Turquie : des milliers de prisonniers d’opinion languissent dans les prisons turques
Des dizaines de milliers d’opposants de toutes les strates de la société turque, limogés, emprisonnés ou forcés à l'exil depuis qu’Erdogan, réélu dimanche, est à la tête du pays
Opposants, officiers, magistrats, intellectuels, universitaires ou artistes ont été limogés, emprisonnés ou forcés à l’exil par dizaines de milliers depuis que Recep Tayyip Erdogan, réélu dimanche, gouverne la Turquie.
Cette répression, dénoncée par des organisations de défense des droits humains et d’avocats, a été engagée après la vague de protestation de « Gezi », partie d’Istanbul en mai 2013, et s’est encore durcie après la sanglante et spectaculaire tentative de putsch de 2016.
A aucun moment durant sa campagne ou après sa victoire, M. Erdogan n’a suggéré une amnistie en leur faveur.
Voici quelques figures dont les soutiens demandent la libération.
Osman Kavala et Gezi
Osman Kavala, philanthrope de 65 ans, est emprisonné depuis 2017 et a été condamné à vie.
La Cour européenne des droits de l’homme avait estimé en 2019 que l’arrestation de cet éditeur et homme d’affaires avait pour objectif de « le réduire au silence » et de « dissuader d’autres défenseurs des droits de l’Homme ».
Osman Kavala a vu sa condamnation confirmée en appel en décembre 2022, accusé d’avoir « tenté de renverser le gouvernement » de M. Erdogan et d’avoir financé le « mouvement de Gezi » – du nom d’un parc urbain d’Istanbul promis à la démolition – qui s’est répandu dans tout le pays.
Les juges ont également maintenu les peines de 18 ans de détention infligées fin avril en première instance à ses sept co-accusés. Parmi eux Tayfun Kahraman, urbaniste à la mairie d’Istanbul et de nombreux architectes.
La productrice Cigdem Mater, le chercheur Hakan Altinay ou bien encore de l’avocat Can Atalay, qui vient d’être élu député depuis sa prison – et pourrait ainsi retrouver prochainement sa liberté – ont aussi été condamnés après Gezi.
Selahattin Demirtas et opposants
Le pouvoir avait ouvert dans les années 2000 des pourparlers en vue d’un accord de paix avec le Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK). Après leur échec en 2015, le conflit armé a repris et la répression aussi.
Figure de proue du principal parti pro-kurde de Turquie, le HDP, Selahattin Demirtas est incarcéré depuis fin 2016 pour « propagande terroriste ».
Il est accusé de plusieurs dizaines de crimes et délits dont celui d’insulte au président et d’être lié au PKK, classé comme organisation « terroriste » par Ankara et ses alliés occidentaux. Demirtas risque jusqu’à 142 ans de prison.
Il a toujours nié ces accusations et le Conseil de l’Europe a régulièrement réclamé sa libération, conformément à un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme.
Le HDP demande aussi la libération de Gulten Kisanak et de Selcuk Mizrakli, tous deux anciens maires de Diyarbakir (sud-est) et celle de Figen, ancienne co-présidente du HDP.
Un autre opposant de taille, le maire d’Istanbul Ekrem Imamoglu qu’il a arrachée à l’AKP du président en 2019, vu comme un rival potentiel pour la présidence. En décembre 2022, il a été condamné à deux ans et sept mois de prison ainsi qu’à la privation de ses droits politiques pour « insulte » aux membres du collège électoral. Il a fait appel. Mais cette condamnation l’a privé de candidature.
Ecrivains, journalistes et universitaires
Les détracteurs du chef de l’Etat s’inquiètent du devenir des libertés d’expression et de la presse, déjà restreintes.
Le délit « d’insulte au président » a été fréquemment utilisé – 16.753 inculpations en 2022 -, pour étouffer les voix critiques et une loi sur la désinformation adoptée l’an passé.
Selon l’organisation Reporters sans Frontières, 38 journalistes sont derrière les barreaux et des dizaines ont dû partir à l’étranger, comme Can Dündar.
Cet ancien rédacteur en chef du quotidien de centre-gauche Cumhuriyet, basé en Allemagne depuis 2016, a été emprisonné en Turquie en novembre 2015 pour un reportage sur des livraisons d’armes par Ankara à des groupes jihadistes en Syrie. Fin 2020, il a été condamné en Turquie par contumace à 27 ans et 6 mois de prison.
Plus d’un millier d’universitaires ont également été ciblés par la purge en 2016 pour avoir signé une pétition pour la paix, qui dénonçait la reprise du conflit entre Ankara et le PKK.