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La musique juive avant-gardiste de John Zorn (enfin) sur Spotify, les fans sont divisés

Longtemps opposé aux services de streaming qui ne rapportent que des miettes aux artistes, le musicien pionnier laisse ses auditeurs juger du bien-fondé de sa récente décision

John Zorn se produit au Damrosch Park du Lincoln Center, à New York, le 30 juillet 2016. (Crédit : Ebet Roberts/Redferns via Getty Images via JTA)
John Zorn se produit au Damrosch Park du Lincoln Center, à New York, le 30 juillet 2016. (Crédit : Ebet Roberts/Redferns via Getty Images via JTA)

JTA – Alors que toute l’industrie musicale est en ligne, John Zorn a longtemps refusé de proposer les albums de son label Tzadik Records sur les plates-formes de streaming.

Les fans de ce musicien juif précurseur n’ont pas été surpris par sa réticence. Zorn est l’un des musiciens et compositeurs expérimentaux américains les plus respectés, dont la plupart des œuvres s’inspirent de thèmes juifs. Il dirige l’influent label Tzadik Records, qui a sorti des dizaines d’œuvres novatrices inspirées par la musique et les mélodies juives dans le cadre de sa série Radical Jewish Culture.

Le label, dont le nom est le mot hébreu désignant une personne juste, a pour objectif d’aider les musiciens qui « trouvent difficile ou impossible de faire entendre leur musique par des canaux plus conventionnels ».

Les services de streaming tels que Spotify, Pandora et YouTube Music ont considérablement restreint la possibilité pour les artistes de gagner de l’argent en vendant des albums, et il semblait acquis que Zorn garderait les albums produits par Tzadik hors ligne, qu’il s’agisse d’œuvres d’art sonores réalisées en solo et entièrement sur ordinateur, de compositions classiques contemporaines ou d’albums de groupes de rock chaotiques qui repoussent les limites de l’art.

Tout cela a commencé à changer en septembre. Des rumeurs se sont mises à circuler sur des groupes Facebook et des pages de fans de Zorn une semaine avant que le catalogue de Tzadik n’apparaisse sur les plates-formes de streaming à la fin du mois. Aujourd’hui, la majeure partie du catalogue se trouve sur Spotify.

« Cela a été perçu comme un changement sismique », a déclaré Yoshie Fruchter, guitariste et figure connue de la scène musicale juive new-yorkaise, qui a enregistré des titres sous le label Tzadik.

Certains fans ont respecté la décision de Zorn et souligné le caractère réfléchi de sa démarche. Zorn donne rarement des interviews – il n’a pas répondu aux demandes de commentaires de la Jewish Telegraphic Agency (JTA) – mais sa page d’artiste sur Spotify exhorte les fans à continuer à acheter des versions physiques des titres de son label : « Si vous appréciez la musique de Tzadik, nous vous invitons à continuer à soutenir les artistes en achetant nos CDS [sic]. L’emballage, les illustrations, les textes, les crédits et les images sont autant de détails essentiels qui illustrent la vision des artistes de Tzadik. Les CD offrent un meilleur son, sont plus beaux et vous permettent de vivre une expérience artistique plus complète. »

Nombre de fans et de collaborateurs de Tzadik ont vivment critiqué l’initiative du passage au streaming.

Les albums de Tzadik « ont tous de superbes pochettes, certains coffrets sont très élaborés et viennent avec des livrets et d’autres choses de ce genre », a expliqué Jon Madof, un collaborateur de Tzadik et propriétaire de son propre label de musique avant-garde. « Vous n’aurez pas tout cela si vous l’écoutez sur Spotify ».

Les critiques, quant à eux, s’inquiètent davantage des inconvénients de l’écosystème actuel du streaming, qui restent immuables. Depuis plus de dix ans, les musiciens se plaignent de la façon dont Spotify et d’autres plateformes similaires engloutissent les revenus des artistes en les rémunérant bien en deçà d’un centime par écoute.

Le guitariste, compositeur et militant des droits des musiciens Marc Ribot, lui-même contributeur de Tzadik, estime que la décision de Zorn est ce qu’il y a de mieux pour le label, mais reste critique à l’égard des plateformes de streaming. En 2018, la musique de Tzadik a été placée par erreur sur des plateformes de streaming contre la volonté de Zorn pendant six mois. Dans une publication dans un blog, Ribot a écrit que pendant cette période, les centaines d’albums de Tzadik ont rapporté un total de 300 dollars en paiements aux artistes.

Le saxophoniste John Zorn montre une partition avant de se produire au festival de jazz de Marciac, le 9 août 2005, à Marciac, en France. (Crédit : GEORGES GOBET / AFP)

« Pas besoin d’un superordinateur pour comprendre ce que ‘l’âge du streaming’ de 300 dollars en 6 mois va faire à Tzadik. Voilà ce que veut dire ‘pas viable' », a-t-il écrit.

Mais les disques vinyles et les CD peuvent aussi coûter cher. Mark Allender, qui se dit obsédé par Zorn et qui gère un site de fans de Zorn appelé Masada World, a déclaré que si de nombreux fans se situent « à l’extrémité ‘streaming is evil’ (le streaming c’est le diable) du spectre politique », il y a aussi « beaucoup de fans qui n’ont tout simplement pas beaucoup d’argent ». (Le service premium illimité de Spotify coûte 10,99 dollars par mois, soit bien moins que le prix d’un seul disque vinyle).

Et si certains fans seront impatients de se plonger dans le catalogue en streaming, d’autres se contenteront d’acheter les CD et vinyles physiques encore disponibles. Sarah Grosser, qui s’est récemment convertie à la musique de Zorn et qui a écrit et distribué un fanzine, « Days of Zorn« , basé sur ses premières impressions de 40 albums de Zorn, a noté que les fans de Zorn sont des collectionneurs obsessionnels. Voilà pourquoi elle ne pense pas que la décision de diffuser l’album en streaming aura un impact important sur les ventes de Tzadik.

« Zorn a toujours attiré un public aussi obsessionnel, perfectionniste et soucieux du détail que lui », a expliqué Grosser. « Avec les réseaux sociaux, on sait d’emblée à quoi va ressembler l’album. Les gens ne se demandent plus ce que donnera le CD qu’ils achètent, car il y a tellement de comm. »

Zorn est depuis longtemps une figure centrale de la scène musicale new-yorkaise « Downtown », une communauté de musiciens d’avant-garde et d’expérimentateurs artistiques basée à Manhattan. Son travail est en constante évolution, depuis les « game pieces » d’improvisation libre qu’il a créées dans les années 70 jusqu’à son style de « file-card composing » des années 80 et 90, où les genres se mélangent. Il a écrit et enregistré du rock, du jazz, de la musique classique, de la musique du monde et même du métal.

Une grande partie de son travail est guidée par son intérêt pour le mariage des mélodies juives des siècles passés avec des genres dans lesquels elles ne sont pas habituellement jouées. C’est ainsi qu’il a décrit son projet de groupe de jazz Masada en 2004, en référence au père du mouvement de free jazz expérimental : « L’idée du projet Masada est de produire une sorte de musique juive radicale, une nouvelle musique juive qui n’est pas de la musique traditionnelle avec un arrangement différent, mais de la musique pour les Juifs d’aujourd’hui. L’idée est de réunir Ornette Coleman et les gammes juives ».

Quelles que soient les particularités de Tzadik, tout le monde n’est pas surpris par une telle démarche. Le pianiste d’avant-garde et collaborateur de Zorn Anthony Coleman a mentionné ECM Records, un label qui produisait un éventail comparable de musiques éclectiques et qui a fini par mettre son répertoire à la disposition des services de streaming en 2017. « La façon dont ECM a résisté était très publique et affichée. Le jour où ils ont cédé, j’ai senti que les jours de Tzadik étaient comptés », a déclaré Coleman.

Ce qui est sûr, c’est que le débat en ligne entre les fans de Zorn va se poursuivre. Certains pensent que la qualité des chansons sur les plateformes de streaming est inférieure, d’autres ne sont pas d’accord. Certains disent que Tzadik devrait lancer sa propre plateforme de streaming ou, si le projet doit être mis en ligne, vendre sa musique sur des sites qui offrent une plus grande part du gâteau aux artistes, tels que Bandcamp.

Ribot reconnaît aujourd’hui que le streaming est la réalité dans laquelle vivent les artistes et estime que les législateurs devraient intervenir pour réglementer le système.

« Le problème principal de Spotify n’est pas Spotify lui-même, mais l’incapacité du Congrès à réglementer Google, YouTube et d’autres méga-entreprises en ligne basées sur la publicité et l’exploitation de données », a-t-il déclaré. « Le National Labor Relations Board ne reconnaît pas [les musiciens] comme des travailleurs, ni Spotify comme notre employeur. »

Selon Madof, collaborateur de Tzadik, qui aide également les musiciens à commercialiser leur production, le streaming et les achats physiques peuvent potentiellement être symbiotiques : Spotify pourrait être « l’introduction qui vous fait entrer dans le monde » de la musique de Zorn, et qui vous donne envie d’acheter des exemplaires physiques de sa musique pour devenir un fan inconditionnel. (Jusqu’en 2022, Madof travaillait à 70 Faces Media, la société mère de la JTA).

Mais, au bout du compte, Madof est persuadé que Zorn a mûrement réfléchi à la meilleure décision à prendre pour la communauté rassemblée autour de lui.

« Tout ce que [Zorn] fait est réfléchi, et la communauté des musiciens est toujours au centre de ses préoccupations », a affirmé Madof.

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