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Au Moyen-Âge, les Juifs ashkénazes étaient étonnamment divers – étude

Les chercheurs, s'appuyant sur l'ADN des Juifs d'Erfurt, en Allemagne, ont découvert 2 groupes différents ; les rabbins avaient précisé que l'étude ne devait utiliser que les dents

Amanda Borschel-Dan édite la rubrique « Le Monde Juif »

Les fouilles réalisées au cimetière juif médiéval d'Erfurt. (Crédit : TLDA Ronny Krause)
Les fouilles réalisées au cimetière juif médiéval d'Erfurt. (Crédit : TLDA Ronny Krause)

Vers le 14e siècle, les femmes ashkénazes d’Erfurt, dans le centre de l’Allemagne, étaient porteuses dans leur ADN d’une mutation BRCA 1 symptomatique du cancer du sein et des ovaires. Cette mutation est malheureusement trop fréquente dans les génomes de leurs descendants modernes, ce qui n’est qu’un signe génétique parmi d’autres que peu de choses ont changé depuis plus de 700 ans.

D’après une étude saluée comme « la plus grande étude sur l’ADN juif ancien à ce jour », publiée mercredi dans la prestigieuse revue scientifique Cell, au 14e siècle, les Juifs ashkénazes avaient déjà reçu la plupart de leurs principales sources d’ascendance génétique. Si l’on compare les marqueurs d’ADN des Juifs ashkénazes modernes, le génome a subi peu de modifications au cours des siècles qui ont suivi.

Ce n’est là qu’une des constatations que permet l’analyse de l’ADN ancien extrait de dents prélevées dans un cimetière juif qui a été fouillé lors d’une opération de sauvetage menée selon les souhaits de la communauté juive locale aux côtés de conseillers rabbiniques. Les restes du squelette ont ensuite été réinhumés dans un cimetière juif du 19e siècle à Erfurt.

En 2013, des archéologues allemands ont fouillé une partie de l’ancien cimetière juif d’Erfurt avant un projet de construction municipal, mettant au jour quelque 47 tombes médiévales. C’était exactement le genre de trésor potentiel d’ADN vieux de plusieurs siècles que recherchaient les coauteurs, le professeur Shai Carmi de l’Université hébraïque et David Reich de l’Université de Harvard, qui ont commencé leur étude des restes cinq ans plus tard.

« Ce travail fournit un modèle sur la façon dont une co-analyse des données d’ADN modernes et anciennes peut faire la lumière sur le passé », a déclaré Reich dans un communiqué de presse. « Des études comme celle-ci sont très prometteuses non seulement pour comprendre l’histoire juive, mais aussi celle de toute population. »

Grâce à une analyse minutieuse de l’ADN extrait des dents de 38 individus, suivie d’une comparaison de centaines de milliers de marqueurs génétiques de lieu dans les génomes ashkénazes modernes, une équipe internationale de plus de 30 chercheurs interdisciplinaires a découvert que les Juifs d’Erfurt « étaient sensiblement plus diversifiés génétiquement que les Juifs ashkénazes modernes », selon le co-auteur Carmi.

« Un examen encore plus approfondi a révélé que la population d’Erfurt était divisée en deux groupes : l’un avec une ascendance plus européenne que les Juifs ashkénazes modernes, et l’autre avec une ascendance plus moyen-orientale », a déclaré Carmi.

Après trois années de tests et d’analyses, dont une grande partie a été réalisée dans des salles blanches technologiquement avancées de l’université de Harvard, les résultats ont également indiqué que l' »événement fondateur » ou le « goulot d’étranglement » qui est évident dans l’ADN des juifs ashkénazes modernes était antérieur à l’établissement de la communauté d’Erfurt, peut-être d’un millénaire.

Selon Carmi, certaines des maladies génétiques associées aux Juifs ashkénazes modernes, notamment les mutations BRCA 1 et la maladie de Tay Sachs, indiquent que la population initiale était extrêmement restreinte ; au fur et à mesure de sa croissance, « les variantes pathogènes portées par les fondateurs se sont répandues ».

Parmi les méthodologies utilisées pour obtenir des informations à partir des dents anciennes, les scientifiques ont envoyé 10 échantillons pour une datation au radiocarbone, qui a révélé que tous les 10 avaient vécu entre 1270 et 1400 de l’ère commune. Ils ont également vérifié les isotopes dentaires pour voir si les individus avaient grandi en buvant la même eau et ont conclu que certains étaient en fait des immigrants.

Les résultats ont été publiés dans Cell dans un article intitulé « Genome-wide data from medieval German Jews show that the Ashkenazi founder event pre-dated the 14th century ».

Une opportunité rare

L’opportunité d’étudier l’ADN d’une communauté médiévale telle qu’Erfurt était exactement ce que Carmi et son co-auteur Reich espéraient, a déclaré Carmi au Times of Israel mercredi.

Il existe une certaine documentation historique sur les schémas de migration et la persécution des populations ashkénazes médiévales. Cependant, a déclaré Carmi, « étant donné qu’aucune séquence d’ADN n’existait pour les Juifs ashkénazes historiques, nous avons cherché à générer des données d’ADN anciennes pour cette population. Notre espoir était de combler les lacunes dans notre compréhension de l’histoire ancienne des Juifs ashkénazes. »

Cette ville d’Allemagne centrale était un centre juif prospère au Moyen Âge et possède l’une des plus anciennes synagogues d’Europe encore debout. La communauté juive s’y est installée au 11e siècle. Un massacre a décimé la communauté en 1349, mais les Juifs ont vécu dans la région jusqu’à l’expulsion finale en 1454. À cette époque, un grenier à grains a été construit sur le cimetière, scellant les restes de milliers de Juifs.

Le grenier à grain construit au 15e siècle au-dessus du cimetière juif médiéval de Francfort. (Crédit : Shai Carmi/Hebrew University)

« Les Juifs, en Europe, étaient une minorité religieuse qui faisait l’objet d’une ségrégation sociale et qui subissait des persécutions périodiques », dit Reich, de Harvard, dans un communiqué de presse. « Notre travail nous donne un aperçu direct de la structure de la communauté ».

Parmi les 47 tombes qui ont été mises à jour, deux petites familles nucléaires – avec notamment des enfants inhumés aux côtés de leur père qui était apparemment mort des suites d’un coup violent au crâne. D’autres membres de la famille, plus éloignés, ont été identifiés grâce aux tests génétiques. Carmi explique qu’environ huit des 33 échantillons individuels encore viables étaient liés les uns aux autres, ce qui permet de présumer que les échantillons disponibles, trop limités, ne reflètent pas l’ensemble de la communauté des Juifs ashkénazes.

« Comme avec d’autres études ADN, nos conclusions historiques se basent sur un seul site dans le temps et dans l’espace. Ce qui implique que nos données peuvent ne pas être représentatives de la pleine diversité génétique des tous premiers Juifs ashkénazes, comme nous l’avions présumé », écrivent les auteurs de l’étude.

En même temps, l’étude indique que « les Juifs ashkénazes du Moyen-Age sont considérés non pas comme une seule communauté homogène (comme c’est devenu le cas aujourd’hui) mais comme un ‘archipel’ de communautés, affectées de manière différente par des événements fondateurs et par les mélanges avec les populations locales », est-il écrit dans un document de question-réponse préparé par Carmi.

Autre conclusion tirée, celle que les Juifs ashkénazes de la fin du Moyen-Age étaient porteurs de modèles génétiques entraînant des pathologies qui sont finalement devenues de plus en plus communes, avec le temps, chez les Juifs.

Une affaire de morale

Parce que l’exhumation d’une dépouille à des fins d’étude va à l’encontre de la pratique religieuse juive traditionnelle, il n’y a que de rares opportunités d’examiner l’ADN des communauté juives.

Le professeur-associé de la faculté de santé publique et de médecine de l’université hébraïque Shai Carmi. (Autorisation)

Carmi note que lui et ses co-auteurs n’ont pas voulu faire quoi que ce soit « de contraire à l’éthique » et qu’ils ont eu le sentiment qu’il était important et nécessaire de consulter la communauté juive locale et un rabbin avant de commencer leur travail. Les autorités rabbiniques se sont contentées de dire que les études ne devaient porter que sur les squelettes déjà trouvés et que les chercheurs ne devaient utiliser que les dents qui s’étaient arrachées pour les recherches ADN, interdisant toute intervention sur les ossements.

Carmi examine aussi l’ADN moderne pour des recherches médicales en Israël – obtenir la permission de le faire auprès de multiples commissions, avec d’importantes exigences et restrictions, fait de ces études un « cauchemar » et il ajoute que les limitations rendent les recherches « pratiquement sans utilité ».

« C’est paradoxal et peut-être même ironique que pour faire une étude sur un ADN ancien, nous nous régulions nous-mêmes. Nous n’avons pas besoin d’avoir l’autorisation d’une commission, quelle qu’elle soit. Ces gens sont d’ores et déjà morts », dit-il, ajoutant que s’il était en charge des régulations, « j’assouplirais bien plus les règles qui encadrent les études sur les vivants mais je durcirais celles autour de l’ADN ancien ».

La vieille synagogue de la communauté juive médiévale d’Erfort. C’est l’une des plus anciennes synagogues encore intactes en Europe et elle a été transformée en musée. (Crédit : Stadt Erfurt Marcel Krummrich)

La raison expliquant la nécessité potentielle d’une hypersensibilité en matière d’ADN ancien, précise-t-il, est que les résultats sont susceptibles de contredire des traditions et des perceptions communautaires de longue haleine. « Ça peut blesser les gens au niveau émotionnel. Dans ce sens, il est déterminant de consulter les communautés et de mener des études éthiques », explique-t-il.

« D’un autre côté, on peut affirmer que l’histoire de ces défunts appartient à l’Humanité toute entière et qu’aucune communauté n’est spécifiquement ‘propriétaire’ de ces dépouilles », continue-t-il, reconnaissant que le travail sur les communautés anciennes met les chercheurs aux prises avec des valeurs morales contradictoires.

« A l’avenir, ce sera intéressant de voir quelle sera l’opinion des rabbins et des experts », s’exclame Carmi. « Peut-être cette étude entraînera-t-elle plus d’ouverture. Peut-être y aura-t-il un retour de bâton et qu’on nous dira que nous n’aurions pas dû faire ce que nous avons fait ».

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