Au pèlerinage du mont Meron, la joie et le chagrin se mélangent
Lors du nouvel événement annuel Lag BaOmer, les fidèles pleurent les 45 victimes du drame de 2021, tout en s'irritant des réglementations destinées à éviter un autre désastre
Le tombeau de Rabbi Shimon Bar Yochaï, situé au sommet d’une colline, était déjà dans le champ de vision de Yitzhak Kazin lorsque deux agents de police l’ont empêché de traverser pour se rendre au sanctuaire en passant par un poste de contrôle improvisé.
Irrité, Kazin, un éboueur haredi de 37 ans originaire de Bnei Brak, leur a montré qu’il portait le bracelet orange nécessaire pour être admis au cœur du pèlerinage annuel de la fête juive de Lag BaOmer vers la dernière demeure du sage du IIe siècle, sur le mont Meron.
Le bracelet et l’application stricte des mesures de contrôle des foules qu’il facilite ont été des précautions mises en œuvre cette année pour la première fois autour du lieu de sépulture dans le nord d’Israël où 45 personnes ont trouvé la mort dans une bousculade au cours du pèlerinage de 2021. La tragédie du mont Meron, causée par la surpopulation, a été la pire catastrophe civile de l’histoire d’Israël.
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Plus qu’un simple problème technique de gestion des foules, les mesures de sécurité prises autour de Meron constituent un point de friction entre les Juifs haredim, qui vivent, pour certains, dans des communautés insulaires dirigées par des rabbins, et les mécanismes d’application et de réglementation de l’État d’Israël, plus laïc. Les actions, les politiques et les principes de l’État se heurtent souvent à ceux du monde ultra-orthodoxe.
« Ils ne veulent pas que nous venions ici, c’est aussi simple que ça », a déclaré Kazin après avoir pénétré sur le site. « Alors ils nous divisent, envoient certains d’entre nous ici et d’autres là-bas. Parce que pour eux, nous ne sommes rien d’autre qu’une nuisance », a-t-il déclaré à propos des autorités.
« Ils veulent que je descende. Je ne suis pas venu de Bnei Brak pour être sur une colline. Je suis venu pour être près de Rabbi Shimon Bar Yochaï », a déclaré Kazin.
Suite à la catastrophe de 2021, plusieurs ministères et services gouvernementaux ont revu la façon dont le pèlerinage est géré. Les rabbins ont maintenu l’événement de 2022 à une échelle réduite, tout en préparant des adaptations qui permettraient la reprise d’événements de masse.
Environ 200 000 Juifs haredim étaient attendus au pèlerinage de cette année à Meron, lundi soir.
En prévision de cette affluence, les autorités ont renforcé le déploiement de policiers – ils étaient 8 000 lundi sur le principal site de pèlerinage de Meron – et de professionnels des secours. Des milliers de coordonnateurs issus du public haredi ont été recrutés pour minimiser les frictions et rationaliser les interactions avec les pèlerins, dont certains parlent mieux le yiddish que l’hébreu.
Un autre changement a été l’introduction d’une application plus stricte des capacités de sécurité sur le site des tombes, qui est situé au sommet d’une pente raide avec une surface limitée et des complications topographiques, et l’encouragement des non-admis à célébrer à la place dans une zone ouverte plus loin en bas.
Certains pèlerins, comme Moshe Levy de Shiloh, près de Jérusalem, ont accepté la nouvelle réalité.
Il s’est rendu sur la tombe des heures avant l’événement principal, allumant un feu comme c’est la coutume à Lag BaOmer, afin d’éviter la ruée du soir et de contribuer à réduire le nombre de personnes présentes.
« Je n’ai pas besoin de ces bousculades. La magie opère sur la tombe et cela me suffit », a déclaré Levy au Times of Israel.
Mais d’autres ont contourné les nouvelles dispositions.
« Il m’a fait entrer », a déclaré Asher Levy, qui n’a aucun lien de parenté avec Moshe, en montrant le ciel lorsqu’on lui a demandé comment il avait pu pénétrer dans l’enceinte de la tombe sans bracelet. Pressé d’en savoir plus, il a répondu : « Oh, je viens de descendre de la montagne depuis un moshav ».
D’autres, comme Kazin, se sont pliés aux exigences des autorités, mais en protestant. Il a « tiré quelques ficelles » à Bnei Brak pour obtenir un bracelet orange, a déclaré Kazin avec une certaine fierté.
« Mais comment se fait-il que j’aie besoin d’un bracelet orange ? Cet endroit est comme chez moi. Et voilà qu’un policier vient ici et me dit : ‘Va ici, va là-bas !’. C’est parce que nous sommes des haredim que les autorités pensent qu’elles peuvent nous marcher dessus », a déclaré Kazin.
Il s’est également plaint des actions de « certains rabbins et de personnes influentes dans nos cercles, qui aident les serpents à nous contrôler ». Lorsqu’on lui a demandé qui il entendait par « serpents », il s’est contenté de répondre : « Je ne veux offenser personne. Nous sommes tous Juifs ». Visiblement bouleversé, il a ajouté : « C’est une question de contrôle. Comme ils l’ont fait quand ils nous ont fait porter des masques ».
Lors du COVID-19, de nombreux ultra-orthodoxes ont ignoré les règles d’urgence basées sur les politiques des autorités sanitaires qui imposaient le port de masques en public, ce qui a suscité l’indignation de nombreux laïcs qui ont accusé la communauté haredi d’avoir contribué à la propagation de la pandémie.
Reflétant les profondes divisions autour du pragmatisme et du fatalisme, les crises sanitaires et sécuritaires ont ouvert la voie à un affrontement idéologique sur les politiques de droite du gouvernement du Premier ministre Benjamin Netanyahu, qui dépend de la coopération des deux partis haredim du pays.
D’autres pèlerins, qui n’ont pas pu pénétrer dans l’enceinte de la tombe, ont réagi violemment au dispositif de sécurité, lançant des objets sur la police, selon Haaretz. À un point de contrôle, des jeunes hommes ont poussé les policiers, selon des informations diffusées sur les réseaux sociaux.
L’un des fidèles aurait mordu Israel Diskind, dont le frère, Simcha Bunim, 23 ans, est mort dans la catastrophe de 2021. Diskind, porte-parole du ministre du Patrimoine Amichaï Eliyahu, aurait été soupçonné par certains radicaux d’être un agent de police infiltré. Les radicaux ont affronté Diskind, ce qui a donné lieu à une altercation. La police a arrêté l’homme qui l’aurait mordu, mais l’a relâché pour éviter d’autres affrontements, a rapporté la chaîne publique israélienne Kan.
Certains journalistes ont été insultés et des caméras de police ont été vandalisées. La police a déclaré qu’elle pensait que certains sites de Meron dépassaient leur capacité de sécurité.
Malgré ces problèmes, « de manière générale, l’événement s’est déroulé pacifiquement jusqu’à présent », a déclaré Dov Maisel, chef adjoint des opérations de United Hatzalah, un groupe de secours et de première intervention haredi qui est accrédité, avec le service de secours du Magen David Adom, lors de l’événement en tant que responsable des questions médicales.
Maisel a expliqué que United Hatzalah s’efforce d’encourager les gens à ne pas rester sur place et à partir au bout d’une demi-heure pour laisser la place à d’autres.
Tout comme les attitudes à l’égard des mesures de sécurité qui l’entourent, la fête elle-même reflète également la réalité divisée que les haredim et les laïcs vivent parfois en Israël.
Pour de nombreux Israéliens laïcs et nationalistes-religieux, Lag BaOmer est une fête mineure appréciée principalement par les enfants, qui font des feux de joie la veille, bien que cette coutume soit elle aussi en déclin, les autorités la réprimant de plus en plus pour des raisons de sécurité et de protection de l’environnement.
Mais pour les haredim, il s’agit d’une date importante que le Talmud associe à une épidémie qui a tué des milliers d’étudiants de Rabbi Akiva, l’une des plus grandes figures rabbiniques de l’Antiquité, dont la légende veut qu’il ait été mis à mort par les Romains pour avoir défié leurs restrictions en matière d’enseignement de la Torah. Selon la tradition juive, l’épidémie a cessé le jour de Lag BaOmer, ce qui fait de cette date un moment de célébration.
Lag BaOmer est également considéré comme la date de la mort de Rabbi Shimon Bar Yochaï, un éminent disciple de Rabbi Akiva et une figure majeure de la mystique juive, ou Kabbale, dont la tombe sur le mont Meron est le lieu de festivités tout au long de l’année. La tombe de Rabbi Shimon Bar Yochaï est devenue un lieu de célébration parce que la tradition veut qu’il ait demandé à ses disciples de se réjouir au lieu de se lamenter lorsqu’ils commémoreraient sa mort.
Célébrer Lag BaOmer, c’est « remplir les fontaines de l’âme », a déclaré Moshe Levy, le pèlerin de Shiloh.
Lors de la cérémonie principale, près de la tombe, 4 000 hommes se sont rassemblés lundi soir autour d’un grand cylindre métallique rempli de bois et de textiles imbibés d’huile, où le feu de cérémonie devait être allumé. L’excitation était palpable lorsqu’un hazan – chantre – a récité Minha, la prière de l’après-midi. La prière a été suivie par un chœur qui a chanté des psaumes, leurs voix de ténor résonnant dans l’air frais de la montagne tandis que leurs auditeurs se balançaient avec délice.
Un hazan a ensuite cité les noms des 45 victimes de la tragédie de 2021, tandis que la foule écoutait respectueusement. Nachum Dov Brayer, qui dirige la dynastie hassidique Boyan, a allumé 45 bougies à la mémoire des victimes et le hazan a ensuite récité la prière de deuil, le Kaddish.
Après quelques prières supplémentaires, le feu a été allumé et la zone des hommes, qui jouxtait une section bondée de femmes, s’est mise à danser au son d’un orchestre et d’une chorale, y compris des danses en rangs et des sauts synchronisés caractéristiques des haredim.
Kazin s’est dit profondément ému par ce geste envers les victimes.
Mais il a contesté le fait que les dispositions qui l’ont irrité étaient des tentatives efficaces pour empêcher que cela ne se reproduise.
« Nous voulons que la police nous aide. Pas qu’elle nous opprime. C’est possible », a déclaré Kazin. « Mais pour nous guider, il faut nous connaître. Et la police ne nous connaît pas. »
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