Les descendants des Juifs soudanais rêvent de renouer avec leur passé
Au Soudan, les Juifs comptaient environ 250 familles au plus fort de leur présence dans les années 1940 et 1950
Dans le cimetière d’un quartier populaire de Khartoum, des pierres tombales portant des inscriptions en hébreu sont ensevelies depuis des décennies sous les gravats, témoins de la longue histoire oubliée des Juifs soudanais.
En déshérence, le cimetière est aujourd’hui entouré de rues bruyantes encombrées de déchets et de boutiques de pneus.
« Tout ce qui nous reste de la communauté juive soudanaise est ce cimetière délabré, quelques vieilles photos et des souvenirs », confie le pharmacien Mansour Israïl, habitant d’Al-Arda, longtemps surnommé le « quartier juif » d’Omdourman, ville jumelle de Khartoum, de l’autre côté du Nil.
Au Soudan, les Juifs comptaient environ 250 familles au plus fort de leur présence dans les années 1940 et 1950, selon l’historienne britannique Daisy Abboudi, elle-même descendante de Juifs soudanais.
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Mais la communauté s’est réduite comme peau de chagrin après la création en 1948 de l’État d’Israël et les tensions qui ont suivi avec le monde arabe.
Beaux souvenirs
Né d’un père converti à l’islam, M. Israïl, 75 ans, raconte avec fierté que son grand-père juif irakien avait émigré au Soudan.
Dès les années 1970, la plupart des Juifs soudanais étaient partis, selon l’historienne.
Certaines dépouilles ont même été exhumées en 1977 puis remises en terre à Jérusalem, précise-t-elle. Beaucoup de sépultures demeurent mais « seules quelques-unes ont encore des pierres tombales ».
« Les cœurs ont beaucoup changé au Soudan », regrette M. Israïl, qui a vu ses amis juifs quitter le pays.
Il garde de beaux souvenirs de l’époque où son quartier était cosmopolite. Al-Arda était alors un « quartier animé avec beaucoup de Juifs mais aussi des Grecs et des Arméniens ».
« Tout le monde participait aux célébrations et aux fêtes », se remémore-t-il.
En 1956, la crise de Suez durant laquelle la Grande-Bretagne, la France et Israël ont attaqué l’Egypte pour prendre le contrôle du canal a précipité le départ des Juifs, explique Mme Abboudi.
Bien que le Soudan ait obtenu son indépendance du condominium anglo-égyptien en 1956, les situations politiques des deux pays restent imbriquées.
Mais le coup fatal pour les Juifs soudanais a été la guerre des Six jours en 1967, lorsque Israël s’est emparé de territoires arabes.
Quelques semaines plus tard, Khartoum a accueilli un sommet arabe où a été annoncée la résolution des « trois non » : non à la paix, à la reconnaissance et à la négociation avec l’État hébreu.
M. Israïl se souvient d’avoir alors « reçu des menaces par téléphone à cause de (son) nom de famille ». « Imaginez comment c’était pour les Juifs », ajoute-t-il.
Toutefois, leur situation s’est détériorée de manière « plus subtile au Soudan qu’ailleurs au Moyen-Orient », nuance Mme Abboudi, expliquant que la plupart sont partis car ils se sont « rendus compte qu’il n’y avait plus d’avenir » pour eux dans le pays.
Outre Israël, ils ont émigré notamment en Angleterre et aux États-Unis, mentionne-t-elle.
Durant les 30 ans du règne autoritaire d’Omar el-Béchir, le Soudan a entretenu une ligne dure envers l’État hébreu.
Mais depuis sa destitution en avril 2019, le gouvernement de transition cherche à réintégrer la scène internationale.
L’année dernière, Khartoum s’est rapproché des États-Unis et a accepté de normaliser ses relations diplomatiques avec Israël, en échange d’une levée des sanctions américaines contre le Soudan.
Obstacles
Mais les « Accords d’Abraham », signés en janvier par le Soudan et Israël, n’entreront en vigueur qu’après leur ratification par le Parlement soudanais, qui attend toujours d’être créé.
Mardi, le conseil des ministre a toutefois approuvé un projet de loi visant à abroger le boycott de l’État hébreu.
Pour la nièce de M. Israïl, Salma, qui vit à 180 km au sud de Khartoum, ce réchauffement aurait dû avoir lieu « il y a longtemps ».
Curieuse de ses racines juives, la trentenaire espère que la « normalisation facilitera » son projet de « renouer avec (ses) origines ».
Reste que le rapprochement avec l’État hébreu est loin de faire l’unanimité.
« Il y a encore des obstacles et le gouvernement semble un peu hésitant (…) Beaucoup de personnes au Soudan sont encore réfractaires », estime Salma.
En janvier, des dizaines de Soudanais ont manifesté devant le siège du gouvernement de transition, brûlant des drapeaux israéliens et scandant des slogans hostiles à l’État hébreu.
En février, une conférence sur la tolérance religieuse à laquelle a participé en visioconférence un rabbin a déclenché une vive polémique.
De son côté, Yossar Bacha, une autre soudanaise d’origine juive, a « hâte que la normalisation prenne effet ».
« Je suis presque sûre que nous avons de la famille éloignée à Tel Aviv ou ailleurs en Israël », se réjouit-elle d’avance.