Israël fête ses 75 ans, Daniel Gordis s’interroge : Est-ce une success story ?
Dans un nouveau livre intitulé "Impossible Takes Longer", l’auteur explore les paramètres selon lesquels l'État juif devrait être jugé, ses échecs et ses réussites
Le dernier livre de Daniel Gordis commence par une question : « Israël est-il une réussite ? »
La question semble quelque peu prémonitoire, puisqu’elle a été écrite quelques mois avant les bouleversements et les divisions qui ont frappé l’État juif ces derniers mois, au cours d’une crise qui semble parfois ébranler les fondations sur lesquelles il a été construit.
Mais alors que le livre Impossible Takes Longer : 75 Years After Its Creation, Has Israel Fulfilled Its Founders’ Dreams ? (« L’impossible prend plus de temps : 75 ans après sa création, Israël a-t-il réalisé les rêves de ses fondateurs ? ») est sorti en avril, l’écrivain pluridisciplinaire, le penseur et l’éducateur se sent optimiste quant à l’avenir d’Israël en tant qu’État juif et démocratique.
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« Je pense que quelque chose de très puissant dans le pathos sioniste du pays a été libéré. Nous avons vu des milliers de personnes dans les rues se soucier de ce pays », a déclaré Gordis lors d’une récente interview avec le Times of Israel à Jérusalem. Notre entretien a eu lieu quelques jours après que le Premier ministre Benjamin Netanyahu a suspendu le processus législatif visant à remanier en profondeur le système judiciaire.
Dans Impossible Takes Longer, Gordis tente de répondre à sa question initiale sur le succès d’Israël tout en définissant les paramètres permettant de juger les accomplissements et les réalisations de l’État juif, 75 ans après sa création.
S’appuyant sur la Déclaration d’Indépendance et les intentions des fondateurs de l’État, Gordis cherche à déterminer où le pays se situe par rapport aux objectifs qu’il s’était fixé à l’origine. Sur bon nombre de ces critères, il qualifie l’État de triomphe absolu.
« Ce que j’essayais de faire, c’était de susciter des discussions sur Israël à l’occasion de son 75e anniversaire », a expliqué Gordis. « L’objectif était de dire que l’État d’Israël avait pour but de créer un nouveau Juif. Il s’agissait de réimaginer ce que cela signifiait d’être juif, de réimaginer un Juif qui ne soit pas faible, nerveux et errant, qui ne soit jamais chez lui et qui n’ait pas sa propre langue ».
Et 75 ans plus tard, dit-il, « nous avons si incroyablement réussi à relever ces défis qu’il est très difficile pour beaucoup d’entre nous – en particulier les plus jeunes – de se souvenir de ce que nous essayions de changer. Parce que le succès a été si écrasant ».
Si Gordis chante haut et fort les louanges d’Israël, il n’hésite pas non plus à le critiquer. Il qualifie le massacre de Sabra et Shatila « d’effroyable échec moral », déplore que « la corruption en Israël ait atteint des proportions stupéfiantes » et affirme que l’État juif a « gravement trébuché » dans son traitement des olim éthiopiens et qu’il a non seulement « échoué » mais aussi « failli » dans sa gestion des migrants africains. En outre, le Grand-Rabbinat, écrit-il, est « anti-intellectuel… vétuste, misogyne, corrompu… et souvent moralement vil ».
Mais son plus grand défaut, écrit-il, est celui qui domine toutes les conversations et les gros titres sur l’État juif.
« La plus grande déception des soixante-quinze premières années d’Israël est le fait que le conflit perdure », a écrit Gordis. « Les différentes guerres d’Israël et son conflit permanent avec les Palestiniens ont entraîné des coûts horribles pour les deux parties. Le fait qu’Israël contrôle la vie d’un autre peuple est un marasme moral qui a sans aucun doute insensibilisé certaines parties de la société israélienne. Mener cette guerre, même s’il s’agit d’une guerre de bas niveau, conduit invariablement à des erreurs et parfois à de terribles méfaits. »
Au cours de notre entretien, Gordis a expliqué qu’il s’est efforcé de trouver un équilibre entre l’éloge d’Israël pour ses victoires et la critique de l’État pour ses échecs.
« J’ai essayé d’être le plus équilibré possible. Je ne voulais pas que ce soit une attaque en règle contre Israël – parce que tout d’abord, je n’y crois pas, et ensuite, ce n’est pas le genre de livre que les gens qui achètent des livres sur Israël veulent lire », a-t-il expliqué. « Mais je ne voulais pas non plus en faire l’un de ces ‘whitewash’ [qui tend à dissimuler la vérité], parce que ce n’est pas non plus ce en quoi je crois, et que personne de sérieux n’aurait été intéressé par un tel livre. »
Et pourtant – attention spoilers – sans surprise pour toute personne qui lirait Impossible Takes Longer, Gordis conclut son évaluation en déclarant que l’État d’Israël « a accompli bien plus que ce que quiconque aurait pu oser espérer en 1948 ».
L’auteur admet que son livre n’a pas été conçu comme un « casse-tête », mais plutôt comme un effort pour repenser et recadrer la conversation sur les réalisations d’Israël. Il espère que les lecteurs ressortiront avec « une nouvelle façon de penser sur la question de savoir si Israël est, ou non, une réussite ».
Gordis affirme également que la base fondamentale d’Israël en tant que démocratie est mal comprise par une grande partie du monde, et même par de nombreux Israéliens.
« Israël n’a jamais été destiné à être une démocratie libérale. Israël a toujours été quelque chose de différent, communément appelé une ‘démocratie ethnique' », a-t-il écrit. « L’État ne peut pas être facilement comparé à de nombreuses autres démocraties occidentales car il a été fondamentalement créé pour offrir à sa population majoritaire ‘une sorte de statut culturel, politique et, parfois, juridique privilégié’, tout en garantissant l’égalité des droits civils et politiques à tous. »
Bien que l’ouvrage ait été écrit bien avant que des centaines de milliers d’Israéliens ne descendent dans les rues pour réclamer avec véhémence le maintien de contre-pouvoirs au sein de l’État, Gordis avait affirmé que la démocratie israélienne devait être protégée par « la vigilance ».
« En matière de démocratie, il n’y a donc pas de place pour la complaisance israélienne », a-t-il écrit. « Le défi auquel sont confrontés les Israéliens est de s’assurer que non seulement Israël ne glisse pas vers l’autocratie, mais qu’il progresse régulièrement pour rendre sa démocratie, déjà formidable, encore plus solide. »
Pour aller de l’avant, il faut aussi comprendre ce qui s’est passé dans le passé. En fin de compte, écrit-il, « l’État d’Israël ne peut être considéré comme un succès permanent que si lui et son peuple continuent à être honnêtes sur ce qu’ils ont été, ce qu’ils sont, les terribles décisions qu’ils ont parfois prises, et ce qu’eux et leur pays doivent encore devenir ».
Gordis ne soutient pas la législation sur la réforme du système judiciaire. Mais même si son avenir est incertain, il maintient que la proclamation d’Israël comme un récit de victoire et de triomphe tient la route – quoi qu’il arrive.
« Je pense que la thèse fondamentale du livre n’est pas affectée par tout cela, parce que je pense que le livre suggère que pour évaluer si Israël est une réussite ou non, il faut se demander pourquoi Israël a été créé et quel est son objectif », a-t-il dit. « Cela est vrai, que l’on ait un gouvernement que l’on aime ou que l’on déteste, un gouvernement qui agit avec maturité ou un gouvernement qui agit de manière insensée. »
De même, la désobéissance civile et la pression publique croissante qui se sont accumulées pour finalement conduire Netanyahu à suspendre le processus législatif de la réforme afin de permettre des négociations doivent être considérées comme leur propre succès, selon Gordis.
« Nous avons beaucoup de travail à faire, nous ne pouvons donc pas nous reposer sur nos lauriers, mais nous pouvons prendre une semaine ou deux et être vraiment fiers de ce que nous avons accompli », a-t-il déclaré. « Puis, nous passerons à autre chose. »
Alors qu’Israël célébrera son 75e anniversaire à la fin du mois, Gordis estime que les événements qui se sont déroulés jusqu’à présent en 2023 donneront encore plus de sens à cette célébration.
« Je pense que nous allons vivre un Yom HaAtsmaout [Jour de l’Indépendance] très, très intense », a-t-il dit. « Je pense que passer son 75e anniversaire en étant pleinement conscient de l’importance de la vigilance permanente qu’il faut déployer pour assurer la pérennité de l’organisation et du fait que ce n’est pas quelque chose que nous tenons pour acquis, est un énorme privilège. »
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