Les Juifs d’Indonésie, non reconnus, tentent de vivre en paix depuis le 7 octobre
La guerre entre Israël et le Hamas suscite des manifestations dans ce pays musulman, où la coopération avec les chrétiens assure une certaine stabilité
TAIPEI, Taïwan (JTA) – Depuis l’attaque du Hamas contre Israël, le 7 octobre dernier, et la campagne militaire défensive d’Israël destinée à chasser du pouvoir à Gaza le groupe terroriste, d’importantes manifestations pro-palestiniennes ont lieu à Jakarta et dans d’autres villes indonésiennes.
Elles ont surpris des Juifs comme Maryam, qui préfère donner son prénom dans un souci de sécurité et pour préserver sa vie privée. Elle dit avoir entendu « Mort aux Juifs » dans les rues.
Le 7 octobre, des milliers de terroristes dirigés par le Hamas ont pris d’assaut les localités proches de la bande de Gaza et ont brutalement tué 1 200 personnes, pour la plupart des civils, et kidnappé 240 otages emmenés de force dans la bande de Gaza. Israël s’est alors juré d’éradiquer le Hamas.
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« Depuis la guerre entre Israël et Gaza, nous nous cachons parce qu’il y a quasiment une grosse manifestation chaque jour », explique à la JTA Maryam, septuagénaire qui vit à Jakarta. « À Hanoukka, j’avais l’habitude de mettre ma menorah à la fenêtre. En ce moment, je ne peux pas, je dois la mettre à l’intérieur. »
Maryam fait partie de la petite et discrète communauté de Juifs pratiquants en Indonésie, pays à majorité musulmane dépourvu de relations diplomatiques avec Israël. Outre la petite communauté de Jakarta, dont les 10 à 20 Juifs se réunissent chez elle pour Shabbat, 50 autres Juifs originaires d’autres régions indonésiennes se réunissent régulièrement en ligne pour assister aux offices du rabbin Benjamin Meijer Verbrugge. Trente à cinquante Juifs fréquentent la congrégation du rabbin Yaakov Baruch, dans la province de Sulawesi du Nord, chaîne d’îles au nord-est de Java.
De nos jours, la synagogue de Baruch, Shaar Hashamayim, à Tondano, est l’unique synagogue physique d’Indonésie, qui aurait abrité pas moins de 2 500 Juifs dans les années 1930.
Depuis le début de la guerre entre Israël et la branche palestinienne des Frères musulmans, les manifestations effraient certes Baruch, mais ce dernier s’appuie sur les relations solides qu’il entretient avec d’autres communautés religieuses de sa région – à majorité chrétienne – pour créer ce qu’il considère être un parapluie de paix. Ses voisins chrétiens ont offert leur soutien à sa communauté et un policier surveille la synagogue lors des offices.
« En voyant ce qui se passait à Jakarta et dans d’autres villes, j’ai craint un instant de ne plus avoir de bonnes relations avec les autres communautés religieuses », confie-t-il. « J’ai contacté pas mal de chefs religieux, pour évoquer avec eux des choses positives et parler des projets d’avenir de façon à maintenir de bonnes relations. »
Baruch a apposé des affiches d’otages israéliens sur les murs de la synagogue « afin que Juifs et non-Juifs puissent venir prier pour la sécurité des otages », comme il le dit. « J’ai invité des dirigeants musulmans et chrétiens interconfessionnels à prier pour la sécurité des peuples israélien et palestinien, pas pour le Hamas. Je veux qu’ils comprennent que nous avons de l’empathie. »
« Quand je fais des prières interconfessionnelles, ce n’est pas que pour les dirigeants chrétiens ou musulmans, mais aussi pour les dirigeants bouddhistes, anglicans ». « Ils me posent des questions sur moi et me demandent : ‘Qu’est-ce que vous faites ? Etes-vous en sécurité ?’ »
C’est un bel exemple de solidarité face à un conflit qui effraie de nombreux Juifs dans le monde, à commencer par l’Indonésie, et les pousse à faire preuve d’une grande discrétion.
Dans le monde entier, les Juifs disent ressentir une peur sans précédent alimentée par des actes antisémites – du vandalisme de sites juifs aux fusillades, en passant par les alertes à la bombe et les attaques violentes – dont le nombre a explosé. Les statistiques disponibles sur l’antisémitisme sont déjà anciennes, mais une enquête Pew de 2010 révélait déjà que 74 % des Indonésiens avaient une opinion défavorable des Juifs.
L’Indonésie n’entretient pas de relations officielles avec l’État d’Israël, mais elle appelle depuis longtemps à une solution à deux États et entretient avec Israël des relations commerciales, touristiques et sécuritaires. Le pays a reconnu l’existence d’un État palestinien en 1988 et entretient des relations étroites avec les organisations palestiniennes depuis 1945, lorsque les dirigeants palestiniens ont exprimé leur soutien à une Indonésie indépendante et promu le soutien d’autres États arabes par l’intermédiaire de la Ligue arabe.
Depuis le début de la guerre, le président indonésien Joko Widodo a condamné à plusieurs reprises les violences à Gaza et invité les parties à « mettre fin aux combats, faire cesser les violences, travailler aux questions humanitaires et régler l’origine du problème, à savoir l’occupation israélienne de la Palestine ». Hors champ politique, le Conseil des oulémas indonésiens (MUI), la plus haute instance islamique du pays, a publié le 13 novembre dernier une fatwa – décision religieuse – obligeant les musulmans à soutenir la lutte des Palestiniens pour l’indépendance et interdisant de soutenir « l’agression » israélienne. La fatwa recommande aux musulmans de ne pas acheter de produits affiliés à Israël.
La semaine passée, les forces israéliennes se sont approchées de l’hôpital Indonesia – peut-être le seul et unique hôpital encore en activité dans le nord de Gaza –, à l’endroit même où les autorités sanitaires avaient déclaré que 12 personnes avaient perdu la vie lors d’une frappe israélienne, le 20 novembre dernier. L’hôpital, ouvert en 2016 sur des fonds indonésiens, a un personnel composé de Palestiniens et de bénévoles indonésiens.
Le Hamas cache son réseau de centres de commandement et de tunnels sous les hôpitaux de Gaza, à commencer par l’hôpital indonésien, qu’il aurait « construit pour dissimuler ses infrastructures terroristes souterraines », ce que le ministère indonésien des Affaires étrangères a catégoriquement nié, ajoutant que l’hôpital de Gaza servait « uniquement à des fins humanitaires, pour répondre aux besoins médicaux du peuple palestinien de Gaza ».
Le ministère indonésien des Affaires étrangères a fermement condamné l’attaque d’Israël, la qualifiant de « violation flagrante du droit international humanitaire ».
Les premières communautés juives d’Indonésie remontent au 19e siècle, lorsque les Juifs ashkénazes et baghdadi ont immigré pour profiter des opportunités économiques offertes par la colonisation néerlandaise des Indes orientales. La communauté a culminé à quelque 2 500 personnes à Java et Sumatra avant la Seconde Guerre mondiale.
L’hostilité envers les Juifs a redoublé dans la période de l’après-guerre, au moment de la fondation d’une Indonésie moderne et indépendante, après 1945, et surtout après la fondation d’Israël, en 1948. De nombreux Juifs sont alors partis pour l’Australie, Israël ou les États-Unis.
Les Juifs encore en Indonésie cachent leur identité juive en public lorsqu’ils ne l’ont pas totalement abandonnée. Meijer Verbrugge, Indonésien d’origine et commerçant de café, explique que nombre de musulmans indonésiens considèrent les Juifs indonésiens comme les descendants des occupants coloniaux.
Une congrégation pour partie composée de ces descendants ainsi que de nouveaux convertis dans huit régions d’Indonésie, dirigée par Meijer Verbrugge, s’est développée dernièrement. On estime son effectif total à 180 personnes, dans huit régions différentes.
Meijer Verbrugge se rappelle qu’en 2015, des chrétiens ont frappé le chantre d’une synagogue d’Ambon, petite île du centre de l’Indonésie. Il précise que les autorités sont intervenues et ont fait le nécessaire pour que la communauté puisse prier en toute sécurité. Le même soutien lui a été offert suite au 7 octobre.
« Nous sommes très fiers de notre service de police et de l’armée, qui protègent notre pays. La police vient régulièrement me voir pour discuter. Ils sont prêts à nous protéger », assure-t-il.
Meijer Verbrugge milite pour une reconnaissance nationale du judaïsme depuis une dizaine d’années, car aujourd’hui, le judaïsme ne fait pas partie des six religions reconnues que sont l’islam, le catholicisme, le protestantisme, le bouddhisme, l’hindouisme et le confucianisme. Bien que la pratique religieuse juive soit autorisée, Baruch, Maryam et les autres membres de la communauté juive ont dû déclarer appartenir à l’une de ces six religions pour les besoins de leur carte d’identité. La plupart ont opté pour le christianisme.
« Ce n’est pas agréable, mais quand l’Indonésie a acquis son indépendance, en 1945, ma grand-mère a dit que nous ne partirions pas parce que notre chance était ici. Et elle avait raison », dit Maryam. « Mais nous devons nous déclarer d’une autre religion sur les documents officiels. Elle nous a dit avoir choisi le terme ‘chrétien’ parce que Jésus était juif. Et nous sommes allés dans une école catholique. »
« Nous ne pouvons pas utiliser notre certificat de mariage, la ketubah, pour organiser une cérémonie en Indonésie », précise Meijer Verbrugge. « Nous sommes censés utiliser le certificat de mariage d’une autre religion reconnue. Ce qui n’est pas juste. »
En 2009, des manifestations ont eu lieu au sujet d’une synagogue de Surabaya, désignée monument culturel par le Service municipal de la culture et du tourisme. Des groupes ont exigé sa fermeture à plusieurs reprises jusqu’en 2013, date à laquelle la synagogue et le cimetière attenant ont été détruits, pour des raisons inconnues, par des propriétaires fonciers. Aujourd’hui, un grand hôtel se dresse à la place.
En 2022, la synagogue de Baruch, dans le nord de Sulawesi, a été prise pour cible par des groupes musulmans au moment d’une petite exposition sur la Shoah. Les manifestants, qui comptaient dans leurs rangs le MUI, avaient mis en avant les liens de l’exposition avec Yad Vashem et dénoncé une tentative israélienne de normaliser ses relations avec l’Indonésie.
« Les Indonésiens ne font pas toujours la distinction entre Juifs et Israéliens », rappelait en 2022 à la JTA Mun’im Sirry, professeur de religions à l’Université Notre Dame. Ils ne font pas non plus de distinction entre la politique étrangère de l’État et celle du peuple d’Israël. Ce qui est un problème. »
Baruch explique à la JTA que la question de l’exposition sur la Shoah s’est réglée par le dialogue et qu’elle est devenue un musée permanent grâce à des dons d’artefacts depuis l’Europe.
Maryam est moins optimiste que Baruch sur la situation en Indonésie. Elle évoque le prix à payer pour continuer à vivre en sécurité avec les autres organisations religieuses. Sa communauté effectue des dons à des organisations musulmanes locales « pour garantir notre sécurité », dit-elle.
« Au sein de la diaspora, nous n’avons pas le choix. Il faut faire confiance à Hachem », conclut-elle, en utilisant le terme hébreu pour désigner Dieu. « Nous n’avons personne d’autre vers qui nous tourner, si ce n’est Hachem. »
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