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Analyse

GB: pourquoi les Juifs sont-ils surreprésentés dans les décès liés au Covid-19 ?

Les responsables locaux tentent de déterminer les facteurs - âge, mode de vie, habitudes communautaires - pour comprendre pourquoi les Juifs semblent particulièrement vulnérables

Un patient est sorti d'une ambulance à son arrivée au  St Thomas' Hospital, l'un des hôpitaux dans la ligne de front de la bataille contre le coronavirus à Londres, le 31 mars 2020 (Crédit : AP Photo/Kirsty Wigglesworth)
Un patient est sorti d'une ambulance à son arrivée au St Thomas' Hospital, l'un des hôpitaux dans la ligne de front de la bataille contre le coronavirus à Londres, le 31 mars 2020 (Crédit : AP Photo/Kirsty Wigglesworth)

JTA — Le Royaume-Uni compte environ 250 000 Juifs. Ils ne représentent que 0,3 % de la population du pays.

Mais le coronavirus a tué 44 Juifs jusqu’à présent – ils forment donc environ 2,5 % des victimes du Covid-19.

Ce qui signifie par ailleurs que les Juifs britanniques sont surreprésentés, avec un facteur de huit, dans le bilan des victimes mortelles de la maladie.

Ces statistiques sont compilées, diffusées et réactualisées périodiquement par le Board of Deputies des Juifs britanniques, une organisation-cadre chargée de représenter la communauté. Ces statistiques sont uniques parce qu’elles sont la première tentative centralisée dans le monde de mesurer le taux de décès des suites du Covid-19 au sein de la communauté juive, en le comparant au total national.

Et ces chiffres soulèvent des inquiétudes – celles que les Juifs britanniques soient particulièrement vulnérables face au virus. Ils donnent également lieu à de multiples hypothèses visant à expliquer ce fait même si aucune pour le moment ne semble concluante.

Voici des théories et les raisons pour lesquelles celles-ci sont difficiles à prouver à ce moment de la pandémie.

C’est trop tôt

Tandis que les Juifs paraissent surreprésentés dans ce bilan national macabre, « le nombre de morts, au sein de la communauté juive, qui a été rapporté jusqu’à présent est statistiquement très faible – trop faible pour qu’il soit possible d’en tirer des conclusions fermes », écrit Jonathan Boyd, directeur exécutif de l’Institut de recherche politique juive (JPR), un groupe qui s’intéresse à la démographie des communautés juives européennes, dans un article d’opinion parue lundi dans le Jewish Chronicle.

La présidente du Board of Deputies, Marie van der Zyl, a évoqué auprès de la JTA le contrôle des victimes juives du coronavirus par son organisation.

« Tandis que les chiffres sont inquiétants, l’échantillon actuel est bien trop peu important pour établir des écarts, et il nous est impossible de les utiliser pour en tirer des conclusions définitives », a-t-elle ajouté.

Mais Jonathan Boyd écrit également qu’il ne serait « pas surpris de voir le décompte parmi les Juifs augmenter ». Vous en saurez plus à ce sujet en lisant ce qui suit.

Les orthodoxes haredim

Les informations portant sur l’incapacité à mettre en œuvre les protocoles de distanciation sociale dans certaines synagogues et institutions orthodoxes haredim ont fait naître l’inquiétude concernant une éventuelle propagation du virus dans ce courant religieux spécifique.

« Les gens touchent les mêmes surfaces, les mêmes siddurim (ou livres de prière) », a commenté un professionnel de santé dans les colonnes du Jewish Chronicle , la semaine dernière, en parlant du quartier de Stamford Hill, à forte population haredi.

« Je pense que la communauté est vulnérable au virus parce qu’elle est très resserrée », a-t-il ajouté.

De plus, 20 médecins juifs britanniques – aucun n’est haredi – ont également pointé du doigt la communauté dans un pamphlet qui a circulé à Stamford Hill, il y a environ deux semaines, recommandant vivement le respect des directives de distanciation sociale.

« Vous êtes pleinement responsables des morts qui surviennent en résultat de votre ignorance des conseils donnés », ont-ils ainsi écrit.

Des étudiants de yeshiva marchant dans la rue dans la région de Stamford Hill à Londres, le 17 janvier 2015. (Rob Stothard / Getty Images via JTA)

Leurs inquiétudes ont fait écho à des avertissements similaires dans d’autres régions comptant des minorités haredim importantes, notamment en Israël, aux États-Unis et en Belgique.

Mais Herschel Gluck, rabbin haredi et chef du service juif de sécurité Shomrim à Londres, affirme que « les faits ne viennent pas soutenir cette hypothèse ».

La maladie a été fatale pour plusieurs juifs haredim, dont Zeev Willy Stern et Uri Ashkenazi. Mais il y a eu, parmi les autres victimes, quatre membres de la communauté espagnole et portugaise moderne orthodoxe et deux victimes issues du mouvement réformé, notamment un rabbin.

Le rabbin Alexander Goldberg, aumônier juif à l’université de Surrey, à proximité de Londres, partage le même point de vue que Herschel Gluck et il n’est pas haredi.

Alexander Goldberg pense avoir contracté le virus et guéri spontanément, même si les autorités médicales n’ont pas voulu le tester lorsqu’il présentait des symptômes.

« Dans la communauté juive, cette maladie ne semble pas se limiter à la population haredi. Toutes sortes de Juifs semblent être touchés », explique l’aumônier.

Le facteur de mobilité

Pour cet ancien directeur des problèmes communautaires au sein du Board of Deputies, « la seule chose que les Juifs ayant attrapé le coronavirus ont réellement en commun, c’est leur appartenance à un groupe au niveau élevé de mobilité ».

Les familles haredim du Royaume-Uni se rendent fréquemment en Israël, en Belgique, à New York et ailleurs, comme le font les hommes d’affaires de la communauté, indépendamment du courant auquel ils appartiennent.

Jonathan Boyd considère lui aussi que cette mobilité pourrait avoir un rôle. Chez les Juifs de toute dénomination, « un grand nombre travaillent au centre-ville, ils prennent le métro quotidiennement, beaucoup parmi eux sont au centre de l’action », écrit-il.

« Collectivement, nous sommes plus riches et mieux éduqués que la moyenne ce qui signifie que nous sommes aussi plus susceptibles de voyager à l’étranger – ce qui peut être une raison expliquant pourquoi nous pouvons avoir eu plus que d’autres l’occasion de contracter l’infection de manière précoce », explique-t-il.

Mais Herschel Gluck émet des doutes.

« Il y a de nombreux passagers dans le métro, les wagons sont bondés », dit-il en évoquant les lignes de métro et de chemin de fer du Royaume-Uni, qui ont fonctionné jusqu’au 25 mars, lorsque le pays a décidé d’opter pour un confinement national (plus d’une semaine après que la même mesure a été prise en France).

Une ligne de métro presque déserte pendant le confinement dû à la propagation du coronavirus à Londres, le 31 mars 2020 (Crédit : AP Photo/Alberto Pezzali)

Londres accueille un certain nombre de groupes d’immigrés et notamment plus de 800 000 Polonais et 600 000 Italiens, qui retournent fréquemment dans leurs pays d’origine en empruntant des vols de compagnies à bas prix.

« Cela ne soutient pas l’idée que les Juifs soient davantage exposés à la maladie à cause des voyages », dit Herschel Gluck.

L’âge et la vie dans la ville

Les Juifs sont plus âgés que la population générale et principalement concentrés à Londres – la ville qui a connu le plus grand nombre de cas de Covid-19 par rapport à toutes les régions du Royaume-Uni et qui serait en avance de plusieurs semaines par rapport au reste du pays concernant l’épidémie.

« Un effet Londres peut partiellement expliquer un décompte plus élevé », note Jonathan Boyd, se référant au fait que 60 % des Juifs britanniques vivent dans la capitale et ses alentours.

« La ville est l’endroit idéal pour la propagation d’un virus, et comme New York aux États-Unis, elle est à l’avant-garde de l’épidémie dans le pays », ajoute-t-il.

Les Juifs britanniques, ajoute-t-il, sont âgés – « 21 % ont 65 ans et plus contre 16,4 % dans l’ensemble de la population, et dans la mesure où le virus est plus virulent chez les seniors que chez les jeunes, les Juifs peuvent s’en trouver affectés de manière disproportionnée ».

Mais, continue-t-il, les Juifs sont également en meilleure santé que la moyenne – 5 % sont en mauvaise ou très mauvaise santé contre une moyenne nationale de 5,6 %.

Cela peut paraître outrageusement pointilleux mais « ce n’est pas une différence qui ne signifie rien, particulièrement si on garde à l’esprit notre profil d’âge », écrit Jonathan Boyd.

« Cet avantage est dû à des facteurs culturels et à notre statut socio-économique qui nous ont tous deux protégés contre la mauvaise santé », continue-t-il.

Pourim et la vie communautaire

Jonathan Boyd et plusieurs autres commentateurs ont noté la proximité entre la fête de Pourim, qui est tombée cette année le 9 mars, et l’éruption de l’épidémie de coronavirus en Europe.

A la synagogue St. John’s Wood de Londres qui, avec ses 1 300 sièges, est l’un des plus grands lieux de culte juifs de la ville, un rabbin a contracté le virus peu de temps après son retour d’une célébration de Pourim au Maroc. Il a passé de nombreuses heures à échanger avec des dizaines de fidèles avant de développer des symptômes et de se placer en quarantaine.

Des jeunes filles ultra-orthodoxes portent des masques faciaux pendant la fête juive de Pourim à Bnei Brak, en Israël, le 10 mars 2020 (Crédit : AP Photo/Oded Balilty)

Des fêtes comme Pourim « rassemblent plus de personnes que d’habitude », ce qui a pu aider le virus à se répandre, estime Jonathan Boyd.

Plus largement, il peut y avoir « quelque chose dans la manière dont les Juifs organisent leur vie qui peut, par inadvertance, amener le virus à se propager parmi nous », ajoute-t-il. Un quart des adultes juifs se rendent à la synagogue au cours de la majorité des semaines de l’année, tandis que la proportion équivalente de chrétiens britanniques allant à l’église est de 10 % environ, remarque le directeur exécutif de l’Institut de recherche politique juive.

« Ce sont des environnements parfaits pour qu’un virus se propage », écrit-il. « Et ainsi, c’est chaque interaction sociale physique – ce qui est typiquement le ciment essentiel, même obligatoire, qui sous-tend la vie juive – qui devient dorénavant une menace mortelle ».

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