Prières à Ryad : Leçons pour Netanyahu d’un petit office de prière extraordinaire
Un oui prudent à Ben Salmane pour la paix avec l'Arabie Saoudite ; un non catégorique à Ben Gvir qui encourage les divisions internes, la haine et l'effusion de sang
David est le fondateur et le rédacteur en chef du Times of Israel. Il était auparavant rédacteur en chef du Jerusalem Post et du Jerusalem Report. Il est l’auteur de « Un peu trop près de Dieu : les frissons et la panique d’une vie en Israël » (2000) et « Nature morte avec les poseurs de bombes : Israël à l’ère du terrorisme » (2004).
Les membres de la délégation officielle du gouvernement israélien actuellement en visite en Arabie saoudite ont tenu des prières matinales dans leur hôtel à Ryad, a rapporté mardi le Times of Israel. Ils ont lu le texte des jours intermédiaires de Souccot à partir d’un rouleau de la Torah dédié au roi et au prince héritier saoudiens.
… Qu’avez-vous dit ? Sérieusement ?
Une délégation officielle du gouvernement israélien s’est rendue en Arabie Saoudite ? Ils ont prié avec un minyan dans un hôtel de Ryad ? Ouvertement ? Ils le racontent au monde entier ? Ils ont lu d’un Sefer Torah (une bible) dont la couverture porte l’inscription « Jewish Congregation – Kingdom of Saudi Arabia » [Congrégation juive – Royaume d’Arabie Saoudite] en anglais et en arabe, avec une dédicace en hébreu au souverain, à son fils « et à tous leurs ministres et conseillers » ?
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Il y a quinze jours, à New York, le président américain Joe Biden plaisantait avec le Premier ministre Benjamin Netanyahu en lui disant qu’il y a dix ans, ce n’était que dans un état d’ébriété qu’ils auraient pu « parler de normalisation avec l’Arabie saoudite ».
Et pourtant, nous en sommes là, avec des ministres qui effectuent des visites officielles sans précédent – la délégation actuelle dirigée par le ministre des Communications Shlomo Karhi est la deuxième à effectuer un tel voyage en l’espace d’une semaine – et qui sont accueillis de la façon la plus ‘normalisée’ que l’on puisse imaginer.
Des représentants officiels du gouvernement israélien sont en visite dans un pays qui ne reconnaît pas la souveraineté israélienne, un pays connu à ce jour pour sa promotion et son exportation de l’islam radical. Ces représentants ont prié religieusement en hébreu, avec l’aval de l’Arabie Saoudite, comme l’a assuré le porte-parole de Karhi au Times of Israel, et ils ont même été autorisés à faire venir à l’hôtel plusieurs juifs vivant en Arabie Saoudite pour compléter le minyan. La prière, qui s’est déroulée à l’abri des regards, a tout de même eu lieu dans un pays qui interdit la pratique publique de toute autre religion que l’islam.
Le jour de la rencontre entre Netanyahu et Biden, le prince héritier Mohammed ben Salmane avait déclaré dans une interview à la télévision américaine que les deux pays se rapprochaient « chaque jour » de la normalisation de leurs relations. Netanyahu avait affirmé deux jours plus tard à l’Assemblée générale de l’ONU qu’il était « à deux doigts » d’une paix historique qui aurait des implications transformatrices pour les relations dans la région et entre les religions.
Le minyan israélien à Ryad – à la fois banal et absolument extraordinaire – donne un aperçu glorieux de la manière dont les choses pourraient évoluer.
Et pourtant…
Nous ne sommes pas les seuls concernés
Malgré la volonté manifeste des trois parties – les États-Unis, Israël et l’Arabie saoudite – il est impossible de savoir comment, quand et même si cette initiative portera ses fruits.
Malgré notre focalisation compréhensible sur l’aspect bilatéral israélo-saoudien, l’image globale est celle d’une administration Biden cherchant à rabibocher ses relations avec les Saoudiens, des relations teintées d’intérêts pétroliers, de craintes vis-à-vis de la Chine, du besoin de stabilité au Moyen-Orient et de bien d’autres facteurs, sans garantie que le processus se déroulera sans heurts dans le pays.
La vue d’ensemble révèle un leadership saoudien dynamique qui pousse à la transformation sociale, religieuse et économique, en essayant de s’éloigner de la dépendance absolue vis-à-vis des revenus pétroliers, en offrant un mode de vie de plus en plus libéralisé à sa population jeune et en croissance rapide et, aspect crucial pour nous, en essayant de persuader ses partenaires économiques et militaires potentiels, à l’international, que l’Arabie saoudite n’est plus le royaume interdit, mais un environnement fiable, stable, tolérant et accueillant.
Pour MBS, il s’agit d’un exercice d’équilibre complexe digne d’un funambule : superviser des changements radicaux dans le pays, avec un risque réel de résistance cléricale ; éviter toute détérioration aux conséquences dévastatrices face à l’Iran ; donner l’impression, à tout le moins, de ne pas renoncer à la cause palestinienne.
Cet exercice suppose également de bien réfléchir au timing de cette initiative : vaut-il mieux agir maintenant, avec un président américain jusqu’à récemment ouvertement hostile à Ryad, ou serait-il préférable d’attendre une autre administration, potentiellement plus conciliante, même si elle risque d’avoir encore plus de mal que Biden à faire approuver son projet par le Sénat ?
Mais si ce revirement devait se concrétiser, le réchauffement des relations avec le christianisme et le judaïsme serait un catalyseur extrêmement utile – et comment mieux le prouver qu’en normalisant les liens avec l’État juif le plus important du monde ?
Netanyahu, estime de son côté – comme il l’a clairement indiqué lors de son intervention à l’Assemblée générale (AG) des Nations unies (ONU) – que cette étonnante opportunité saoudienne est une nouvelle confirmation, attestée pour la première fois par les accords d’Abraham, que la portée des accords de paix avec Israël peut être élargie sans passer par une résolution préalable du conflit israélo-palestinien.
Ben Salmane a clairement indiqué dans son interview qu’il chercherait à conclure un accord avec le responsable israélien, quel qu’il soit. Du point de vue de Netanyahu, si un tel accord était finalisé et, qui plus est, par lui, il serait éternellement reconnu, pour cet héritage partiel et potentiellement exceptionnel, comme l’homme de paix inégalé d’Israël dans la région.
Il a aussi encore affirmé, lors d’une interview télévisée aux Etats-Unis il y a quinze jours, que si des obstacles – tels que ceux liés à la volonté des Saoudiens de mettre en place un programme nucléaire civil – peuvent être surmontés et qu’un accord peut être trouvé, « j’entraînerai ma coalition, et le pays avec elle ».
Cette première affirmation est extrêmement discutable, surtout si elle dépend de concessions substantielles aux Palestiniens. La seconde est indéniable.
Et pourtant…
Stop. Rechercher consensus. Virer les semeurs de haine
Alors que le Premier ministre passe cette semaine des vacances de Souccot à Neve Ativ, sur les hauteurs du Golan, avant que la Knesset ne reprenne sa session d’hiver le 15 octobre, tous les Israéliens sionistes et patriotes devraient souhaiter que ses rêves de faire entrer Israël dans une nouvelle ère glorieuse de partenariats régionaux soient contrebalancés par des cauchemars sur le climat intérieur, un climat chargé de cette haine dont il est le principal responsable.
Il y a neuf mois, il a permis au ministre de la Justice, Yariv Levin, de déclarer la guerre à la démocratie israélienne, en dévoilant une législation, que Netanyahu n’a pas abandonnée, grâce à laquelle le système judiciaire israélien serait soumis, d’une manière ou d’une autre, à la volonté de la majorité élue. En conséquence de cette menace permanente pour le système de gouvernance israélien et, par extension, pour les droits les plus fondamentaux – ces droits que nos juges, et uniquement nos juges, protègent des abus des politiciens – des masses de citoyens israéliens continuent de s’élever en signe de protestation.
Depuis neuf mois, les fossés se creusent et s’étendent – exacerbés par les politiciens haineux que Netanyahu a habilités, Itamar Ben Gvir à leur tête, qui attisent sans surprise la haine : entre Juifs et Arabes, Juifs et Chrétiens, Juifs et Juifs.
En Terre Sainte, les meurtres dans les communautés arabes et juives se multiplient ; les chrétiens se font cracher dessus… par des Juifs, encouragés par Ben Gvir et ses acolytes. Un meurtrier juif condamné pour l’assassinat d’une famille palestinienne est défendu comme étant un « saint homme vertueux ». Yom Kippour est souillé par la politique, la coercition religieuse et la peur de la coercition politique. Un grand rabbin – un individu dont le salaire est payé par les citoyens d’Israël – n’a de cesse de revenir à la charge pour dénigrer ceux qui ne partagent pas son approche de notre foi.
Semaine après semaine, voire jour après jour, les divisions internes se creusent. Et très bientôt, Netanyahu et ses collègues de la coalition retourneront à la Knesset pour reprendre les hostilités. Les ultra-orthodoxes exigeront l’adoption de la loi exemptant leurs jeunes hommes du service militaire ou national, Netanyahu continuera à vouloir imposer une réforme judiciaire dont il avait caché l’existence à ses électeurs l’année dernière, tout en projetant sa récente faiblesse inhabituelle malgré la situation économique difficile, les frictions au sein de l’armée, et une fracture bien réelle au sein de notre société.
L’existence même de ce pays, sa survie, sa croissance, les innovations dont il a été le pionnier et qu’il a apportées au monde, sont autant d’éléments qui constituent un quasi-miracle. Mais sa raison d’être reste fondamentale, la sécurité et le bien-être de sa propre population, ainsi que celui des Juifs du monde entier. Nous ne saurions laisser Israël se déchirer.
Ben Salmane, oui ; Ben Gvir, non
Comme l’a illustré ce petit mais extraordinaire service de prière juif à Ryad, Israël a aujourd’hui l’occasion de consolider sa présence dans la région, voire de la stabiliser. J’ai parlé précédemment du « legs partiel et potentiellement exceptionnel » de Netanyahu qui en résulterait. Mais ce ne sera le cas que s’il parvient à enrayer l’effondrement de l’unité nationale, et qu’il parvient à faire prévaloir la détermination et le respect mutuel.
Pour sauver notre résilience intérieure, il faut stopper ce projet de refonte judiciaire controversé et divisif qui est à l’ordre du jour de la coalition pour les mois à venir, et non pas le faire avancer. Un consensus laborieux et durable est nécessaire pour tout changement substantiel dans la manière dont Israël est gouverné et dans la manière dont les charges, les responsabilités et les ressources nationales sont partagées.
Il est inutile de préciser que les ministres déterminés à transformer Israël en une entité raciste et suprématiste juive doivent être chassés des postes clés – parce qu’ils sont anathèmes pour tous les Israéliens sains d’esprit, parce qu’ils attisent l’extrémisme, parce qu’ils nous font honte aux yeux du monde et parce qu’ils n’auraient jamais dû, bien entendu, être intégrés dans le courant politique dominant.
Netanyahu ne pourra pas faire tout cela et, pour le paraphraser, porter sa coalition. Et c’est tant mieux. Cela lui permettrait de ramener ce pays – ou du moins de commencer à le faire – à une éthique de consensus et de tolérance relatifs.
A-t-il vraiment besoin d’une leçon donnée dans l’un des endroits les plus improbables, une chambre d’hôtel à Ryad, en Arabie Saoudite, pour lui rappeler cette obligation primordiale à l’égard d’Israël ?
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David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel