Le président des JFNA s’oppose en privé à la lettre dénonçant l’arrestation d’activistes
Dans un courriel, Eric Fingerhut a estimé que la lettre anti-Trump n'était pas représentative des opinions diversifiées des juifs américains et que les étudiants arrêtés n'avaient pas été privés de leurs droits
La semaine dernière, une coalition formée de dix grands groupes juifs américains a diffusé une lettre ouverte qui décriait l’approche de l’administration Trump en matière de lutte contre l’antisémitisme.
Quelques heures plus tard, Eric Fingerhut, le président-directeur-général des Fédérations juives d’Amérique du Nord (JFNA), a envoyé son propre courrier. S’adressant en privé aux responsables des fédérations juives locales, il a estimé que la lettre anti-Trump ne faisait pas suffisamment « référence aux opinions diversifiées que nous sommes susceptibles d’avoir » au sein de la communauté juive.
Le texte du courriel écrit par Fingerhut a été partagé avec la Jewish Telegraphic Agency. Il a d’abord été rapporté par Ron Kampeas, un journaliste politique qui a pris sa retraite de la JTA au mois de décembre et qui est dorénavant l’auteur d’un Substack indépendant.
Ce différend met en évidence l’anxiété qui continue de persister au sein du monde juif sur la manière – ou sur l’opportunité – de répondre aux initiatives prises par Trump concernant les expulsions d’étudiants activistes étrangers au nom de la lutte contre l’antisémitisme.
Les signataires de la première lettre – une lettre qui avait été mise au point par le Jewish Council on Public Affairs (JCPA) et qui a obtenu le soutien des chefs des mouvements réformé, conservateur et reconstructionniste – ont rejoint de nombreuses organisations juives qui ont critiqué ou condamné les mesures de répression appliquées sur les campus par Trump.
Mais les JFNA, qui regroupent près de 150 fédérations locales qui représentent souvent l’adresse principale de leur communauté, ont défendu l’insistance placée par leur président sur la nécessité de refléter un plus grand nombre de perspectives.

La lettre dénonçant Trump rejetait « toutes les politiques et toutes les actions fomentant ou profitant de l’antisémitisme, dressant les communautés les unes contre les autres ». Elle condamnait également « l’exploitation des inquiétudes réelles de notre communauté au sujet de l’antisémitisme, une exploitation qui a pour objectif de saper les normes démocratiques » et « de contrevenir aux procédures régulières et habituelles et de violer les droits garantis par le Premier Amendement ».
Elle ajoutait que « il est à la fois possible et nécessaire de lutter contre l’antisémitisme – sur les campus, dans nos communautés et dans tout le pays – sans abandonner les valeurs démocratiques qui ont permis aux Juifs, et à tant d’autres minorités vulnérables, de fleurir ».
Fingerhut : La lettre ne représente pas les Juifs américains dans leur ensemble
Dans son courriel, Fingerhut s’est opposé à la missive qui prétendait représenter « un large éventail de la communauté juive américaine ». Il a cité plusieurs groupes juifs – dont l’Anti-Defamation League (ADL), l’Orthodoxe Union (OU) et la Conférence des présidents – qui n’ont pas figuré parmi les signataires et il a également exprimé sa déception de ne pas avoir été consulté à son sujet.
Fingerhut a également mis en cause le moment choisi pour la diffusion de la missive, pendant Pessah – affirmant qu’un tel choix est la preuve qu’elle ne saurait représenter l’ensemble de la communauté juive, certains Juifs, en particulier au sein des communautés orthodoxes, prenant des congés pendant toute la durée de la fête.
Un porte-parole des JFNA a défendu les objections soulevées par Fingerhut dans une déclaration. « La communauté juive nord-américaine nourrit une grande diversité de points de vue, en particulier sur des sujets politiquement controversés, y compris sur ceux qui ont été mentionnés dans la lettre ouverte », a déclaré le porte-parole.
« Si nous voulons rester unis en ces temps politiquement difficiles, il est essentiel que les déclarations qui prétendent représenter le large courant de notre communauté reconnaissent la diversité de nos points de vue et qu’elles incluent ces perspectives différentes ».

Un désaccord qui a fait écho à une autre scission récente entre le JCPA, à l’origine de la lettre, et la JFNA, qui a critiqué cette dernière.
Dans le passé, le JCPA avait l’habitude de définir ses politiques par consensus par le biais d’un réseau de Conseils des relations communautaires juifs locaux – des conseils qui sont par ailleurs souvent affiliés à des fédérations juives. Mais en 2022, la JCPA avait relâché ces liens, ce qui lui a permis de rédiger la lettre sans ne rien devoir aux JFNA.
La directrice générale du JCPA, Amy Spitalnick, a refusé de commenter le courriel écrit par Fingerhut. Son groupe, a par le passé, critiqué les efforts livrés par le gouvernement en vue du placement en détention d’immigrants sans mise en examen préalable, y-compris sous l’administration Obama.
Parmi les signataires de la lettre ouverte figurent également l’association juive de défense des droits des immigrés, l’HIAS et le National Council of Jewish Women.
Fingerhut : Les étudiants ciblés bénéficient d’une procédure régulière
Le courriel écrit par Fingerhut a été l’occasion pour ce dernier d’exprimer son propre positionnement sur les mesures de répression appliquées dans les campus américain. Le haut-responsable communautaire a défendu les libertés civiles, il s’est opposé à l’antisémitisme au sein des universités et il a appelé les fédérations à laisser les affaires d’expulsion trouver une issue devant les tribunaux.
« Notre communauté n’a jamais cherché à restreindre la liberté d’expression sur les campus ou ailleurs, mais nous avons cherché à ce que les universités et le gouvernement prennent des mesures contre ceux qui se livrent à des incitations hostiles à l’égard des étudiants juifs – et nous continuerons à le faire », a-t-il écrit. « La question de savoir si les dossiers qui sont actuellement présentés devant les tribunaux sont des exemples de telles incitations sera tranchée en temps voulu ».
Il a également contesté l’affirmation faite dans la lettre ouverte, qui a laissé entendre que les étudiants étaient privés de leurs droits. Il a écrit que « nous ne soutenons pas la limitation du droit de tout un chacun à bénéficier d’une procédure en bonne et due forme », notant que les étudiants pris pour cible « bénéficient d’une procédure régulière et ils sont représentés par des avocats compétents ».

Certains étudiants étrangers qui militaient dans le cadre des manifestations anti-israéliennes ont été rapidement transférés dans des centres de détention à travers tout le pays, sans audience préalable, ce qui a amené certains spécialistes du droit à soutenir que leurs droits à une procédure régulière avaient été bafoués. Un porte-parole des Fédérations a noté qu’un grand nombre de ces cas sont encore en cours de jugement devant les tribunaux.
Vendredi, un juge fédéral a ordonné que l’une des détenues les plus médiatisées, Rumeysa Öztürk, une étudiante diplômée de l’université de Tufts, soit transférée d’un centre de détention en Louisiane vers une autre prison située dans le Vermont en attendant son procès. Il a fait remarquer que le traitement de son dossier « soulève d’importantes questions constitutionnelles ».
Publiquement, les JFNA se sont plus étroitement engagées auprès de l’administration Trump que cela a pu être le cas de certains autres groupes juifs traditionnels. Le groupe a récemment accueilli des officiels du ministère américain de l’Éducation pour une « séance d’information sur les campus » afin de « partager des idées sur la protection des étudiants et le respect des droits civils ».
Et après la réélection de Trump au mois de novembre, le vice-président des relations gouvernementales du groupe a plaisanté lors d’une conférence sur le fait que les Juifs pourraient bientôt acheter des biens immobiliers en Cisjordanie et à Gaza – entraînant la colère de nombreux participants et incitant Fingerhut à répéter son attachement à la neutralité.
La seule déclaration des JFNA mentionnant Trump depuis son investiture semble être une déclaration qui avait été faite au mois de février, déclaration dans laquelle le groupe remerciait le président qui avait dénoncé le traitement des otages israéliens. (Les JFNA ont également félicité Mike Huckabee pour sa confirmation au poste d’ambassadeur en Israël).

La lettre de Fingerhut lui a valu des critiques de la part de certains qui estiment que c’est une erreur d’éviter de critiquer l’administration Trump.
« Certains dirigeants juifs ont appelé à une approche conciliante. Ils pensent qu’en s’acoquinant avec le pouvoir, la communauté juive bénéficiera d’une certaine protection contre l’antisémitisme », a écrit la rabbin Jill Jacobs dans un message adressé aux partisans de Truah, le groupe rabbinique de défense des droits de l’Homme qu’elle préside et qui a signé la lettre du JCPA. Elle a ajouté un lien vers le Substack de Kampeas : « Des générations de Juifs avant nous ont appris que cette approche ne fonctionne pas longtemps », a-t-elle déploré.
De leur côté, l’Anti-Defamation League, l’American Jewish Committee et Hillel International ont tous fait part de leur inquiétude concernant les expulsions et les financements qui ont été retirés à la recherche universitaire, ces dernières semaines. Aucun n’a toutefois signé la lettre du JCPA.
Quelques fédérations locales et autres Conseils des relations communautaires juifs n’ont pas non plus épargné leurs critiques à l’égard de l’administration Trump avant le courriel envoyé par Fingerhut.
Fédération locale : Là où la parole est réduite au silence, les Juifs le seront aussi
Au mois de mars, la fédération d’Ann Arbor, dans le Michigan – l’université du Michigan a accueilli des manifestations anti-israéliennes particulièrement agitées, avec des agressions commises à l’encontre des étudiants juifs – avait ainsi diffusé un communiqué défendant « la régularité des procédures juridiques et la liberté d’expression, qui sont des principes fondamentaux de notre démocratie ». Comme la lettre ouverte, ce communiqué laissait entendre que les répressions pourraient, en fin de compte, porter également atteinte aux Juifs.
« Nous ne savons que trop bien, de par notre propre histoire, que là où la parole est supprimée, que là où les procédures régulières ne sont pas respectées, les Juifs seront inévitablement réduits au silence », était-il écrit dans le communiqué de la fédération d’Ann Arbor.
Des Conseils des relations communautaires de Boston et de la Bay Area – deux secteurs où les activités pro-palestiniennes sont particulièrement intenses sur les campus – avaient également publié des déclarations s’opposant aux arrestations d’étudiants étrangers au nom de la lutte contre l’antisémitisme. Ces deux groupes, contrairement à de nombreux autres conseils du même type, fonctionnent indépendamment de leurs fédérations locales.
Mais la lettre de Fingerhut n’a pas découragé tout le monde. Le lendemain de son envoi, l’Alliance juive du Grand Rhode Island, la fédération de l’État, a annoncé qu’elle avait également signé la déclaration du JCPA.