Les Oscars muets sur la place des Juifs dans les nouvelles normes d’inclusion
Les règles, qui entreront en vigueur l'année prochaine pour le prix du meilleur film, visent à encourager la diversité dans l'industrie du cinéma, soulevant questions et critiques
Luke Tress est le vidéojournaliste et spécialiste des technologies du Times of Israël
L’organisation qui décerne les Oscars a refusé de se prononcer sur la question de savoir si les Juifs peuvent être considérés comme un groupe sous-représenté dans le cadre de ses nouvelles normes d’inclusion qui visent à stimuler la diversité à Hollywood.
Les Juifs sont depuis longtemps très présents dans l’industrie américaine du divertissement, mais les nouvelles normes soulèvent des questions sur la représentation à l’écran et sur les spécificités de leur mise en œuvre et de leur éligibilité aux récompenses. Par exemple, un film sur la Shoah sera-t-il considéré comme un film sur un groupe ethnique ? Les Juifs hassidiques peuvent-ils être considérés comme une minorité ?
Cette question intervient alors que des acteurs non-juifs jouant des personnages juifs à l’écran ont à plusieurs reprises suscité des débats. La controverse a éclaté cette semaine à propos de l’acteur non-juif Bradley Cooper qui a utilisé une prothèse nasale pour incarner le compositeur juif Leonard Bernstein (la famille de Bernstein a depuis balayé les critiques d’un revers de la main).
Les nouvelles normes de représentation et d’inclusion de l’Academy of Motion Picture Arts and Sciences (AMPAS) entreront en vigueur pour le prix du meilleur film pour la première fois lors de la cérémonie de remise des prix de l’an prochain. L’académie avait annoncé ces normes en 2020, alors que les critiques dénonçaient le manque de diversité au sein de l’académie et de ses lauréats.
Les nouvelles règles exigent que les films répondent à deux des quatre critères d’éligibilité. L’une des normes exige « une représentation à l’écran, des thèmes et des récits » qui représentent des groupes minoritaires, et une autre stipule que la « direction créative et l’équipe de projet » d’un film doivent être inclusives.
Les lignes directrices énumèrent un certain nombre de « groupes raciaux ou ethniques sous-représentés » qui remplissent les conditions requises, notamment les Asiatiques, les Noirs, les personnes originaires du Moyen-Orient, les indigènes et les autochtones d’Hawaï ou d’autres îles du Pacifique. Si un film a un acteur principal ou un acteur secondaire important issu de l’un de ces groupes, il remplit l’une des quatre conditions d’éligibilité au prix du meilleur film.
Un film peut également satisfaire à cette norme si une part importante des acteurs secondaires est composée d’un groupe racial ou ethnique, de femmes, de personnes LGBTQ+ ou de personnes souffrant d’un handicap cognitif ou physique, ou encore si l’intrigue principale est centrée sur l’un de ces groupes.
Si un certain nombre de dirigeants ou de membres de l’équipe d’un film appartiennent à l’un des groupes sous-représentés énumérés, le film répond à une autre des quatre normes.
Les règles comprennent une catégorie « autre race ou ethnie sous-représentée », mais l’Académie a refusé de préciser si les Juifs pouvaient entrer dans cette catégorie ou si les Israéliens étaient considérés comme des ressortissants du Moyen-Orient.
Le silence de l’AMPAS soulève des questions sur la manière dont les prix pourraient être décernés aux participants juifs. Un film sur la Shoah est-il considéré comme un scénario principal sur un « groupe racial ou ethnique » ? Qu’en est-il des Juifs de couleur ? Les Juifs hassidiques sont-ils considérés comme un groupe sous-représenté ? Les Juifs séfarades sont-ils considérés comme étant du Moyen-Orient ? Que se passe-t-il si un non-Juif joue un personnage juif religieux persécuté ? Un film mettant en scène les israéliennes Gal Gadot ou Shira Haas peut-il cocher la case « acteur principal originaire du Moyen-Orient » ?
Les deux dernières normes des règles d’inclusion exigent que les films fournissent un accès à l’industrie et des opportunités aux groupes sous-représentés, ou qu’ils impliquent ces groupes dans le développement de l’audience. Un film pourrait être éligible au prix du meilleur film en satisfaisant à ces deux exigences hors écran, en contournant les exigences relatives à la diversité de la distribution, du scénario ou de l’équipe dirigeante.
Les nouvelles normes de l’AMPAS ne s’appliquent qu’à la catégorie du meilleur film et entreront en vigueur pour la 96e édition des Oscars, en mars 2024. Ces exigences ont été considérées comme un changement historique pour l’Académie, qui a été sévèrement critiquée ces dernières années pour la blancheur écrasante de ses membres et de ses lauréats.
L’AMPAS déclare que les normes visent à « encourager une représentation équitable à l’écran et hors écran afin de mieux refléter la diversité de la population mondiale ». Elle a également ouvert une plateforme pour recueillir des commentaires sur les normes d’inclusion, notamment sur les groupes qui devraient être représentés.
Les normes d’inclusion ont suscité des critiques à l’approche de la remise des prix.
David Baddiel, humoriste britannique et militant contre l’antisémitisme, a critiqué les normes des Oscars pour avoir omis les Juifs. Dans son livre Jews Don’t Count (« Les Juifs ne comptent pas ») paru en 2021, Baddiel affirme que les Juifs ne sont pas considérés comme une minorité dans les espaces progressistes dédiés à la lutte contre la discrimination, dont dans l’industrie cinématographique.
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« Les Juifs ne sont pas considérés, par ceux qui se considèrent comme les gardiens de la morale identitaire, comme une véritable minorité qui souffre d’un véritable racisme », a déclaré Baddiel en réponse aux normes d’inclusion. « Il y a une réticence plus profonde à inclure les Juifs dans ce que l’on pourrait appeler les aspects positifs de la politique identitaire, c’est-à-dire les efforts de représentation et d’inclusion. En effet, le mythe du pouvoir juif repose en partie sur l’idée que les Juifs sont sur-représentés dans certaines sphères, dont le show-business. »
« En utilisant l’expression ‘sous-représentés’, l’AMPAS dit en fait qu’elle aide certaines minorités mais pas d’autres, des minorités dont elle estime qu’elles n’ont pas besoin d’aide », a déclaré Baddiel au Times of Israel. « Pendant ce temps, nous vivons à une époque où les Juifs – en tout cas ceux qui sont joués par des Juifs – ne sont pas souvent représentés au cinéma. »
D’autres critiques ont souligné que les précédents lauréats du meilleur film, tels que « La liste de Schindler » et « Le Parrain », ne répondraient probablement pas aux critères.
Richard Dreyfuss, qui a remporté l’Oscar du meilleur acteur pour « The Goodbye Girl » en 1977, a déclaré à la chaîne américaine PBS que les critères d’inclusion « sont à vomir ».
« C’est un art et personne ne devrait me dire, en tant qu’artiste, que je dois me plier à l’idée la plus récente de ce qu’est la moralité », a déclaré Dreyfuss, un acteur juif qui a joué dans les films de Steven Spielberg « Les dents de la mer » et « Rencontres du troisième type ».
« Est-ce qu’on dit à quelqu’un d’autre que s’il n’est pas juif, il ne doit pas jouer le Marchand de Venise ? Devenons-nous fous ? Ne savons-nous pas que l’art est de l’art ? C’est tellement condescendant », a-t-il déclaré.
Les normes d’inclusion s’inscrivent dans un débat plus large sur la représentation des Juifs dans les médias, car les acteurs non-juifs jouant des Juifs ont à maintes reprises suscité des débats. Nombreux sont ceux qui ont souligné que si les directeurs de casting sont de plus en plus attentifs à ne pas se tromper dans la distribution des rôles de minorités – non seulement en ce qui concerne la race, mais aussi le handicap, l’orientation sexuelle et d’autres aspects – les personnages juifs sont encore régulièrement, voire majoritairement, interprétés par des non-Juifs.
Une affaire récente concerne l’acteur non-juif Bradley Cooper, qui joue dans le prochain film « Maestro » sur le compositeur juif Leonard Bernstein. Certains critiques ont déclaré que l’utilisation par Cooper d’un faux nez dans le rôle penchait vers des stéréotypes antisémites. La famille de Bernstein a rejeté ces critiques, affirmant qu’il avait effectivement « un beau et gros nez » et notant que Cooper, qui a réalisé le film, l’avait pleinement associée au processus.
Des acteurs non-Juifs ont également interprété J. Robert Oppenheimer et Albert Einstein, tous deux Juifs, dans le film « Oppenheimer » de Christopher Nolan.
Après que l’actrice non-juive Kathryn Han a été choisie pour incarner la pionnière juive de la comédie Joan Rivers en 2021, dans une série qui a finalement été abandonnée, l’humoriste Sarah Silverman a critiqué cette décision.
« Il y a une longue tradition de non-Juifs jouant des Juifs, et pas seulement des personnes qui se trouvent être [simplement] juives, mais des personnes dont la judéité est toute leur identité », a déclaré Silverman. On pourrait dire, par exemple, qu’une non-Juive qui jouerait Joan Rivers correctement ferait ce qu’on appelle en réalité une « tête de Juive ».
Le choix de l’actrice non-juive Helen Mirren pour incarner Golda Meïr, la seule femme Première ministre d’Israël, dans un prochain film, a suscité à la fois des critiques et des éloges.
Le débat sur la représentation des Juifs s’est également étendu à la télévision et au théâtre, tant aux États-Unis qu’au Royaume-Uni.