À l’intérieur des bunkers de Nasrallah dans la banlieue de Dahiyeh, à Beyrouth
Depuis 2006, le chef du groupe terroriste chiite libanais du Hezbollah vivait vraisemblablement à l'intérieur du quartier de Dahiyeh
Vendredi, des avions de combat israéliens ont largué plus de 80 bombes sur le sud de Beyrouth dans le but de pénétrer dans le quartier général souterrain du groupe terroriste chiite libanais du Hezbollah et d’éliminer son chef, Hassan Nasrallah, ainsi que plus de 20 de ses opérateurs.
Six bâtiments ont été rasés lors de cette frappe de grande envergure – et d’une extrême précision -, qui, selon l’armée israélienne, a eu lieu à proximité d’une école gérée par les Nations unies.
Cette élimination marque le point culminant des efforts déployés par Israël depuis trente ans pour liquider le chef du groupe terroriste chiite. Nasrallah était à la tête du Hezbollah depuis 1992, mais il était devenu une cible insaisissable après la Deuxième Guerre du Liban de 2006, date à laquelle il est entré dans une clandestinité permanente.
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« Avant 2006, Nasrallah se déplaçait ouvertement à travers le Liban, prononçant des discours et organisant des réunions », a expliqué Eyal Zisser, un expert du Liban du département d’études du Moyen-Orient de l’Université de Tel Aviv.
Au cours de cette guerre, Israël a tenté de tuer Nasrallah à trois reprises, selon des sources citées par le Financial Times. Une frappe aérienne l’avait manqué, tandis que deux autres tentatives n’étaient pas parvenues à percer le bunker en béton armé où il se cachait.
Après ce conflit de 34 jours, les agences de renseignement israéliennes ont radicalement changé leur approche du groupe terroriste chiite et ont intensifié leurs efforts pour recueillir des renseignements de sources ouvertes et des signaux sur la structure de commandement et les éléments du Hezbollah. En conséquence, Nasrallah est devenu encore plus prudent, n’apparaissant que rarement en public, et se réfugiant de plus en plus dans des bunkers souterrains.
« Sa vie a radicalement changé », a déclaré Zisser au Times of Israel. « Au cours des 22 dernières années, il n’est apparu en public que quatre ou cinq fois. »
Il a ajouté que si l’on pensait que Nasrallah vivait essentiellement dans la clandestinité, ce n’était pas toujours le cas. « Certaines personnes qui l’ont rencontré ont déclaré que ce n’était pas toujours [dans] un bunker. Mais ils ont tous dit qu’on les empêchait de savoir où il se trouvait. Avant de le rencontrer, on leur bandait les yeux ou on les baladait en voiture dans Beyrouth. »
La dernière fois que Nasrallah a été en vue en public, c’était lors d’une visite rendue à sa mère mourante dans un hôpital de Beyrouth à la fin du mois de mai, filmée et diffusée quelques jours plus tard. Il n’assistera pas à son enterrement.
Bien que son personnage soit devenu emblématique, ornant les panneaux d’affichage des bastions du Hezbollah au Liban, Nasrallah ne s’est montré en public que lors de ses discours télévisés pré-enregistrés et fougueux, diffusés depuis des lieux tenus secrets dans un décor anodin, et suivis dans l’ensemble du monde arabe.
Sayyed Hassan Nasrallah goes to the hospital to say goodbye to his mother before she passes.
— Leo (@LeoBalistreri) May 29, 2024
De nombreuses personnes ont supposé qu’il se cachait à Dahiyeh, le bastion du Hezbollah dans le sud de Beyrouth, mais l’endroit exact où il se trouvait était étroitement surveillé.
« Nasrallah ne restait pas au même endroit », a expliqué le colonel, à la retraite, Shlomo Mofaz, directeur du Centre d’information sur le renseignement et le terrorisme Meïr Amit.
« Il avait plusieurs cachettes, toutes probablement à l’intérieur de Dahiyeh, qui fait partie d’un vaste réseau de bunkers souterrains. »
Les différents assassinats ciblés de hauts responsables du Hezbollah à Dahiyeh au cours des dernières semaines et des derniers mois, notamment les commandants Fouad Shokor et Ibrahim Aqil, ont prouvé sans équivoque que la banlieue abrite toujours les principaux dirigeants du groupe terroriste chiite libanais, comme en 2006, lorsque Tsahal avait fait sauter le quartier général du Hezbollah dans cette localité.
Hezbollahland, ou la terre du Hezbollah
Hanin Ghaddar, une universitaire libanaise du Washington Institute qui a grandi à Dahiyeh, a estimé – dans son livre Hezbollahland (« La terre du Hezbollah ») paru en 2022 – que la population de la banlieue chiite se situait entre 750 000 et un million d’habitants. Ce quartier est devenu au fil des dizaines d’années un bastion du Hezbollah au sein du Liban, ses habitants étant mis à distance du reste de la population.
« Très peu [d’étrangers] se sont en réalité rendus à Dahiyeh. C’est à dessein. Le Hezbollah a mis en œuvre une stratégie de dissimulation de Dahiyeh pendant des dizaines d’années. L’objectif est d’isoler la communauté chiite de Dahiyeh des autres communautés du Liban », souligne-t-elle dans son livre.
« Grâce aux services, à l’endoctrinement, à l’éducation et aux initiatives culturelles, le Hezbollah a fait en sorte que très peu de chiites soient exposés aux autres pratiques culturelles et sociales du Liban. En effet, beaucoup de ceux qui y résident n’ont pas besoin de se rendre ailleurs au Liban, sauf dans d’autres localités chiites du sud ou de la plaine de la Békaa, car la plupart des habitants de Dahiyeh sont originaires de ces zones rurales. »
Dans les parties de Dahiyeh contrôlées par le Hezbollah, comme à Haret Hreik, un district municipal mixte chrétien maronite et musulman chiite, l’accès est limité par des postes de contrôle sur la route.
« La sécurité est renforcée autour des lieux sensibles, en surface ou en sous-sol, où vivent ou travaillent des membres du Hezbollah », a déclaré Mofaz.
« Seules les personnes autorisées peuvent s’approcher de ces zones, et celles qui ne le sont pas sont arrêtées. C’est ce qui est arrivé à plusieurs journalistes étrangers dans le passé. »
Nasrallah a été éliminé en même temps que plusieurs hauts responsables du Hezbollah, dont le chef de son unité de sécurité personnelle, Ibrahim Hussein Jazini.
Être recruté comme garde du corps de Nasrallah était un poste prestigieux au sein du Hezbollah, qui nécessitait une sélection rigoureuse. Selon Mofaz, les gardes du corps étaient souvent triés sur le volet parmi les membres de leur famille en qui ils avaient confiance ou parmi les éléments les plus loyaux du Hezbollah, et ils étaient formés à la fois au Liban et dans les camps du Corps des Gardiens de la Révolution islamique (CGRI), le bras armé du régime iranien.
Un vide qui sera difficile à combler
La mort de Nasrallah laisse un vide important dans « l’axe de résistance » de l’Iran au Moyen-Orient.
« L’axe de la résistance », est le terme utilisé par les responsables iraniens pour désigner la République islamique et ses alliés anti-Israël, tels que le Hezbollah, les Houthis du Yémen et d’autres milices chiites en Irak et en Syrie.
« Nasrallah était la cheville ouvrière de l’axe de résistance iranien à sept fronts », a expliqué Mofaz.
« Le Hezbollah a été créé par les Gardiens de la Révolution iranienne pour exporter la révolution islamique de 1979 et la diriger contre le Grand Satan et le Petit Satan, c’est-à-dire l’Amérique et Israël. Ils ont fait du Hezbollah une arme stratégique qui serait activée au cas où l’Iran serait pris pour cible sur son territoire, en particulier au moment où il développait son programme nucléaire. »
Après l’assassinat en 2020 de Qassem Soleimani, le commandant de la Force Al-Qods, Nasrallah est devenu le dirigeant de l’axe régional le plus proche du guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei. Le successeur de Soleimani, Esmaïl Qaani, n’a pas le même poids.
Le défunt chef du Hezbollah exerçait également une plus grande influence régionale que le chef du groupe terroriste palestinien du Hamas, Yahya Sinwar, qui vit lui aussi sous terre dans le vaste réseau de tunnels sophistiqués de Gaza depuis le 7 octobre. Les similitudes entre les deux dirigeants s’arrêtent là, a estimé Mofaz.
« Le Hamas est une organisation locale. Elle n’a pas été fondée par l’Iran, mais plutôt adoptée par lui. Il est sunnite, et il y a eu divers désaccords entre ses responsables et les dirigeants iraniens au fil des ans », a-t-il déclaré.
« Le charisme de Nasrallah, son style d’élocution et son narcissisme le distinguent. »
Cette même arrogance a peut-être contribué à sa chute.
« Il prétendait bien connaître Israël, savoir lire les Israéliens », a rappelé Mofaz.
« Mais ce qui s’est passé la semaine dernière, comme en 2006, a prouvé qu’il avait tort. »
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