La mémoire d’un massacre nazi convoquée par Macron face au succès de l’extrême droite
Le rendez-vous mémoriel à Oradour-sur-Glane ce lundi a pris des accents nouveaux, au lendemain d'une victoire retentissante du Rassemblement national en France
Quatre-vingts ans après, la commémoration du massacre nazi dans le village français d’Oradour-sur-Glane a pris une coloration très politique et actuelle lundi, au lendemain de la déroute électorale du camp d’Emmanuel Macron face à l’extrême droite et de la dissolution de l’Assemblée.
Seules six personnes échappèrent à l’une des pires tueries de civils par des nazis en Europe occidentale. 643 personnes périrent le 10 juin 1944 : environ 200 hommes abattus à la mitrailleuse par les Waffen SS, puis quelque 450 femmes et enfants dans l’église, avant que le village ne soit incendié.
Dans la commune martyre, des petites maisons sans toit aux pierres noircies par la pluie et le temps, certaines aux murs effondrés, s’étendent sur quelque 10 hectares. Certaines renferment une bicyclette rouillée par-ci, une machine à coudre plus loin.
« C’est dans ce souvenir, dans les cendres d’Oradour, que nous devons faire renaître la force de cette réconciliation, la sève de notre projet européen. Et notre volonté encore bien présente de liberté, d’égalité et de fraternité », a affirmé le président français.
Le rendez-vous mémoriel, programmé de longue date, a pris des accents nouveaux, au lendemain d’une victoire retentissante du Rassemblement national (RN, extrême droite) en France, qui avec près de 32 % des voix, a recueilli près de deux fois le nombre de suffrages de Renaissance, le partie présidentiel (14,6 %).
À peine une heure après les premiers résultats, le chef de l’État français annonçait la dissolution de l’Assemblée nationale, au motif que « la montée des nationalistes et des démagogues est un danger pour notre nation mais aussi pour notre Europe ». Une décision qualifiée par les commentateurs politiques de pari « périlleux », car elle pourrait amener pour la première fois l’extrême droite au pouvoir en France.
« L’Europe un projet si singulier, fou, de paix. Il n’y a dans ce projet rien d’évident, spontané, naturel », a encore martelé M. Macron, qui quelques heures plus tôt s’était rendu à Tulle, où le 9 juin 1944, la division nazie Das Reich avait pendu 99 hommes aux arbres, réverbères et balcons de la ville.
« Sentiment de honte » du président allemand
Aux côtés du président français, son homologue allemand Frank-Walter Steinmeier a souligné sa « consternation », son « affliction » et son « sentiment de honte », 80 ans jour pour jour après l’anéantissement d’Oradour, pour les « crimes inconcevables, si cruels et inhumains, perpétrés ici par des Allemands ». Les « assassins sont ensuite restés impunis », a-t-il poursuivi. « Mon pays s’est rendu par là même de nouveau coupable ».
M. Steinmeier s’est aussi fendu d’un plaidoyer en faveur de l’Union européenne, alors que l’Allemagne a également connu une forte poussée de l’extrême droite dimanche. L’AfD est arrivé en deuxième position derrière les conservateurs de la CDU/CSU avec 15,9 % des votes, le plus haut score de son histoire au scrutin européen.
Lundi, le parti d’extrême droite a interdit à sa tête de liste Maximilian Krah de siéger avec les eurodéputés de son parti après une série de scandales. L’avocat de 47 ans avait notamment estimé en fin de campagne électorale qu’un SS n’était pas « automatiquement un criminel ».
En France, le RN est un parti héritier du Front national, une formation cofondée en 1972 par un ancien Waffen SS, et qui accueillit de nombreux ex-« collabos » en son sein.
« N’oublions jamais les dégâts engendrés en Europe par le nationalisme et la haine ! N’oublions jamais quel miracle de réconciliation l’Union européenne a opéré ! », a lancé le président allemand. « Protégeons notre Europe unie ! Et n’oublions jamais combien la liberté est importante. »
Dans le public, et parmi les invités, les préoccupations liées à l’actualité politique étaient palpables.
« Je vous souhaite beaucoup de courage », a glissé une dame au président français. « On n’a pas le droit de ne pas en avoir », lui a-t-il répondu. « Soyons résistants ! », a lancé une autre habitante.
Petite-fille du soldat Adolf Heinrich, un des responsables du massacre d’Oradour, l’Allemande Karin Eideloth a jugé « qu’être là », « avec (son) histoire », était « un cadeau ». « C’est d’autant plus important d’être là au lendemain des élections », a-t-elle encore estimé. « Dans un lieu comme ici, on est conscient du danger de l’idéologie de l’extrême droite. »