Netanyahu critiqué pour ses incitations à la haine dans une biographie de Rabin
L'ancien diplomate Itamar Rabinovich dépeint un 'J'accuse' sombre contre la droite israélienne, avant et après l'assassinat du Premier ministre

LONDRES – le 4 novembre 1995, Yigal Amir, étudiant en droit, assassinait le Premier ministre israélien Yitzhak Rabin de trois balles tirées dans le dos.
Cet élève inscrit à l’université Bar Ilan était un associé de longue date des défendeurs les plus radicaux du messianisme fondamentaliste du mouvement Terre d’Israël. Selon des informations, il aurait décidé d’assassiner Rabin en septembre 1993 alors qu’il regardait le Premier ministre signer les Accords d’Oslo à la Maison Blanche aux côtés du président des Etats-Unis Bill Clinton et du président de l’Organisation de Libération de la Palestine, Yasser Arafat.
Après l’assassinat de Rabin, l’opinion publique israélienne traumatisée a tenté de comprendre comment – et, surtout, pourquoi – un événement d’une telle portée tragique avait pu avoir lieu. Comment l’état juif avait-il pu se diviser ainsi, nourrissant en son sein une telle amertume toxique ?
Selon un initié de l’époque de Rabin, Itamar Rabinovich, qui a récemment publié « Yitzhak Rabin: Soldier, Leader, Statesman », la transformation politique rapide du pays, menée par le Premier ministre israélien actuel Benjamin Netanyahu après l’assassinat de Rabin aurait dû permettre une introspection nécessaire de l’opinion publique israélienne mais elle n’a jamais eu lieu ou elle a été détournée par une Knesset placée à la droite de l’échiquier politique.

Rabinovich, qui a été négociateur en chef pour Israël auprès de la Syrie de 1992 à 1996 et également ambassadeur de l’état juif aux Etats-Unis dans les années 1990, explique ne pas considérer l’assassinat de Rabin comme un événement isolé. Il a plutôt fait partie d’une série d’événements qui se sont déroulés sur une période de six mois : Depuis le meurtre lui-même en 1995 jusqu’à la victoire électorale nationale du Likud de Netanyahu durant le printemps 1996, lorsque le parti travailliste de Rabin, placé sous l’autorité de Shimon Peres, avait été vaincu.
Cet Israélien de 75 ans, qui préside actuellement l’Israël Institute et qui est un professeur émérite à l’université de New York, affirme que l’establishment de centre droit en Israël devait également prendre ses responsabilités pour les faits apparus à ce moment-là. L’establishment avait en effet offert les vestiges du pouvoir politique à la droite radicale sur un plateau d’argent.
« Le gouvernement [travailliste] à l’époque a eu tort de ne pas poursuivre ceux qui incitaient [à la haine ] », dit Rabinovich. « La politique consista alors à tenter de construire un grand chapiteau pour y faire entrer tout le monde, et non à poursuivre ceux qui avaient incité à la haine. Le résultat, c’est que 20 ans plus tard, la droite radicale qui s’opposait aux politiques de Rabin est au gouvernement et qu’elle dicte la politique nationale ».
‘Le gouvernement [travailliste] à ce moment là a eu tort de ne pas poursuivre ceux qui incitaient [à la haine ]’
Pour preuve, il suffit de regarder les événements récents en Israël concernant la question des implantations, insiste Rabinovich. « Prenez le vote récent sur l’expropriation des terres palestiniennes, par exemple ». Le 6 février 2017, la Knesset a adopté la loi de Régulation controversée, qui ouvre la voie à la reconnaissance par Israël d’environ 4 000 habitations construites dans des implantations illégales.
Le Likud, affirme Rabinovich, a, depuis deux décennies – depuis la mort de Rabin – été dirigé par des gens qui idéologiquement parlant sont plus proches du mouvement religieux national Gush Emunim que de la base traditionnelle du parti.

« Je peux tracer une ligne directe reliant ces six mois [après le meurtre de Rabin] aux développements de l’époque actuelle en Israël », dit Rabinovich.
Comme l’écrit Rabinovich dans son dernier livre, dans la vision du monde de Gush Emunim – et dans la théologie de ses rabbins – la Terre d’Israël est supérieure à l’état d’Israël et aucun gouvernement israélien n’a l’autorité d’en abandonner une quelconque partie. Un gouvernement désireux de le faire est, selon la définition du Gush Emunim, illégitime.
En 1976, se rappelle Rabinovich, Rabin avait exprimé son mépris pour le mouvement politique radical pro-implantations. En marge d’une interview, il l’avait qualifié d’entité cancéreuse » au sein de la politique israélienne, et s’y était référé comme « l’une des menaces les plus graves planant sur l’état d’Israël ».
‘Rabin s’inquiétait en tant qu’homme d’état politique du mouvement messianique opérant en Cisjordanie et à Gaza’
Le dédain de Rabin avait deux origines, explique Rabinovich lorsque le sujet a fait son apparition dans la conversation.
“En premier lieu, Rabin s’inquiétait en tant qu’homme d’état et politique d’un mouvement messianique opérant en Cisjordanie et à Gaza. Et en particulier de son influence le long de la Ligne verte dans les strates israéliennes. [Rétrospectivement], cela paraît amplement justifié, au vu des développements actuels dans ce domaine ».
En second lieu, dit Rabinovich, « Rabin pensait qu’il devrait y avoir un compromis territorial sur la Cisjordanie – avec la Jordanie de préférence ».

« Rabin voulait qu’Israël reste dans le grand Jérusalem, dans la vallée de Jordanie mais pas en Samarie », dit Rabinovich. « Il pensait que la Samarie devait être cédée ».
« Bien sûr, Gush Emunim était déterminé à s’installer en Samarie, précisément afin d’empêcher la perspective d’un accord [de paix avec les arabes]. Et Rabin a commencé à s’exprimer avec un langage très fort à l’attention de Gush Emunim à l’époque sur la sûreté, l’avenir et la sécurité d’Israël », ajoute Rabinovich.

La Cisjordanie et la Bande de Gaza sont considérées par de nombreux Juifs de droite, en particulier par le mouvement Gush Emunim, comme la « grande Terre d’Israël historique ». Le débat sur la disposition de ces territoires n’a cessé de diviser la société israélienne au cours de ces 50 dernières années, estime Rabinovich.
En effet, souligne Rabinovich, il peut paraître ironique que cela a été Rabin — en tant que chef d’Etat major de l’armée israélienne, stratège militaire prépondérant et, par-dessus tout, architecte principal de la victoire d’Israël lors de la guerre des Six jours en 1967 – qui ait joué un rôle déterminant dans la conquête de ces territoires.
En fait, dit Rabinovich, comme de nombreux Israéliens, Rabin avait bien vu que l’euphorie initiale et le sentiment de fierté nationale à la suite de ces gains territoriaux avaient été rapidement entachés par une réalité douloureuse. Israël, avec ses nouvelles expansions – devenu trois fois plus large qu’à l’origine – était une épine dans le pied de l’état.

La conquête de la Cisjordanie en particulier avait ramené à la surface de la société israélienne des idées et des sentiments dormants depuis 1948. Cette vague messianique avait transformé certaines factions du sionisme religieux qui, d’ailes modérées du système politique israélien s’étaient métamorphosés en mouvements et partis nationalistes radicaux.
Et finalement, le Premier ministre aura payé de sa vie cette responsabilité politique.
« Le rôle de Rabin en 1967 l’a fait avancer [dans sa carrière] et dans une perspective à long-terme », explique Rabinovich. « Mais la guerre a placé le Sinaï, le plateau du Golan et la Cisjordanie sous le contrôle d’Israël. »
“Rabin pensait à l’origine qu’Israël devrait abandonner une partie de ces territoires. Je ne pense pas qu’il ait anticipé un retrait total. Mais il croyait dans un compromis territorial afin de consolider la résistance d’Israël », dit-il. « Toutefois, cela serait erroné de faire une distinction entre juin 1967 et les Accords d’Oslo en 1993 », ajoute Rabinovich.
« Mais Rabin n’a jamais été un soutien de l’idée prônée par le mouvement de la Terre d’Israël : S’en tenir à chaque centimètre de ce qui avait été capturé en 1967. Il a toujours cru en un compromis au nom de la réalisation de la paix ou tout du moins, d’un accord diplomatique », dit-il.
Le nouveau livre de Rabinovich rappelle les moments clés qui ont mené à l’assassinat de Rabin. Dans le chapitre final, Rabinovich passe un temps considérable à fustiger Netanyahu, disant que le Premier ministre répugne à se distancer de ceux qui, dans la droite radicale, avaient incité à la haine, entraînant l’assassinat de Rabin.
A la suite de la signature des accords d’Oslo en 1993, Rabin était continuellement accusé par ses adversaires politiques de trahison en raison de ses négociations avec les Palestiniens. Les accusations et les surnoms qui lui étaient donnés étaient largement répandus et variés à l’époque, se souvient Rabinovich.
Il cite par exemple comment Rabin a pu être dépeint sur certaines affiches publiques. Des phrases comme « Holocauste, Judenrat, et officier SS » – ou des insultes vicieuses multiples – étaient déversées à loisir à son sujet par les leaders de droite.

Dans son livre, Rabinovich évoque également un incident survenu en mars 2014, à proximité de la ville de Raanana, au nord de Tel Aviv, où une marche de protestation avait été organisée par l’association extrémiste Kahane Chai. Le groupe militant israélien radical prône l’expulsion des arabes de la Terre biblique en Israël. Netanyahu avait été aperçu devant la manifestation de Kahane Chai, avec derrière lui un cercueil avec les mots « Rabin cause la mort du sionisme » (dans le livre, Rabinovich traduit l’inscription en « assassin du sionisme ».)
Puis, le 5 octobre 1995, le jour du vote de la Knesset sur Oslo II, les dirigeants du Likud avaient organisé un rassemblement de masse – 100 000 personnes – sur la place Sion de Jérusalem. Le rassemblement avait tourné à l’émeute et la foule avait entonné « mort à Rabin », dit Rabinovich. En échouant à réfréner ses troupes, affirme-t-il, Netanyahu a épousé en des termes on ne peut plus clairs leur euphorie extatique, violente et messianique.
‘A l’époque, les incitations de Netanyahu avaient franchi les limites’
« A l’époque, les incitations de Netanyahu avaient franchi les limites », ajoute Rabinovich. « Si vous voulez établir des comparaisons avec aujourd’hui, imaginez par exemple le centre-gauche en Israël organiser des manifestations appelant Netanyahu traître, portant un cercueil et ainsi de suite ».
« Netanyahu était resté sur le balcon à Jérusalem lors de cette manifestation lorsque d’autres, comme David Levy, s’étaient éloignés. Parce qu’ils ne pouvaient encourager la foule. Netanyahu, quant à lui, est resté », poursuit Rabinovich.

L’auteur – un ancien diplomate, historien, et poiticien avoué – conclut notre conversation sur Rabin en attirant notre attention sur les mauvaises interprétations de certains Israéliens des croyances idéologiques du leader.
Tandis que certains à la droite de l’échiquier israélien ont souvent estimé que Rabin était une personnalité trop douce, d’autres sur la gauche – à tort, selon Rabinovich – se réfèrent au Premier ministre disparu comme à un « pacifiste ».
« Rabin n’était pas un homme de gauche », affirme clairement Rabinovich. « Pas plus qu’il n’était un conciliateur ».

« Mais il pensait qu’afin de sécuriser l’existence d’Israël, il devait parvenir à un accord avec ses voisins immédiats. En particulier les Syriens et les Palestiniens. Et il pensait que les vrais dangers pour Israël se trouvaient à l’est : en Iran et en Irak », explique-t-il.
Stratégiquement parlant, Rabin pensait que le pays devait consolider sa position dans son environnement immédiat pour contenir la menace existentielle de l’est, dit Rabinovich.
« Je ne pense pas que Rabin croyait qu’Israël pourrait un jour vivre en paix, comme disons, la Scandinavie », conclut Rabinovich. « Mais il voulait qu’Israël soit un état fini. Actuellement, Israël n’a pas de frontières [fixes]. Et Rabin voulait terminer la tâche de la construction d’un état avec des frontières, et profiter d’une légitimité internationale ».
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