En France, un mémorial pour les victimes homosexuelles de la déportation
Il s'agit d'une nouvelle étape dans la reconnaissance des Triangles roses, grands oubliés de l’histoire de la Shoah pendant des décennies

Un mémorial national en hommage aux victimes homosexuelles de la déportation va être inauguré samedi à Paris.
« Le message, c’est : on n’oublie pas et on reste vigilants » déclare à l’AFP Jean-Luc Romero, adjoint à la mairie de Paris chargé notamment de la lutte contre les discriminations.
Conçu par l’artiste Jean-Luc Verna, le mémorial a été installé dans les jardins du port de l’Arsenal à Bastille.
L’œuvre sera dévoilée samedi matin en présence notamment de la maire socialiste de Paris, Anne Hidalgo.
Contrairement à Sydney, Barcelone ou Amsterdam, le choix d’un monument en forme de triangle rose, symbole cousu par les nazis sur les uniformes des détenus homosexuels dans les camps, n’a pas été retenu pour ce mémorial. Il rend également hommage à « toutes les personnes LGBTQIA+ persécutées à travers l’Histoire ».
« L’idée, c’est de penser aux victimes oublié·e·s de la déportation, mais également aux victimes LGBT+ d’aujourd’hui, pour qui le combat est loin d’être terminé » souligne Jean-Baptiste Trieu, président de l’association « Les Oublié·es de la mémoire ».
Selon les estimations, entre 5 000 et 15 000 personnes ont été déportées à l’échelle européenne par le régime nazi pendant la Seconde Guerre mondiale en raison de leur homosexualité. Pour la France, les chiffres avancés par les associations et les historiens varient entre une soixantaine et 200 personnes homosexuelles déportées.

Pendant des décennies, le drame des Triangles roses est resté méconnu, en France comme à l’étranger. Il faudra attendre les années 1980 pour qu’une pièce de théâtre, des livres et des films commencent à évoquer la question.
Le témoignage de Pierre Seel (1923-2005), qui fut interné en 1941 au « camp de redressement » de Schirmeck, en Alsace alors annexée par le IIIᵉ Reich, contribuera largement à sortir ce pan de l’histoire de l’oubli.
Côté politique, le discours du 26 avril 2001 de Lionel Jospin, alors Premier ministre, marque un tournant. Il y déclare : « Nul ne doit rester à l’écart de cette entreprise de mémoire. » Et d’ajouter : « Il est important que notre pays reconnaisse pleinement les persécutions perpétrées durant l’Occupation contre certaines minorités, les réfugiés espagnols, les Tziganes ou les homosexuels. »
Quatre ans plus tard, le président Jacques Chirac abordera à son tour le sujet. « Nous sommes là pour nous souvenir que la folie nazie voulait éliminer les plus faibles, les plus fragiles, les personnes frappées par le handicap, dont l’existence même faisait affront à leur conception de l’homme et de la société » déclare-t-il en avril 2005.
« En Allemagne, mais aussi sur notre territoire, celles et ceux que leur vie personnelle distinguait, je pense aux homosexuels, étaient poursuivis, arrêtés et déportés. »
Nouvelles générations
En 2010, une plaque mémorielle est inaugurée à Mulhouse, en « mémoire de Pierre Seel et des autres Mulhousiens anonymes arrêtés et déportés pour motif d’homosexualité ». La même année, une autre plaque est posée au camp de concentration du Struthof (Bas-Rhin), où ont été déportés plus de 200 homosexuels.
En 2022, une exposition intitulée « Homosexuels et lesbiennes dans l’Europe nazie » est organisée au Mémorial de la Shoah à Paris, une première. « Un succès » se souvient Sophie Nagiscarde, directrice des affaires culturelles du Mémorial, qui y voit le signe d’ « un fort intérêt » pour ce pan méconnu de l’Histoire.
« Il faut que des chercheurs continuent à travailler sur cette question, parce qu’il y a encore beaucoup de choses à chercher et à trouver » ajoute-t-elle.

Une reconnaissance par l’État, un mémorial… et après ? Pour les associations, il est crucial de continuer à parler de cette question aux nouvelles générations.
« Notre objectif, à court terme, c’est que des modules de formation soient mis en place dans les établissements scolaires pour que cette question soit abordée en cours » indique Jean-Baptiste Trieu.
« C’est d’autant plus important de continuer à parler et à témoigner qu’on voit que les débats sont encore compliqués aujourd’hui », ajoute Matthieu Chaimbault, de l’association Mémorial de la déportation homosexuelle (MDH), citant le refus du Sénat, début mai, d’ajouter un volet indemnitaire à la réhabilitation des personnes condamnées pour homosexualité en France.
Sans compter « ce qui se passe à l’international » abonde Jean-Luc Romero, « avec des pays qui continuent de pénaliser l’homosexualité et le retour en arrière observé actuellement aux États-Unis ».