250 photographes du monde captent le regard des derniers survivants de la Shoah
Les photojournalistes Rina Castelnuovo et Jim Hollander ont demandé à leurs confrères du monde entier de participer au Projet Lonka, exposé aux Nations unies
Lorsque la mère de Rina Castelnuovo est décédée l’été dernier, la photographe israélienne qui a passé des décennies à réaliser des reportages pour le New York Times s’est retrouvée à porter le poids du passé de la Shoah de celle-ci.
« J’ai fui cela toute ma vie », rapporte la photographe, dont les parents avaient survécu à la Shoah qui parlaient rarement de leur histoire tragique. « J’ai été élevée dans une maison silencieuse. Je savais ce qu’était une baraque et ce qu’était un nazi, mais quand ma mère est décédée, du jour au lendemain, la responsabilité du passé nous a été transférée. »
Pour elle et son mari, le photojournaliste Jim Hollander – un Américain venu en Israël pour couvrir la première guerre du Liban en 1983, et n’en est jamais reparti après avoir rencontré celle qui est devenue sa femme – la réaction a été la création du Projet Lonka, du nom de sa mère, Elenora « Lonka » Nass.
« Nous nous sommes demandés ce que nous pouvions faire pour aider les survivants de la Shoah afin que leurs histoires ne finissent pas dans la poussière », a-t-il expliqué.
Ils voulaient faire quelque chose de visuel qui attirerait un public plus jeune.
Ils se sont tournés vers leurs collègues photographes et ont sollicité leurs contacts dans le monde entier. Ils leur ont demandé de rencontrer et de prendre le portrait d’un survivant de la Shoah.
« On leur a tous demandé de faire la même chose, mais sans aucune indication de notre part », explique Jim Hollander. « Apprenez à connaître le survivant et prenez ensuite son portrait. Comme vous le souhaitez. Cela peut être avec un grand appareil photo, avec un iPhone, et c’est ce qui rend l’exposition si fascinante ».
À ce jour, plus de 250 photographes ont photographié des survivants dans plus de 25 pays. Rina Castelnuovo estime que le projet va se poursuivre pendant un certain temps.
Lancé l’année dernière par le couple de photographes, celui-ci s’est transformé en une exposition de deux semaines aux Nations unies pour marquer le 75e anniversaire de la libération du camp de la mort nazi d’Auschwitz, et peut être projeté sous forme de vidéo en Israël, en Allemagne et en Bosnie-Herzégovine.
Jim Hollander espère présenter l’exposition à Jérusalem ou à Tel-Aviv à la fin du mois d’avril, lorsqu’Israël marquera sa propre Journée de commémoration de la Shoah.
« L’exposition est diverse et variée et en quelque sorte édifiante », a-t-il déclaré, en évoquant la collection de 92 photographies exposées à l’ONU. « Nous avons demandé aux photographes de ne pas prendre de photos de visages, mais de prendre une photo qui représente leur esprit de vie, de montrer plus qu’une simple photo d’un visage ».
Lorsqu’ils ont commencé à contacter leurs collègues photographes sur le terrain, tout le monde a voulu participer, et chacun a fait venir quelqu’un d’autre.
Pour certains d’entre eux, comme Anna Patricia Kahn, une photojournaliste qui représente les photographes de l’agence Magnum Photos, le projet lui a permis d’établir un lien avec sa propre histoire de fille de rescapés.
« Je pense que cela a à voir avec le support photographique », commente-t-elle. « Il s’agit de s’assurer que vous avez su capturer quelque chose de vraiment important et réussi à le transmettre à d’autres personnes. C’est l’essence même de ce moment ».
Elle a également parlé du ralliement au projet de tant de photographes, de tous horizons, et de la façon dont chacun a automatiquement accepté le projet, sachant que les survivants allaient bientôt disparaître.
« Tous les survivants de la Shoah sont comme mes parents, et ils sont âgés », indique Anna Patricia Kahn, dont la mère a été dans un camp de concentration à l’âge de sept ans, et dont le père a été caché des nazis.
Il n’y a pas une seule personne qui n’ait pas dit « oui, c’est un honneur, je vais le faire », assure-t-elle.
Le photographe Harry Benson, âgé de 90 ans, a passé 15 minutes en Floride avec Aron Bielski, 92 ans, le plus jeune des quatre frères Bielski. Les frères et sœurs ont formé leur propre groupe de partisans pendant la guerre qui a été dépeint dans le film « Les insurgés » de 2008.
Il explique qu’il ne savait pas grand-chose d’Aron Bielski avant de le rencontrer.
« Cela ne vous apporte rien de connaître les gens avant d’être avec eux », estime-t-il. « Je veux me rapprocher le plus possible d’une personne et ensuite m’en aller. »
Harry Benson est un photographe de presse renommé, qui a travaillé pour Life Magazine, Vanity Fair, le London Daily Express, couvert deux guerres en Israël et photographié les 12 derniers présidents américains.
« J’ai déjà photographié des gens comme lui, des survivants », précise-t-il. « Ils n’étaient pas tout à fait comme lui. Il était très bien, mais il se comportait comme quelqu’un qui est sur les nerfs. Je ne suis pas sûr qu’il voulait être photographié, mais tout le monde aime les moments de gloire ».
Le photographe Ed Kashi, connu pour ses reportages sur les questions sociopolitiques et qui a photographié le survivant Moshe Avital, a déclaré que c’était la première fois qu’ « expliquer » était sa mission.
L’homme de 92 ans résidant à Long Island, New York, devait être soumis à des expériences médicales par Josef Mengele, mais il a été arbitrairement épargné, tandis que le reste de sa famille a été envoyé dans les chambres à gaz.
« Quand on pense que cet humain a été sorti d’une file d’attente par Mengele lui-même, cela fait dresser les cheveux sur la tête », commente Ed Kashi. « C’est un de ces moments où vous vous pincez pour penser que vous allez rencontrer des gens comme ça et en apprendre un peu plus sur eux. »
Il explique qu’il s’est mis à réfléchir à l’importance de faire connaître l’histoire de Moshe Avital et des autres.
« Je suis presque trop bien assimilé en Amérique, j’ai presque effacé mes liens avec le passé, mais je reconnais aussi combien il est important de garder ce genre d’histoires vivantes », indique Ed Kashi, qui est juif. « J’ai quitté cette séance photo et j’avais hâte de raconter aux gens, de partager avec eux l’histoire de cet homme incroyable que j’ai rencontré. »
Pour Castelnuovo, les histoires rappellent toutes celles qu’elle a connues de sa mère, qui, jeune adolescente de Cracovie, a été envoyée dans le ghetto, et a ensuite survécu à quatre camps de concentration différents après la mort de son père et de son frère. Le père de Castelnuovo a été caché pendant un an dans une cave avec ses parents, puis il a rejoint les partisans.
« Mes parents ne voulaient pas parler », confie la photographe.
Leurs amis étaient tous des survivants, avec des femmes qui couvraient les numéros tatoués en bleu sur leurs bras avec des manches longues en été.
« D’une certaine manière, on passe sa vie à fuir jusqu’à ce qu’on rattrape parfois », décrit-elle. « On grandit avec beaucoup d’empathie pour la souffrance des autres. Ma mère pleurait devant n’importe quoi ».
Son père a 94 ans. Sa mère a un an de plus, bien qu’elle ait toujours dit qu’elle avait 10 ans de moins.
Pour Jim Hollander, son lien avec la Shoah et les survivants est principalement dû à son mariage avec Castelnuovo, mais il se souvient très bien de sa toute première rencontre avec des survivants et de leurs bras tatoués de numéros bleus, dans les rues de Tel-Aviv lors de sa première visite dans le pays.
En observant les gens assis dans les cafés lors de ce premier voyage, il a remarqué combien étaient d’origine polonaise et allemande, assis ensemble, « parlant tranquillement pendant des heures ».
En restant en Israël, couvrant le conflit et les aléas de la vie israélienne, il a été surpris de voir que des gens qui avaient survécu à de telles horreurs se rendent en Israël et y refont leur vie, tranquillement, avec réserve.
Il a ajouté avoir eu l’idée du projet Lonka il y a environ 30 ans, mais le cycle implacable de l’information en Israël ne lui a jamais laissé le temps de le faire.
Maintenant qu’il a pris sa semi-retraite, il dispose de plus de temps pour y réfléchir, et il a été terrassé lorsque, en regardant les nouvelles l’hiver dernier, il a entendu que de nombreux jeunes Français ne savaient pas ce qu’était la Shoah, alors qu’ils vivaient dans un pays qui avait été occupé par les nazis.
« La plupart des photographes ont dit oui, mais comment trouver un survivant de la Shoah ? », explique Castelnuovo.
Ils ont été aidés par divers contacts, dont plusieurs organisations à but non lucratif qui disposent de listes de survivants. La plupart des rescapés ont répondu positivement, indique la photographe.
« Ils veulent tous faire passer leur message, ils appellent tous à l’empathie et à l’humanité, surtout cette année, en ce moment », rapporte-t-elle. « Il est important pour eux de le faire savoir au monde entier ».
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