À l’occasion de ce triste anniversaire, le nouveau regard des Juifs sur la fête normalement joyeuse de Simhat Torah
Un an jour pour jour après le pire massacre de Juifs depuis la Shoah, les communautés se demandent comment vivre cette fête, en proie à des sentiments apparemment contradictoires
JTA – Pour de nombreux Juifs des États-Unis ou d’ailleurs dans le monde, Chemini Atséret et Simhat Torah sont désormais associés aux souvenirs de l’an dernier, aux appels téléphoniques affolés, aux conversations feutrées à la synagogue, aux larmes, aux embrassades et à la prise de conscience du nombre incommensurable de victimes et d’otages faits en Israël.
Aujourd’hui, ces mêmes communautés tentent de trouver le moyen de célébrer cette fête, un an plus tard.
« C’est d’abord une fête, un jour où il est interdit de dire des éloges funèbres ou de pleurer », rappelle le rabbin Leo Dee dans le Jewish Chronicle, en Grande-Bretagne. « Mais c’est aussi désormais l’anniversaire de l’attaque la plus tragique contre l’humanité depuis la Shoah. »
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Il poursuit en posant les questions qui préoccupent les rabbins et dirigeants juifs, dans les synagogues, partout dans le monde : « Est-il permis de danser ? De faire la fête ? Comment montrer notre respect pour les victimes ? »
Le 7 octobre 2023, des milliers de terroristes dirigés par le Hamas ont envahi le sud d’Israël et massacré plus de 1 200 hommes, femmes et enfants avec une extrême brutalité, commettant des atrocités et se livrant à des violences sexuelles à grande échelle. Les hommes armés ont enlevé 251 personnes, prises en otage dans la bande de Gaza, ce qui a déclenché la guerre – qui se poursuit – entre Israël et le Hamas.
Un an plus tard, le massacre et ses conséquences ont marqué de leur empreinte le calendrier juif – on a allumé les menorah sorties des décombres des communautés frontalières de Gaza, laissé une place pour les otages au seder de Pessah et, la semaine passée, décoré les souccot en rendant hommage aux otages de Gaza.
Le cas de la fête de Simhat Torah – qui marque la fin d’une année de lecture de la Torah et qui a commencé mercredi soir en Israël, jeudi soir partout ailleurs – est particulièrement épineux : en effet, la plupart des commémorations du massacre ont eu lieu le 7 octobre dernier, mais ce Simhat Torah est le premier anniversaire hébraïque de l’attaque – le yahrzeit.
Cette triste occasion est encore compliquée par la nature festive de cette journée, normalement faite de danses et de chants. C’est la seule et unique grande fête juive porteuse dans son nom du mot « joie ».
« Comment faire pour nous réjouir et faire la fête alors que le peuple juif a perdu tant d’otages, de soldats, de frères et sœurs, d’amis, alors que nous, en Israël, avons trop fait shiva ? », peut-on lire dans un guide pour Simhat Torah, cette année, publié par Hadar, l’institut d’éducation juive égalitaire.
« Est-il permis de danser avec des rouleaux de Torah qui portent désormais dans leurs ornements le nom de nos proches assassinés ? »
Les synagogues et communautés des États-Unis, d’Israël et d’ailleurs ont trouvé des réponses qui, espèrent-elles, feront la part belle à la joie qu’implique cette journée mais aussi à sa tonalité lugubre, cette année.
Nombreuses sont les communautés à avoir pris le parti de s’en tenir au rituel de base de Simhat Torah, les hakafot, ces sept danses circulaires autour de la Torah. Cette année, certaines synagogues consacreront l’une des sept danses à la commémoration de cette tragique journée.
« De nombreux rabbins envisagent de faire que l’une de ces danses soit plus calme, voire totalement silencieuse, de façon à rendre hommage à ceux qui sont morts ou ont été enlevés », explique le rabbin Mike Uram, responsable de l’apprentissage juif au sein des Jewish Federations of Northern America.
« Un grand nombre de Juifs d’Amérique du Nord ont des liens personnels et familiaux profonds avec des personnes tuées le 7 octobre ou lors de la guerre », poursuit Uram. « Il va donc y avoir beaucoup de tristesse lorsque le souvenir de ces êtres chers et de ces membres de la famille va leur revenir. »
Dans le guide Hadar, Renana Ravitsky Pilzer, chercheuse à l’Institut Shalom Hartman, suggère de dédier chacun des sept hakafot à un thème précis – et de faire que le tout premier soit totalement silencieux, afin de laisser la place aux émotions complexes et antagonistes que ne manquera pas de soulever cette journée.
« Servons nous-en pour expliquer, pour protester, pour exprimer notre choc, pour pleurer, pour formuler notre capacité ou, au contraire, notre incapacité à accepter les contradictions », ajoute-t-elle.
« Reconnaissons que les membres de notre communauté ont des interprétations diverses et opposées du silence, hier et aujourd’hui, et partageons un moment de silence ensemble. »
Une autre initiative propose de commémorer l’attaque en utilisant les rouleaux de la Torah.
Le Projet Simhat Torah de Mizrachi, organisation sioniste mondiale, a créé une housse pour la Torah qui s’est vendu à plus de 500 exemplaires dans 31 pays. Sur cette housse figurent le drapeau israélien et le nom de l’une des victimes du pogrom, sans oublier un extrait de l’Ecclésiaste, le livre lu à Souccot, quelques jours avant Simhat Torah : « Il y a un temps pour tout sous les cieux… un temps pour pleurer et un temps pour danser. » La housse est vendue 1 300 $.
« Le monde juif sera uni si, partout dans le monde, les Juifs dansent avec des rouleaux de la Torah qui nous relient tous aux événements du 7 octobre et nous aident à faire advenir le ‘Am Yisrael Chai’ – ‘Le peuple juif est vivant' », peut-on lire sur le site Internet du projet.
Les fêtes de Chemini Atséret et Simhat Torah sont célébrées le même jour en Israël, mais pas au sein de la diaspora, où elles dureront deux jours. Pour Chemini Atséret – qui tombe le premier jour, celui du massacre – il y aura en plus un service commémoratif communautaire, le Yizkor. Et à la nuit tombée commencera Simhat Torah.
Le Temple Beth Sholom de Cherry Hill, dans le New Jersey, s’appuiera sur ce distinguo pour structurer sa commémoration du 7 octobre.
S’inspirant de la transition qui s’opère entre Yom Hazikaron et Yom Haatzmaut [NDLT : le Jour de l’Indépendance], qui se suivent dans le temps, la synagogue compte rendre hommage aux victimes de l’attaque lors de Chemini Atséret et organiser une « cérémonie de transition » avant d’entrer pleinement dans la joie de Simhat Torah.
« Nous aurons un temps pour le souvenir et pour rendre hommage à la force et à la résilience de notre peuple », a écrit le rabbin Micah Peltz dans le bulletin de sa synagogue.
La résilience a été le mot d’ordre de nombreuses communautés à l’approche de Simhat Torah. Certaines ont repris la phrase venue du festival Nova, durant lequel plus de 360 personnes ont été assassinées le 7 octobre, phrase devenue un symbole d’espoir et de persévérance : « We will dance again / Nous danserons à nouveau. »
À la synagogue Sinaï de Los Angeles, les fidèles sont invités à porter du bleu et du blanc – les couleurs du drapeau israélien – et à se retrouver pour un « Simhat Torah dans la rue : ‘We will dance again’ ». Il y aura un groupe, des chants et des danses avec la Torah et un camion de crème glacée.
À la synagogue Sixth & I, à Washington, l’événement prévu pour Simhat Torah porte le nom « Choisir la joie ». Le site de cet événement explique que, lors du Shabbat précédant la fête, les Juifs liront le même passage du livre de l’Ecclésiaste sur « un temps pour danser ».
« L’an dernier, nous avons fait notre deuil », peut-on lire sur le site de l’événement. « Cette année, nous danserons à nouveau. »
En Israël, la célébration de Simhat Torah est encore plus difficile : certaines communautés ont choisi de laisser éclater leur joie, d’autres ont préféré renoncer à toute célébration cette année.
Les responsables de la synagogue Ohr HaChaim de Jaffa ont décidé que les hakafot commenceraient par des chants allant crescendo et que la septième hakafah serait dansée en silence. Après les hakafot, la communauté se réunira pour un repas communautaire, moment de partage et de réflexion.
Lors de la prière pour la pluie, un autre élément de la liturgie de la fête, on entendra Kinat Beeri, un chant funèbre composé à la mémoire des victimes du kibboutz frontalier le 7 octobre.
Mais tous les fidèles ne sont pas d’accord. Nili Salem entend bien « mettre tout son cœur dans la danse ».
« Cette année, les gens ne savent pas trop comment prendre Simhat Torah : ils se demandent s’ils peuvent danser. Car c’est aussi leur yahrzeit, avec tout ce que cela implique », précise-t-elle. « Nous ne dansons pas seulement parce que c’est bien et que nous sommes heureux, cela a aussi une dimension spirituelle. Avec la danse, nous contribuons à l’élevation de leur âme et nous adoucissons les jugements qui seront portés sur nous. »
Oshrat Shoham, cofondateur de la communauté Kehillat Hakhel à Jérusalem – à laquelle appartient la famille de l’otage assassiné Hersh Goldberg-Polin – a proposé plusieurs façons de vivre cette fête, dont une dépourvue des démonstrations de joie habituelles de Simhat Torah.
« Ni célébrations, ni danses, ni hakafot – le soir comme le matin », propose Shoham dans le guide Hadar. « Il y aura des psaumes et des prières pour le retour des otages, pour la sécurité des soldats et pour la guérison des blessés. Nous donnerons une dimension plus importante à la prière du Yizkor en incluant un hommage aux victimes du massacre du 7 octobre, sans oublier la prière sincère pour la pluie – qui est une bénédiction, et non une punition. »
Certains ont proposé des gestes concrets pour rendre hommage aux victimes de l’attaque. Leo Dee, dont la femme et les filles ont été tuées dans un attentat terroriste en Cisjordanie quelques mois avant le 7 octobre, a ainsi proposé que les communautés de la diaspora utilisent cette fête pour promouvoir l’alyah – l’immigration en Israël.
Daniel Loeb, le PDG de Third Point, un fonds spéculatif qui gère 14 milliards de dollars d’actifs, s’est associé à Chabad, à l’Université Yeshiva, à Sefaria et à d’autres organisations juives pour lancer le Simhat Torah Challenge, destiné à encourager 10 000 Juifs à lire la Torah en entier, semaine après semaine, entre la fête de cette année et celle de l’an prochain.
Selon le site Internet de cette initiative, l’objectif est d’ores et déjà atteint.
« Les terroristes qui s’en sont pris à Israël l’an dernier ont choisi de le faire le jour de la fête de Simhat Torah, en ce jour heureux qui marque la fin de la lecture de la Torah et le début d’une nouvelle lecture », explique Loeb à eJewishPhilanthropy.
« Cette année, nous avons l’espoir d’attirer un plus grand nombre de Juifs dans ce qui est l’un des plus anciens clubs de lecture de toute l’humanité, et de les aider à étudier la Torah, semaine après semaine, pour leur changer la vie. »
Uram estime que, quelle que soit la façon dont on choisira de fêter Simhat Torah cette année, l’esprit de la fête invite les Juifs à réfléchir au monde qui les entoure.
« C’est drôle que, chaque année, les Juifs lisent le même livre », plaisante Uram en parlant de la Torah.
« Dans un monde où la plupart d’entre nous lisent des choses par nature impermanentes – les informations et les tweets, sans parler de la vitesse à laquelle les médias publient, on lit une fois et tout disparaît –, il existe cette approche contre-culturelle au sein de la tradition juive qui consiste à lire profondément et à relire, encore et encore. »
Il ajoute : « L’idée étant que, si le texte reste le même, la personne qui le lit change année après année. »
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