Tel Aviv sera-t-elle enfin représentée à la Knesset ?
Le fossé Jérusalem-Tel Aviv se réifie sur les listes électorales, alors que l’idéologie droitiste de Gideon Saar contribue à faire éclater le mythe de la bulle de la ville blanche

En mars 2020, seulement huit partis – un record minimum – ont été élus à la Knesset. En mars 2021, il est probable que davantage de formations y entrent, mais il semble que seules deux villes laisseront une marque démesurée sur la composition idéologique des factions : Jérusalem et Tel Aviv.
Il y a toujours eu une certaine tension entre les deux plus grandes villes du pays : la Jérusalem conservatrice, chargée du poids de son importance spirituelle et politique, et sa cousine progressiste, plus riche et beaucoup plus insouciante, Tel Aviv, centre économique et culturel du pays.
Alors que les listes de partis ont été finalisées et enregistrées jeudi soir, ces tensions entre villes s’entrelacent jusque dans les listes de candidats.
L’ancien maire de Jérusalem, Nir Barkat, impliqué dans la politique nationale depuis deux ans, se présentera pour sa quatrième élection sur la liste du Likud, où il figure assez haut : à la 7e place.
Mais il est loin d’être le seul ancien élève de Kikar Safra, dont certains font campagne pour intégrer la Knesset pour la première fois.

La maire adjointe de Jérusalem, Hagit Moshe, qui dirige HaBayit HaYehudi, a annoncé jeudi soir que son parti religieux de droite ne se présenterait pas seul aux élections, après avoir signé un accord de dernière minute avec Yamina de Naftali Bennett. Son parti d’extrême droite n’aurait probablement pas réussi à franchir seul le seuil électoral lui permettant d’entrer à la Knesset, mais les efforts du Premier ministre Benjamin Netanyahu pour le faire rejoindre les rangs de la formation sioniste religieuse de Bezalel Smotrich, l’Union nationale, ont échoué.

Moshe a ainsi signé un accord pour que HaBayit HaYehudi se retire des élections et soutienne Yamina. Il a été décidé qu’elle deviendrait ministre de ce parti s’il rejoint la prochaine coalition.
Avraham Bezalel, autre maire adjoint de Jérusalem (la ville en compte sept), a été inscrit sur la liste des candidats du parti Shas. Alors que sa onzième place semble trop basse, au-delà des sept ou huit sièges que le parti devrait obtenir, ses espoirs de rejoindre la Knesset ne sont pas totalement vains grâce à la loi norvégienne (qui permet aux députés devenus ministres de quitter leurs sièges à la Knesset et de les remettre à des membres du parti qui n’ont pas élus initialement, donnant ainsi aux partis de la coalition une représentation supplémentaire). Bezalel sert à la mairie en tant que membre de la faction Shas depuis 2016.
Le parti de droite Tikva Hadasha de Gideon Saar comprend lui aussi deux anciens de la course à la mairie de Jérusalem en 2018 : Ofer Berkovitch et Zeev Elkin.

Berkovitch, dont les messages laïcs et libéraux l’ont conduit à affronter Moshe Lion au second tour (obtenant 49,15 % des voix contre 50,85 % pour Lion), a présidé la faction Hitorerut, le plus grand parti du conseil municipal.

Il apporte le penchant progressiste de Jérusalem au sein du parti de Saar, qui penche fortement vers la droite tout en essayant également de se positionner comme l’avant-garde du camp anti-Netanyahu.
À la 13e place sur la liste, Berkovitch est bien derrière le n°3 Zeev Elkin, ministre de longue date du Likud et candidat malheureux de la course à la mairie de Jérusalem en 2018.
Elkin a plaisanté mercredi sur leur rivalité passée, tweetant : « Bienvenue Ofer @oferberkovitch. Vraiment, nous aurions pu faire campagne ensemble à Jérusalem. Comme nous l’avons dit, Gideon Saar sait unir. »
La ville-liste
À environ 50 kilomètres plus loin, les Tel Avivim se sont également frayés un chemin sur les listes, principalement avec des partis à l’inclinaison plutôt centre-gauche, qui correspond à l’atmosphère de la ville.
La dirigeante travailliste fraîchement élue Merav Michaeli est originaire de Tel Aviv, et la ville coule dans ses veines. Jusqu’à jeudi après-midi, elle a tenu le sort de l’actuel maire, Ron Huldai, entre ses mains.
Huldai a dirigé la ville au cours des 22 dernières années, supervisant sa renaissance économique et sa popularité en la conservant comme bastion du libéralisme laïc. Mais son saut dans le grand bain de la politique nationale ressemble à une montagne russe. Alors que les sondages ont initialement avancé qu’il entrerait facilement à la Knesset, le soutien à son parti national a chuté considérablement alors que le Parti travailliste a été renforcé par sa nouvelle chef.

Les vives négociations entre Michaeli et Huldai visant à fusionner leurs partis pour une course conjointe ont échoué jeudi, laissant à Huldai deux possibilités : celle d’essayer de se présenter seul et de voler quelques voix au camp de centre-gauche, sans aucune chance réelle d’entrer à la
Knesset ; ou celle d’avaler sa fierté et d’abandonner. Il a finalement opté pour cette seconde option vers 18h jeudi.
S’il était resté dans la course, il aurait à nouveau affronté Nitzan Horowitz, leader du parti de gauche Meretz. En 2013, quatre ans après son entrée à la Knesset, Horowitz était allé à contre-courant et s’était porté candidat à la mairie contre Huldai. Il avait échoué, bien qu’il eut décroché près de 40 % des voix.
Horowitz et la députée Meretz Tamar Zandberg vivent tous deux à proximité de la place Rabin, le cœur battant de la vie civique dans la ville.

Dans le nord de la ville, dans la partie plus huppée, vit le chef de Yesh Atid, Yair Lapid. Le quartier est devenu synonyme d’élite laïque et libérale restant fidèle à ce qu’elle est, et Lapid, champion de la laïcité, est considéré comme le candidat de choix parmi de nombreux bourgeois de la ville et de sa périphérie.
À l’heure actuelle, les sondages placent Yesh Atid au sommet du prétendu camp anti-Netanyahu, mais sur ce front, Lapid est confronté à un autre Tel Avivi qui ne correspond pas au moule supposé de la ville.
L’éclatement des bulles
Gideon Saar vit peut-être à Tel Aviv, mais son idéologie semble ancré dans la pierre de Jérusalem. Ancien DJ et membre et ministre de longue date du Likud, Saar s’est toujours démarqué à certains égards. Depuis son retour en politique il y a deux ans, il est devenu le visage de l’aile anti-Netanyahu au sein du Likud. Et depuis qu’il a été conduit vers la porte du parti, il représente maintenant un grand espoir pour ceux de l’extérieur qui veulent détrôner le Premier ministre.
Saar lui-même suit de près les stéréotypes de sa ville : il est socialement progressiste, laïc, enclin aux affaires et marié à une représentante de l’élite médiatique (sa femme, Geula Even-Saar, était présentatrice de Kan jusqu’au retour politique de son mari).

Politiquement, cependant, il reste un conservateur de droite, encore plus à droite que beaucoup au Likud (plus que Netanyahu). Certains pensent que sa double personnalité pourrait apporter une bouffée d’air frais sur une scène politique devenue obsolète après quatre campagnes électorales.
À certains égards, l’écart entre le lieu de résidence de Saar et son idéologie dément le mythe qu’est la bulle de Tel Aviv, cette idée que la ville est politiquement et culturellement coupée du reste du pays.
Pendant des années, certains ont tenté de montrer que le fait que Tel Aviv était sous-représenté à la Knesset et au cabinet ministériel était une preuve que la ville était déconnectée du débat politique national.
Bien sûr, Tel Aviv est parfois entré dans la cour des grands, mais c’est Jérusalem qui a dirigé ces derniers temps le spectacle. Ehud Barak, qui a démissionné de ses fonctions de ministre de la Défense en 2013, a été le dernier résident de Tel Aviv à occuper l’un des trois postes ministériels les plus importants.

Au cours de ces cinq dernières années, les progressistes de Tel Aviv ont vu les gouvernements religieux de droite successifs réduire des années de percées libérales et laïques tout en élargissant l’hégémonie religieuse, ce qui a entraîné une certaine frustration.

Par le passé, les Tel Avivim pouvaient limiter leurs manifestations à Tel Aviv. Mais chaque samedi soir depuis des mois, des milliers de manifestants ont fait le trajet de Tel Aviv à Jérusalem pour protester contre Netanyahu devant sa résidence officielle, dans la capitale.
Par le passé, seuls les habitants de Jérusalem manifestaient à Jérusalem (le fait que Jérusalem ne dispose pas d’un grand espace sans voitures comme la place Rabin a probablement aidé au maintien des manifestations à Tel Aviv), mais la bulle, s’il y en a jamais eu une, a éclaté.
Même si Netanyahu s’accroche à son siège de Premier ministre, rester au pouvoir nécessiterait presque certainement d’amener Tel Aviv dans son giron. Et s’il ne le fait pas, Israël pourrait connaître son premier Premier ministre originaire de Tel Aviv depuis que Barak a battu Netanyahu en 1999.
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