Le chef du Shin Bet défend sa décision de ne pas démissionner auprès d’un père endeuillé
Lors d’un appel téléphonique, après une audience agitée à la Haute Cour, Ronen Bar dit vouloir démissionner, mais estime devoir choisir le moment de son départ avec responsabilité

Lors d’une conversation tendue au début du mois, le chef du Shin Bet, Ronen Bar, a confié à un père endeuillé qu’il n’avait nullement envie de rester à son poste à la tête de l’agence de sécurité, mais que le moment opportun pour démissionner ne s’était pas encore présenté.
L’enregistrement de cet appel téléphonique du 12 avril entre Bar et ce père endeuillé a été diffusé dimanche soir sur la chaîne N12, alors que le gouvernement poursuit ses efforts pour le limoger.
Au cours de l’appel, Bar a expliqué au père, qui s’exprimait au nom de quelque 350 familles endeuillées, que sa décision de démissionner lui paraissait juste, mais que des « valeurs contradictoires » l’obligeaient à faire preuve de discernement et de responsabilité pour déterminer le moment opportun.
Le père endeuillé, qui n’a pas été nommé, a déclaré à Bar au début de la conversation qu’il représentait « de nombreuses familles endeuillées et nous pensons que la façon dont vous gérez la fin de votre mandat, monsieur, crée une situation très, très problématique et très douloureuse ».
Selon de nombreux articles publiés ces dernières semaines, Bar aurait exprimé son intention de démissionner du Shin Bet, en raison de la responsabilité du service dans les échecs de l’invasion et du pogrom perpétrés le 7 octobre 2023, par le groupe terroriste palestinien du Hamas.
Il aurait néanmoins aussi manifesté sa volonté de rester en poste jusqu’à la libération de tous les otages encore détenus à Gaza et jusqu’à l’ouverture d’une commission d’enquête d’État sur l’assaut meurtrier, au cours duquel plus de 1 200 personnes ont été assassinées et 251 autres ont été prises en otage.
Lors de l’entretien téléphonique avec le père endeuillé, Bar lui a fait part de sa conviction que les dirigeants – dont lui-même – avaient le devoir d’assumer leurs responsabilités après des échecs graves, et que « prendre ses responsabilités » signifiait en l’occurrence démissionner de son poste.
Il a ajouté que, compte tenu des menaces qui pèsent sur l’État, il n’avait pas encore eu l’occasion de le faire en toute responsabilité.

« C’est sans doute ce qui me pèse le plus », a déclaré Bar. « Je n’ai aucune envie de continuer à occuper mon poste. »
« Toute personne, et à plus forte raison toute personne ayant déclaré assumer ses responsabilités, devrait avoir la possibilité de démissionner », a-t-il ajouté. Mais, selon lui, « cette possibilité ne m’a pas été accordée ».
Que signifie « prendre ses responsabilités » si l’on reste à son poste ? a alors demandé le père endeuillé.
« Assumer ses responsabilités signifie démissionner », a répondu Bar, “démissionner, de manière claire et sans ambiguïté », précisant « et pas seulement deux jours avant la fin du mandat, ce qui reviendrait à une démission purement symbolique ».
Toutefois, a-t-il poursuivi, « dans ce genre de fonctions, il faut constamment arbitrer entre des valeurs contradictoires ».
« Chaque jour, je me pose la question, du point de vue de la sécurité des citoyens, pour trouver le moment juste pour démissionner », a-t-il expliqué.

Bar a également évoqué les menaces dont sa famille est victime depuis le début de cette crise. Il a raconté au père endeuillé qu’il « paie le prix de tout cela. Ma fille ne peut plus aller à l’école. Elle subit des provocations qui sont aujourd’hui légitimées par les autorités ».
« Mon ordre de priorités, que je suis depuis 35 ans au service de l’État, ne va certainement pas changer pendant et restera : l’État, l’agence, et ensuite moi », a-t-il insisté.
« J’entends ce que vous me dites », a-t-il poursuivi. « Ce n’est pas quelque chose que je prends à la légère. Je l’entends, avec une grande douleur. Et je vais essayer de clore cette histoire. »
La conversation a eu lieu au lendemain d’une audience houleuse devant la Haute Cour de justice, qui examinait les recours contre le limogeage de Bar, une audience perturbée par des familles endeuillées exigeant son départ.
La cour a décidé que Bar resterait en poste pour l’instant, encourageant le gouvernement et le bureau de la procureure générale à trouver un compromis sur les procédures entourant son limogeage sans précédent.

Le Forum Gvura, qui représente plusieurs dizaines de familles de soldats tombés pendant la guerre en cours, a indiqué dans une lettre ouverte la semaine dernière que Bar leur avait promis de démissionner d’ici le 15 mai.
Dans une déclaration sous serment à la Haute Cour, Bar a ensuite déclaré qu’il annoncerait sous peu une date de démission, sans toutefois préciser laquelle.
Cette annonce est jugée significative, car si Bar quitte son poste de son propre chef, la Haute Cour n’aurait pas à se prononcer sur les recours contre son éviction, évitant ainsi un risque de crise constitutionnelle.
Ces derniers jours, la controverse autour du licenciement de Bar s’est intensifiée, marquée par un échange d’accusations entre le chef du Shin Bet et le Premier ministre Benjamin Netanyahu.
Dans sa déclaration sous serment, Bar a affirmé que Netanyahu lui avait demandé une « loyauté personnelle » et que, en cas de crise constitutionnelle, il lui avait été clairement signifié qu’il devait obéir au Premier ministre et non à la Cour suprême.
De son côté, Netanyahu a accusé Bar de porter une « responsabilité massive et directe » dans l’échec à prévenir l’attaque du 7 octobre, lui reprochant notamment de ne pas l’avoir alerté, lui ni le ministre de la Défense, et d’avoir gravement sous-estimé la situation sécuritaire.
Jeremy Sharon a contribué à cet article.