La Cour tente de désamorcer une crise à l’audience de Ronen Bar, tout en respectant la loi
La session houleuse sur le limogeage du chef du Shin Bet reflète la fracture nationale sur la façon dont le pays devrait être dirigé, amplifiée par le pogrom du 7 octobre

Les scènes troublantes survenues mardi à la Haute Cour de justice, où une foule en colère a scandé « déshonneur » à l’encontre des juges, ont, à bien des égards, semblé incarner l’apogée – ou peut-être le point le plus bas – des profondes divisions qui déchirent Israël depuis deux ans sur la manière dont le pays doit être gouverné.
Le litige juridique autour de la décision prise par le gouvernement de limoger le chef du Shin Bet, Ronen Bar, est au cœur de l’affrontement politique et idéologique qui couvait depuis des années, et qui a éclaté lorsque le gouvernement, au tout début de son mandat, a lancé une offensive contre le pouvoir judiciaire et contre l’establishment juridique.
Le fait que la Cour examine des recours contre la volonté du gouvernement de révoquer un haut responsable de la sécurité met en lumière les profondes fractures nationales, exacerbées par la tentative de remaniement judiciaire, des divisions que le traumatisme du pogrom du 7 octobre 2023 et la guerre qui s’en est suivie n’ont fait qu’aggraver.
Toute la rancœur suscitée par la réforme a rejailli dans la salle d’audience. Si l’indignation des manifestants a immédiatement visé les manquements reprochés à Bar dans la période précédant le 7 octobre, elle a été alimentée par un malaise bien plus large.
En limogeant Bar, le Premier ministre Benjamin Netanyahu et son gouvernement ont engagé ce que la procureure générale, Gali Baharav-Miara, ainsi que les requérants, ont perçu comme étant une procédure précipitée, entachée d’irrégularités juridiques, à forte connotation politique, et violant les principes de l’État de droit.
L’enquête menée par Bar sur le scandale du Qatargate, sa déclaration publique en faveur de la création d’une commission d’enquête d’État sur l’attaque du 7 octobre, ainsi que — comme on l’a appris par la suite — la demande présumée de Netanyahu de convaincre le tribunal chargé de son procès pour corruption de reporter sa comparution : autant d’éléments qui, selon les requérants, ont conduit le Premier ministre à le limoger.

Mais pour le gouvernement et ses partisans, cette intervention du pouvoir judiciaire a été perçue comme la dernière tentative de la part de l’establishment juridique de placer des contraintes au gouvernement de droite, d’entraver la volonté populaire et de priver les dirigeants élus de leur capacité à gouverner – notamment à nommer et à révoquer des hauts fonctionnaires à leur discrétion.
Pourtant, en examinant les prises de position des trois juges ayant présidé l’audience de mardi ainsi que celle de la procureure générale avant le limogeage de Bar, la réalité semble plus nuancée.
L’accent mis sur les vices de procédure
Les juges se sont largement concentrés sur les irrégularités procédurales entourant le licenciement de Bar. Ils ont notamment souligné que le gouvernement ne s’était pas concerté avec la procureure générale sur les motifs de sa révocation, qu’il ne les avait pas explicitement communiqués à Bar au moment de sa convocation à une audience, l’empêchant ainsi de se défendre, et qu’il n’avait pas tenu compte des instructions de la procureure l’invitant à consulter une commission consultative déterminante avant toute prise de décision.
Il est important de noter que la procureure générale n’a jamais dit au gouvernement qu’il ne pouvait pas licencier Bar ; elle a simplement indiqué les étapes à suivre pour que la procédure respecte le droit et les règles de l’administration.
C’est également cette approche qu’ont semblé adopter les trois juges de la Haute Cour.
Le président de la Cour suprême, Isaac Amit, et la juge Daphne Barak-Erez, tous deux considérés comme des magistrats libéraux, ont multiplié les critiques au cours des débats, mettant en cause la légitimité de la procédure ayant mené au limogeage de Bar.

Les requérants ont, quant à eux, insisté sur deux points principaux : d’une part, Bar n’a jamais été informé des raisons précises de son licenciement ; d’autre part, aucune consultation n’a été menée avec le comité consultatif, contrairement à ce qu’exige une résolution du cabinet datant de 2016.
Même le nouveau vice-président de la Cour, Noam Sohlberg, figure éminente du courant conservateur, a semblé partager cette préoccupation. Il a déclaré explicitement que ce qui l’inquiétait, c’était le processus adopté pour cette démarche – et non l’autorité du gouvernement à révoquer le chef du Shin Bet.
Malgré les accusations récurrentes de la droite qui affirme que la Cour serait trop interventionniste et qu’elle empiéterait sur les prérogatives de l’exécutif, les juges ont manifesté mardi leur volonté de ne pas trancher sur le fond d’un débat éminemment politique.
Appelée à se prononcer, la Cour invalidera probablement le limogeage de Bar
Malgré son scepticisme à l’égard de la position du gouvernement, Sohlberg a été le premier à suggérer un compromis, en proposant que le gouvernement et la procureure générale renvoient la question à la commission consultative.
La décision officielle rendue par la Cour mardi soir s’est limitée à inviter les deux parties à trouver elles-mêmes une solution au différend autour du licenciement de Bar, au lieu de contraindre l prestigieux tribunal à trancher définitivement.
En réalité, les juges ont cherché à éviter d’avoir à statuer sur les requêtes, conscients que toute décision formelle les obligerait probablement à déclarer la révocation illégale, tant les vices de procédure accumulés par le gouvernement sont nombreux et manifestes.

C’est cet affrontement et la crise constitutionnelle qu’il pourrait déclencher — comme l’a laissé entendre le ministre de la Justice Yariv Levin — que la Cour semble chercher à désamorcer.
La solution proposée par Sohlberg est révélatrice, en cela qu’elle implique que le renvoi de l’affaire devant la commission consultative permettrait au gouvernement de se conformer aux recommandations initiales de la procureure générale, qu’il avait jusqu’ici tenté de contourner, précipitant ainsi l’impasse actuelle. Ce retour dans le cadre légal offrirait une voie pour corriger les graves irrégularités ayant entaché la procédure de révocation.
Le secrétaire du cabinet, Yossi Fuchs, présent à l’audience, a semblé ouvert à cette voie, ou du moins à une forme de compromis entre les parties. Cette attitude a encouragé les juges à formuler officiellement leur proposition de règlement négocié.
Si le gouvernement parvenait à exposer de manière convaincante, devant la commission consultative, les raisons ayant conduit à la perte de confiance envers Ronen Bar, en les fondant notamment sur les défaillances du Shin Bet face à l’assaut du 7 octobre, la commission pourrait alors valider la décision de mettre fin à son mandat, dans le respect du cadre légal.
Le gouvernement y trouverait son compte, la Cour éviterait une confrontation directe, et la procureure générale verrait ses exigences procédurales respectées. Les seuls à en sortir frustrés seraient les requérants, dont les recours perdraient toute portée.
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