé l’ordre du gouvernement de fermer les piscines en plein air et les salles de gym dimanche dernier, ce qui a entraîné des menaces de la retirer de son poste.
La commission avait examiné les règlements conformément à la législation adoptée une semaine plus tôt, qui permettait aux ministres d’imposer des restrictions et de ne demander l’approbation de la Knesset que plus tard. En vertu de la loi, qui est valable jusqu’au 6 août, ces règlements entrent immédiatement en vigueur mais sont annulés si la Knesset ne les approuve pas dans les sept jours.
Parmi les détracteurs de Shasha-Biton, on trouve le chef de la coalition, Miki Zohar, qui, après l’incident de la semaine dernière, l’a accusée de populisme « irresponsable » et l’aurait avertie qu’elle était « finie au sein du parti Likud ». Elle n’aurait conservé sa position qu’après que son partenaire de coalition, Kakhol lavan, eut indiqué qu’il ne soutiendrait pas son renvoi.
Mais la responsable de la commission a affirmé qu’elle faisait « ce qui est bon pour le public, tant sur le plan de la santé que sur le plan financier ». Et, non découragée par les menaces, elle a averti samedi dans l’émission « Meet the Press », [Rencontre avec la presse] de la Douzième chaîne qu’elle ne validerait pas automatiquement les décisions du gouvernement, ce qui a poussé un haut responsable du Likud non nommé à affirmer que Netanyahu avait l’intention de la renvoyer parce qu’il était « impossible de travailler comme ça ».
Fidèle à sa parole, dimanche, sa commission a exhorté le gouvernement à reconsidérer, modifier et/ou annuler plusieurs des mesures qu’elle avait imposées aux premières heures de la matinée de vendredi. Le lundi, les ordres de fermeture des plages et des piscines le week-end ont donc été annulés. Mardi, quelques heures après la fermeture par les ministres des restaurants dans tout le pays (pour tout sauf les plats à emporter et les livraisons), sa commission a voté l’annulation de l’interdiction, maintenant les restaurants ouverts sous réserve des restrictions COVID-19 sur le nombre de couverts.
(Selon le vote de la commission, les restaurants sont autorisés à servir jusqu’à 20 personnes à l’intérieur et jusqu’à 30 à l’extérieur. La décision a rejeté un compromis proposé par le ministre de la Santé Edelstein qui aurait permis de servir jusqu’à 30 personnes à l’extérieur, mais aucune à l’intérieur).
Zohar a déclaré mardi qu’elle était « tombée dans un piège tendu par l’opposition, qui est prête à mettre en danger la santé publique afin de faire tomber le gouvernement ». Le compromis d’Edelstein était « raisonnable » et aurait permis aux restaurants de continuer à fonctionner malgré la crise sanitaire, a déclaré Zohar.
Edelstein lui-même a tourné en dérision l’accent « puéril » mis par la commission sur les données concernant les sources de contagion, affirmant que cela trahissait un manque de compréhension.
Pour sa part, Shasha-Biton a insisté sur le fait qu’elle agissait pour équilibrer les menaces pour la santé publique et celles pour la main-d’œuvre, en agissant de manière pragmatique sur la base des données concernant les sources de contagion qu’elle et sa commission recevaient du ministère de la Santé. Elle a exhorté les propriétaires de restaurants à préserver la santé et la sécurité de leurs clients.
Une défense énergique
Un porte-parole du bureau du Premier ministre a refusé de commenter cette histoire. Le porte-parole de Shasha-Biton n’a pas répondu aux demandes d’interview.
Les associés et collègues de Shasha-Biton ont vigoureusement défendu son dossier, en déclarant au Times of Israel qu’elle agissait de bonne foi pour assurer le contrôle du Parlement, même si les critiques l’ont accusée de faire de la démagogie aux dépens du public.
« Bien sûr, elle saisit l’occasion de se montrer et de se faire connaître », a déclaré l’ancienne députée Koulanou et collègue Merav Ben-Ari, « mais je la connais, et il s’agit moins d’elle que de la population. Il faut beaucoup de courage pour [s’opposer au poids d’une décision ministérielle] ; il n’est pas facile d’aller contre le gouvernement quand on en fait partie ».
Lors de leur dernière intervention, récemment, a ajouté Mme Ben-Ari, Mme Shasha-Biton n’avait pas semblé préoccupée par le contrecoup politique et semblait convaincue d’agir de manière responsable dans l’intérêt du public.
« L’un des devoirs de notre commission est de contrôler le gouvernement, et bien sûr le gouvernement n’aime pas ça, alors ils essaient d’affaiblir la commission et de changer sa dirigeante », a déclaré au Times of Israel le député Yoel Razvozov (Yesh Atid), membre de la commission et membre de l’opposition.
« Elle a fait son devoir », a-t-il dit. « Toutes les réunions et les sessions de la commission sont très détaillées et non pas populistes », a-t-il déclaré, décrivant un processus dans lequel les représentants des groupes touchés par les politiques en matière de coronavirus sont invités à s’exprimer et dans lequel les opinions divergentes font l’objet d’une audience publique.
« Je suis de l’opposition, et elle fait partie de la coalition et je lui fais confiance. Elle dirige cette commission de manière très professionnelle ».
Même certains critiques à l’intérieur de la coalition s’opposent à ce qu’elle soit démise de ses fonctions.
Moshe Abutbul (Shas), membre de la commission, a déclaré au Times of Israel que Shasha-Biton faisait « un excellent travail », ce qui semble quelque peu contradictoire : « Ce n’est pas la bonne chose à faire de la renvoyer, mais c’est aussi la mauvaise chose à faire de s’opposer aux décisions du gouvernement », a-t-il déclaré. « Je veux qu’elle reste à son poste ».
Le professeur Nadav Davidovitch, directeur de l’école de santé publique de l’université Ben Gurion du Néguev, a décrit plusieurs sessions de la commission auxquelles il a participé comme « approfondies » et axées sur une « perspective plus large – considérant les aspects sociaux, éthiques et économiques » de la crise de santé publique.
« Les discussions n’étaient pas politiques et étaient très équilibrées », a-t-il déclaré. « Je pense qu’elle a fait du bon travail. »
« Elle n’est pas du genre à faire du spectacle et n’est pas du genre Miki Zohar », a déclaré son ancien collègue de Koulanou, Michael Oren. « Elle est discrète et je vous assure qu’elle agit par conviction et non par opportunisme politique ».
Comme le député Razvozov, qui a accusé le gouvernement d’agir « comme la mafia » en cherchant à saper le contrôle parlementaire, Oren a affirmé que la controverse autour de Shasha-Biton montrait une « faille » dans la démocratie israélienne en ce sens que la Knesset « n’est pas une extension » du gouvernement.
Selon le Dr Amir Fuchs, un chercheur de l’Institut israélien de la démocratie qui a critiqué l’approche réglementaire du gouvernement face à la pandémie, les tentatives d’éviction de Shasha-Biton indiquent que le gouvernement Netanyahu voulait que la commission soit un simple tampon visant à approuver ses mesures.
Essayer de saper ou de contourner le pouvoir de contrôle de la Knesset nuit à la légitimité du gouvernement aux yeux du public, juste au moment où il en a le plus besoin, a-t-il dit. « La confiance du public dans ce genre de décisions est la chose la plus importante. Même si vous ajoutez des milliers d’inspecteurs, ce n’est pas la même chose que de persuader les gens que vous avez pris les bonnes décisions ».
Le manque de pertinence vous interpelle ?
Malgré toutes les critiques, les opposants du Likud de Shasha-Biton, dont Netanyahu ferait partie, n’ont pas encore pris de mesures pour l’évincer. Cela peut être lié à la défense de Kakhol lavan à son égard. Ou peut-être parce qu’ils parient sur une législation en suspens, actuellement examinée par la commission de la Constitution, du droit et de la justice de la Knesset, qui la mettrait sur la touche sans qu’une action directe soit nécessaire. Cette commission est dirigée par Yaakov Asher, du parti de la coalition Yahadout HaTorah.
La loi proposée accorderait au gouvernement le pouvoir de « déclarer l’état d’urgence et de fermer un large éventail de secteurs économiques et d’activités publiques » pour des périodes prolongées, la Knesset n’intervenant qu’après coup.
La commission coronavirus de la Knesset de Shasha-Biton – contrairement à la commission de l’éducation, la commission de l’économie et plusieurs autres – ne figure pas sur la liste des commissions parlementaires qui seraient habilitées à approuver ou à rejeter des mesures dans le cadre de la nouvelle législation.
L’équipe du Times of Israel a contribué à cet article.
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