Le Mouvement travailliste juif vote une motion de défiance contre Corbyn
Ce vote survient après la parution d'un article révélant le manque de sanctions contre des membres ayant accusé les Juifs du 11/09 et s'en étant pris à des Premiers ministres juifs
Le Mouvement juif travailliste britannique (JLM) a voté dimanche une motion de défiance à l’égard du président du parti Jeremy Corbyn, quelques heures après la publication d’un article détaillant l’absence de traitement de l’antisémitisme dans les rangs du parti.
Cette motion a été adoptée à une quasi-unanimité au terme d’un « débat passionné », a fait savoir le mouvement.
La réunion générale annuelle du JLM, qui compte 2 000 membres et est affilié au Parti travailliste depuis près de 100 ans, a également estimé par ce vote que le parti avait une « culture de l’antisémitisme » ayant entraîné une « crise ».
Les députés travaillistes Ruth Smeeth, Louise Ellman et Margaret Hodge, qui se sont querellées avec Jeremy Corbyn au sujet du problème d’antisémitisme, ont toutes réalisé des « discours puissants » lors du rassemblement, a fait savoir le mouvement.
Le Sunday Times avait précédemment rapporté des occasions où le parti a défendu des membres auteurs de remarques antisémites au vitriole, ainsi que les rares expulsions de membres en dépit du dépôt de 850 plaintes formelles.
Le journal indiquait avoir obtenu un disque dur contenant une base de données confidentielles, des e-mails fuités et des documents révélant que le parti – embourbé depuis longtemps dans un scandale public sur son incapacité à se débarrasser de l’antisémitisme qui le gangrène – a traîné les pieds pour réagir aux plaintes.
Le bureau du chef du parti Jeremy Corbyn est intervenu dans au moins 101 plaintes, d’après l’article, même s’il avait auparavant assuré à la députée juive Margaret Hodge que son équipe ne se pencherait « jamais » sur ces affaires.
En tout, sur les 863 plaintes enregistrées au 8 mars 2019, 454 n’ont pas été réglées. Pour 249 d’entre elles, le parti n’a même pas lancé d’enquête préliminaire.
Dans les cas où une décision finale a bien été prise, 191 membres n’ont fait l’objet d’aucune sanction, et 145 ont reçu un avertissement officiel – que le Sunday Times a qualifié de « tape sur le poignet » – et seulement 29 ont été exclus. D’autres ont quitté le parti de leur propre chef.
Sunday TIMES: “Labour’s hate files expose Corbyn’s anti-semite army” #bbcpapers #tomorrowspaperstoday pic.twitter.com/uIuXBWUT70
— Allie Hodgkins-Brown (@AllieHBNews) April 6, 2019
L’article donnait des détails sur des cas spécifiques sans nommer les personnes incriminées. Dans une affaire, un syndicaliste de Manchester a été autorisé à réintégrer le parti alors qu’il avait partagé des documents accusant les « Israéliens juifs » d’être responsables des attaques du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis.
Des travaillistes ayant tenu des propos antisémites comme « Heil Hitler », « J’emmerde les Juifs » et les « Juifs sont le problème » n’ont pas été exclus du parti même si des plaintes avaient été déposées contre eux il y a un an, toujours d’après l’article.
Une conseillère régionale du Lancashire a été réintégrée après avoir critiqué les « médias juifs » et les « Rothschild ». Elle a expliqué qu’elle avait utilisé ces termes « comme une description globale sans connotations racistes ».
Le mois dernier, expliquait l’article, Thomas Gardiner – un allié de Corbyn qui dirige le service juridique et de gouvernance du Parti travailliste – a bloqué des tentatives de poursuites judiciaires contre un membre du parti qui s’est emporté contre les députées juives Margaret Hodge et Ruth Smeeth en les traitant de « duo de balais-à-chiotte qui remuent la merde, qui ont été achetées et qui sont payées par Israël » et de « saloperies débiles » qui devraient « aller se faire foutre et retourner dans leur trou ».
Dans une autre affaire, un élu s’en est tiré avec un simple avertissement après avoir dit que le Conseil des juifs britanniques était des « cons » et que son commentaire n’était « pas antisémite, c’est anti-cons. Cf Israël ».
Un officiel du Parti travailliste a statué qu’un candidat aux municipales avait franchi la ligne rouge après avoir accusé des élus juifs d’être des
« infiltrés sionistes », avant finalement de changer d’avis et de décider que l’accusé ne serait pas suspendu ni visé par une procédure, car « il est un candidat ».
En réponse à l’article, Margaret Hodge a fait savoir que « l’ampleur des insultes, la profondeur de la haine et le manque total d’action du Parti travailliste sont stupéfiants. Jeremy m’avait assuré qu’il n’interviendrait pas dans ces plaintes. Cette enquête prouve que soit il me ment, soit son bureau lui ment ».
« C’est un article très choquant et déprimant », a commenté Tom Watson, un cadre travailliste. « Des membres du Parti travailliste et de la communauté juive ne comprendront pas comment, des années après que les premières préoccupations sur l’antisémitisme ont été soulevées, nous n’avons toujours par pris ce problème à bras le corps ».
Pourtant, côté travaillistes, on insiste pour dire que les chiffres présentés dans l’article n’étaient « pas exacts ».
« On a fait fuiter des passages d’e-mails de manière sélective afin de donner une fausse représentation du contenu global », a affirmé le parti. « D’anciens membres de l’équipe ont demandé de l’aide au bureau central pour rattraper le retard accumulé dans certaines affaires. Cela a duré pendant quelques semaines alors qu’il n’y avait pas de secrétaire général, et ça s’est terminé avec l’arrivée de Jenni Formby [maintenant à ce
poste] ».
« Le Parti travailliste prend les plaintes d’antisémitisme extrêmement au sérieux, et nous nous sommes engagés à nous en débarrasser. Toutes les plaintes ont fait l’objet d’une enquête en conformité avec nos règlements et procédures. Nous ne pouvons pas commenter des cas individuels », précisait le communiqué.
Des discours antisémites ont été observés au sein du Parti travailliste depuis 2015, quand Corbyn, un responsable politique d’extrême gauche, a été élu à la tête du parti. Le Conseil des Juifs britanniques a accusé Corbyn d’encourager les discours antisémites et parfois d’en faire lui-même. Il a nié ces accusations.
L’ancien maire de Londres Ken Livingstone a récemment qualifié ces affirmations d’antisémitisme chez les travaillistes de « mensonges et de diffamations » visant à faire tomber Corbyn. Il a également affirmé qu’il n’est « pas antisémite de détester les Juifs d’Israël ».
En mars, la police britannique a arrêté trois personnes près de Londres soupçonnées d’incitation à la haine dans les rangs du Parti travailliste. Ces arrestations étaient parmi les rares interventions de forces de l’ordre contre des individus suspectés de propager l’antisémitisme au sein du parti.
L’année dernière, Corbyn a été très vivement critiqué après avoir exprimé son soutien à une peinture murale antisémite en 2012 dans le quartier d’East End de Londres.
La peinture murale, intitulée Liberté de l’Humanité, a été peinte sur une propriété non loin de Brick Lane par Kalen Ockerman, un artiste spécialisé dans les graffiti basé à Los Angeles. Elle représente un groupe d’hommes – qui ressemblent à des caricatures de banquiers et d’hommes d’affaires juifs – comptant leur argent sur un Monopoly tenant en équilibre sur le dos de travailleurs nus.
En réaction, des Juifs britanniques ont participé à une manifestation sans précédent sur la place du Parlement pour dénoncer l’antisémitisme chez les travaillistes. La foule avait scandé « trop, c’est trop ».
Après une focalisation de l’attention publique sur le problème, le Parti travailliste va peut-être faire l’objet d’une enquête officielle de la Commission d’Egalité et des Droits de l’homme du Royaume-Uni, le principal organisme gouvernemental de veille contre le racisme.
Michael Bachner a contribué à cet article.