Les élus soutiennent la privatisation de l’IPBC et appellent à boycotter Haaretz
Selon les opposants, la volonté des ministres de fermer l'IPBC dans les 2 ans porterait "gravement atteinte à la liberté de la presse" et viserait à étouffer toute critique du gouvernement
Quelques heures seulement après que le cabinet a voté dimanche à l’unanimité en faveur d’un boycott du quotidien de gauche Haaretz, la commission des Lois a apporté son soutien à un projet de loi prévoyant la privatisation de l’Autorité de radiodiffusion d’Israël (Israeli Public Broadcasting Corporation ou IPBC) dans un délai de deux ans, ce qui entraînerait de fait la fermeture du radiodiffuseur public.
Le projet de loi, parrainé par la députée Tally Gotliv (Likud), obligerait le gouvernement à lancer un appel d’offres pour l’achat des réseaux de télévision et de radio contrôlés par l’IPBC, qui gère notamment la chaîne publique Kann et la radio Reshet Bet.
Selon le texte proposé, qui est identique à un projet de loi précédemment proposé par le ministre des Communications Shlomi Karhi, si aucun acheteur n’est trouvé dans les deux ans, le radiodiffuseur sera complètement fermé et sa propriété intellectuelle reviendra au gouvernement.
Dans les notes explicatives du projet de loi, Gotliv a déclaré que la production actuelle de la chaîne ne justifiait pas son budget gouvernemental « extrêmement élevé » et que cette mesure était nécessaire pour « accroître la concurrence » sur le marché des médias.
Le bureau de la procureure générale n’était pas du tout d’accord avec Gotliv et a écrit au ministre de la Justice Yariv Levin, qui préside l’organe ministériel de haut niveau, pour lui faire part de son inquiétude et pour souligner qu’étant donné le nombre d’Israéliens qui obtiennent leurs informations par le biais de la télévision, la fermeture de la société de radiodiffusion réduirait les sources d’informations libres de toute influence extérieure.
Dans leur lettre, les procureurs généraux adjoints Meïr Levin et Avital Sompolinsky se sont opposés à ce qu’une législation d’une telle portée soit présentée sous la forme d’un projet de loi d’initiative parlementaire plutôt que sous la forme d’un projet de loi gouvernemental, ce qui nécessiterait un examen rigoureux de la part des professionnels du ministère.
Le bureau de la procureure générale a également affirmé que le projet de loi envoyait un message « clair et sérieux » selon lequel « la critique du gouvernement ou la diffusion d’un contenu qui n’est pas favorable au gouvernement peut conduire à des mesures contre les médias ».
S’adressant aux employés lors d’un rassemblement dimanche, le PDG de Kann, Golan Yochpaz, a averti que la coalition cherchait à nuire à l’indépendance de la chaîne. Il a également fait valoir que les paramètres utilisés pour affirmer que l’IPBC ne parvenait pas à atteindre les téléspectateurs ne tenaient pas compte de l’importante audience en ligne de la chaîne.
Dans une lettre adressée aux membres de la commission, l’Union des journalistes en Israël a accusé le gouvernement « d’affaiblir la radiodiffusion publique et de restreindre la liberté de la presse », selon The Seventh Eye, un site de veille des médias orienté à gauche.
L’ONG Mouvement pour un gouvernement de qualité (MQG) a également sévèrement critiqué le projet de loi, qualifiant son avancée de « nouvelle étape d’une campagne orchestrée et planifiée visant à affaiblir la démocratie israélienne et à porter gravement atteinte à la liberté de la presse », et mettant en garde contre ce qu’elle appelle une « prise de contrôle politique des médias indépendants en Israël ».
Une campagne de plus grande envergure
Il y a trois semaines, la commission des Lois a donné son aval à un autre projet de loi accordant au gouvernement un contrôle accru du budget de l’IPBC.
En réponse, Kann a fait valoir que la structure budgétaire de l’IPBC était conçue pour « empêcher toute intervention politique dans son contenu » et a averti que le projet de loi constituait « une nouvelle tentative de nuire à l’indépendance et à l’importance de l’IPBC ».
Les deux projets de loi relatifs à l’IPBC sont présentés en même temps que la coalition promeut un troisième projet de loi visant à accorder au gouvernement un droit de regard sur les données d’audience de la télévision.
Le projet de loi sur l’audimat, qui a fait l’objet d’une lecture préliminaire à la Knesset à la fin du mois dernier (53-49), permettrait au ministre des Communications de prendre le contrôle de l’organisme actuellement indépendant qui fournit ces informations aux éditeurs.
Depuis son entrée en fonction il y a deux ans, le ministre des Communications, Karhi, s’est engagé à faire de la fermeture ou de la mise à l’écart de l’IPBC sa première mesure. Le ministre a déclaré à maintes reprises qu’il souhaitait créer une plus grande concurrence dans le paysage médiatique israélien et distribuer des fonds publics à une variété de médias plutôt qu’à un seul.
Boycott de Haaretz
En plus de soutenir le projet de loi visant à fermer l’IPBC, le gouvernement a annoncé dimanche qu’il rompait ses liens avec le quotidien Haaretz en réponse aux récents commentaires de l’éditeur Amos Schocken, qui a qualifié les terroristes palestiniens de « combattants de la liberté ».
Dans une déclaration, le ministre des Communications, Karhi, a annoncé que lui-même et d’autres membres du cabinet du Premier ministre Benjamin Netanyahu avaient voté à l’unanimité en faveur de sa proposition de supprimer toute publicité et annonce d’appels d’offres gouvernementaux, tant dans l’édition imprimée que sur le site de Haaretz.
La résolution stipule que si le gouvernement soutient la liberté de la presse et la liberté d’expression, il « n’acceptera pas une situation dans laquelle l’éditeur d’un journal officiel appelle à l’imposition de sanctions contre lui et soutient ses ennemis en pleine guerre ».
“A Palestinian state must be established, and the only way to achieve this I think is to apply sanctions against Israeli leader.”
During a conference in London, Haaretz publisher Amos Schocken made a call for international sanctions against Israel and its PM Benjamin Netanyahu,… pic.twitter.com/oO9TiILiCn
— TRT World (@trtworld) October 31, 2024
En conséquence, le gouvernement « rompra toute relation publicitaire avec le journal Haaretz et demande à toutes ses branches, ministères et organismes, ainsi qu’à toute société ou organisme gouvernemental financé par lui, de ne pas avoir de contact avec le journal Haaretz sous quelque forme que ce soit et de ne pas y faire paraître de publications ».
Haaretz a réagi de manière cinglante. « La résolution opportuniste visant à boycotter Haaretz […] est une nouvelle étape dans la démarche de Netanyahu visant à démanteler la démocratie israélienne », a déclaré le journal dans un communiqué.
« Comme ses amis [Vladimir] Poutine, [Recep Tayyip] Erdoğan et [Viktor] Orbán, Netanyahu tente de faire taire un journal critique et indépendant », a ajouté le journal.
Selon Tehilla Shwartz Altshuler, chercheuse principale à l’Institut israélien de la démocratie (IDI), malgré la manière dont il a été présenté, le boycott de Haaretz par le gouvernement « n’est pas une décision gouvernementale » mais plutôt « une déclaration gouvernementale, car il ne serait pas légal d’adopter une telle décision » discriminatoire entre les organes de presse.
« Si vous lisez attentivement cette déclaration, vous verrez que le gouvernement demande aux agences de faire ceci ou cela, mais qu’il n’autorise rien », a-t-elle déclaré, prédisant que tout boycott ministériel qui se produirait conduirait rapidement à une action en justice de la part de Haaretz.
Les pressions exercées par la coalition pour prendre le contrôle de l’audimat et privatiser l’IPBC sont également préoccupantes, car le soutien de la coalition est actuellement insuffisant pour faire passer une telle loi, a-t-elle soutenu, accusant le gouvernement de s’engager dans un
« trolling » politique afin de détourner l’attention du public des scandales politiques en cours.
« Pensez à ce que Netanyahu a fait au cours de la semaine dernière. Il s’en est pris à trois grandes institutions publiques : la procureure générale, [l’agence de sécurité intérieure du] Shin Bet et Kann. Ils ont tous été impliqués d’une manière ou d’une autre dans la révélation des fuites du Directorat des Renseignements militaires et dans l’affaire [Eli] Feldstein », a-t-elle déclaré.