Des experts indiens de la Shoah débattent du film « Bawaal », disponible sur Amazon
Les acteurs trouvent des réponses à leurs problèmes conjugaux à Auschwitz ; pour certains, le film a au moins l'avantage de se pencher sur ce qui s'est passé durant la Shoah
JTA – Mehak Burza est la première à admettre que le niveau de sensibilisation à la Shoah en Inde est catastrophique.
« Vous n’obtiendrez pas de réponse très positive à ce sujet », a-t-elle dit dans un rire.
Les écoliers indiens n’apprennent pratiquement rien sur ce qui s’est passé pendant la Shoah, et les manuels scolaires ne mentionnent pas les Juifs, selon Burza. L’opinion publique sur Adolf Hitler varie de neutre à positive, avec des politiciens, des personnages de séries télévisées et des commerces qui ont adopté son nom et sa tenue comme symboles aspirationnels au cours des dernières années.
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« Ils considèrent toujours la Shoah comme un événement étranger », a déclaré Burza, qui enseigne la littérature anglaise dans plusieurs universités de New Delhi, à la Jewish Telegraphic Agency.
C’est pourquoi, malgré de sérieuses réserves, elle est satisfaite du nouveau film bollywoodien « Bawaal »( « tumulte » en hindi), qui suit un arrogant professeur d’histoire qui étudie les événements de la Shoah tout en essayant de sauver son mariage en péril. Le film, qui a été lancé sur Amazon Prime fin juillet, suit ses protagonistes Ajay et Nisha lors de leur visite de sites européens importants de la Seconde Guerre mondiale, notamment les plages de Normandie, la maison d’Anne Frank à Amsterdam, le bunker d’Hitler à Berlin et les camps de la mort d’Auschwitz.
« Bawaal » a été fortement critiqué à la fois par des spectateurs et par des groupes juifs tels que le Centre Simon Wiesenthal, qui s’oppose à ce que les personnages du point culminant du film s’imaginent être des prisonniers juifs du camp. Le film est truffé d’inexactitudes historiques et mentionne à peine les Juifs ; il contient également des lignes de dialogue qui, comme le déplore Burza, sont profondément offensantes et choquantes. Dans l’exemple le plus flagrant, un acteur jouant le rôle d’un survivant d’Auschwitz dit aux protagonistes : « Chaque relation a son propre Auschwitz. »
« Lorsque j’ai entendu cette réplique, j’ai dû interrompre le film et aller prendre une bouffée d’air frais », a déclaré Burza. « Associer son mariage à Auschwitz ! »
Pourtant, Burza, qui dirige également les études sur la Shoah au Global Center for Religious Research, continue de penser que « Bawaal » est une entrée en matière positive qui encouragera de nombreux Indiens à approfondir leurs recherches sur la Shoah.
« Le fait d’être le premier film de Bollywood à aborder cette question est un véritable défi et un grand pas en avant pour le public indien », a-t-elle déclaré. « En tant que spécialiste de la Shoah, je peux relever des centaines d’erreurs dans le film. Mais en tant que spectatrice débutante, je vois que c’est une étape ludique pour ceux qui ne savent rien du tout. »
« La seule chose décevante – qui m’a passablement irritée tout au long du film », a-t-elle ajouté en riant, « c’est la prononciation d’Auschwitz ». (Dans le film, les personnages le prononcent comme office (« bureau » en anglais).
Née et éduquée à New Delhi, Burza s’est intéressée à l’étude de la Shoah lors de ses études de médecine, après que son intérêt pour les récits de traumatismes l’eut amenée à lire des mémoires de survivants. Passant à la littérature anglaise, elle a axé sa thèse sur la répartition des sexes dans les mémoires de la Shoah et a constaté que si Mein Kampf a été traduit dans la plupart des 22 langues officielles de l’Inde, très peu d’auteurs juifs de livres sur la Shoah ont trouvé un écho similaire. Les étudiants de Burza ont lu le Journal d’Anne Frank, mais ils ont l’impression qu’il s’agit d’un roman.
Le manque de sensibilisation de l’Inde à la Shoah peut être partiellement attribué à sa propre histoire à cette époque. Deux ans seulement après que les Britanniques eurent aidé à libérer les camps de la mort nazis, leur empire en voie de dissolution a hâtivement divisé l’Inde et le Pakistan en deux nations à majorité hindoue et musulmane, ce qui a entraîné la mort de plus d’un million de personnes dans des violences sectaires et le déplacement d’environ 15 millions d’autres personnes. L’héritage dévastateur de la partition a conduit de nombreux Indiens à qualifier aujourd’hui cet événement « d’holocauste indien ».
L’actuel gouvernement nationaliste hindou de l’Inde, dirigé par le Premier ministre Narendra Modi, a cherché à tirer parti de cette histoire douloureuse en adoptant des lois discriminatoires et en attisant le ressentiment ethnique à l’égard de la minorité musulmane, dont les nationalistes hindous estiment qu’elle n’a aucun droit sur la nation. Lundi, Modi a fait l’objet d’un vote de défiance au Parlement indien en raison de son manque de réaction face à la recrudescence des attaques violentes contre les minorités musulmanes et chrétiennes dans l’État de Manipur. Une petite communauté juive de la région a également été touchée par les violences ethniques.
Les efforts visant à répandre le sentiment nationaliste hindou se sont étendus à l’industrie cinématographique du pays, extraordinairement populaire et influente au niveau mondial, les cinéastes de Bollywood étant soumis à une pression croissante pour monter des productions historiquement douteuses présentant la population hindoue de l’Inde comme des héros et les musulmans comme des méchants. Récemment, l’ambassadeur d’Israël en Inde a présenté ses excuses après que le célèbre cinéaste israélien Nadav Lapid, membre du jury d’un festival de cinéma indien, a vivement critiqué l’un des films en compétition pour ce qu’il a qualifié de propagande islamophobe.
Dans ce contexte, la décision du réalisateur et co-scénariste de « Bawaal », Nitesh Tiwari, de tourner son film sur l’histoire de la Seconde Guerre mondiale et de la Shoah plutôt que sur un événement mondial qui concerne directement l’Inde est « audacieuse », a déclaré Burza. Tiwari a récemment déclaré aux médias indiens qu’il avait choisi son sujet parce que ces événements étaient moins familiers au public indien, qui pouvait ainsi entreprendre le même voyage de compréhension que les protagonistes. Lui-même et ses vedettes Varun Dhawan et Janhvi Kapoor ont également rejeté les critiques du film, le réalisateur se disant « déçu » que le film n’ait pas été « compris » de la manière dont il était censé l’être, selon lui. L’équipe de production du film, Nadiadwala Grandson Entertainment, n’a pas répondu à la demande de commentaire de la JTA.
Même au sein du minuscule groupe des spécialistes indiens de la Shoah et des études juives, il existe de profondes divergences d’opinions sur « Bawaal ». Navras Aafreedi, professeur d’histoire au Presidency College à Kolkata, qui étudie les communautés juives de l’Inde et a orchestré la première série de films sur la Shoah dans le pays, pense que le film n’est qu’un nouvel exemple de la tendance indienne à banaliser la Shoah. Il a déclaré à la JTA que la façon dont le film traite son sujet est « profondément troublante mais certainement pas surprenante ».
« Tout comme Hitler en est venu à être utilisé comme métaphore pour toute figure autoritaire en Inde, souvent avec admiration », a écrit Aafreedi dans un courriel, « les réalisateurs du film ‘Bawaal’ considèrent qu’il est approprié de se référer à Auschwitz comme une métaphore pour les querelles conjugales ».
Des observateurs extérieurs, dont le spécialiste des génocides Gregory Stanton – qui a élaboré la théorie des « dix étapes du génocide » en partie grâce à ses recherches sur la Shoah – ont averti que l’Inde pourrait se diriger vers un génocide d’ici quelques années ; le US Holocaust Memorial Museum (USHMM) a exprimé des préoccupations similaires, ses chercheurs ayant récemment déterminé que le pays était l’un des plus menacés par une nouvelle tuerie de masse. L’année dernière, le USHMM a publié une interview sur la région avec l’avocat des droits de l’Homme, Me Waris Husain, qui avait affirmé que sous Modi, « l’idéologie d’exclusion – un facteur de risque connu d’atrocité de masse – s’est intensifiée ».
Burza est musulmane, ce qui, selon elle, confère un caractère d’urgence à ses efforts pour améliorer l’enseignement de la Shoah en Inde. Aafreedi, pour sa part, ne s’identifie à aucune religion.
Ce contexte, selon Burza, peut aider à expliquer l’un des moments les plus déconcertants du film, lorsque l’épouse de l’enseignant, Nisha, pense que « nous sommes tous un peu comme Hitler » parce que « nous ne sommes pas satisfaits de ce que nous avons ». Cette phrase, dit-elle, peut être comprise comme une déclaration politique subversive adressée aux larges pans de la société indienne qui admirent Hitler sans comprendre le danger qu’il représente.
« Le gouvernement actuel est comparé à Hitler », a-t-elle souligné, notant que Stanton entre autres ont établi un lien entre « ce que [Modi] fait aux musulmans et ce qu’Hitler a fait aux Juifs ».
Que le public indien pense ou non à ces questions en regardant « Bawaal », Burza pense qu’il est inévitable que le film suscite un intérêt accru pour l’enseignement de la Shoah dans son pays, sans parler de l’augmentation du nombre de visiteurs indiens à Auschwitz.
« En Inde, tout ce que les premiers rôles masculins et les premiers rôles féminins font dans les films devient tendance », a-t-elle déclaré. « Notez bien ce que je vous dis : vous verrez des Indiens sur ces sites [de mémoire]. »
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